MÉMOIRES DE LUMIÈRES

Viol

Bertrand capte le regard qu’échangent Sophia et Gabriel, regard furtif mais d’une tristesse à fendre l’âme.  L’émotion le submerge.  Pour cacher son trouble, il se lève d’un coup et quitte la bibliothèque.  Il n’a pas fait trois pas dans le cloître qu’une femme dépoitraillée fait irruption sous le portique d’en face.  Elle jette autour d’elle un regard affolé, aperçoit Bertrand et fonce sur lui à travers le jardin.

—   Frère Bertrand, frère Bertrand, implore-t-elle entre deux hoquets et en empoignant l’apothicaire par la bure, aidez-moi.  Où est le père abbé ?

        Bertrand connaît cette paysanne de vingt-deux, vingt-trois ans.  Elle s’appelle Honorine, vient de Vitry et s’est mariée l’année dernière à Alban Bauduche, un bûcheron de l’abbaye qui a maison en bordure de la forêt.  Bertrand bouge la tête du côté de la bibliothèque, Honorine comprend, s’y engouffre et plonge aux genoux de dom Gabriel.  Elle veut parler mais s’étrangle dans ses sanglots. 

        C’est au tour du mari de surgir à son tour dans le cloître.  Brandissant un formidable bâton clouté, il se précipite sur Bertrand qui fait un geste pour se protéger et retraite vers la porte de la bibliothèque.

—   La salope, elle se cache où ? hurle le mari.

        Comprenant que la colère de Bauduche n’est pas dirigée contre lui, Bertrand se ressaisit tout en continuant de reculer vers la porte ouverte.  Ce recul donne au bûcheron le renseignement qu’il désire.  Il bouscule l’apothicaire, pénètre comme un possédé dans la bibliothèque, aperçoit sa femme aux pieds de dom Gabriel et lève son bâton.

—   Coquine, salope, putasse, hurle-t-il.

—   Mon père, implore la femme en s’accrochant aux genoux de dom Gabriel.

        Frère François se lève et s’approche du jeune homme.

—   Allons, Alban, je t’en prie, du calme.  D’abord, donne-moi ce gourdin, n’oublie pas que tu es en présence du père abbé.

        Le bûcheron réalise tout à coup que des visages sévères le scrutent, se dandine, se passe la main sur le visage, jure quelque chose que personne ne saisit et finit par laisser tomber son bâton ; Frère François le ramasse et l’appuie sur le mur.  Pendant cet intermède, Sophia n’a pas cessé de dévisager la jeune femme et celle-ci est horrible à voir.  Le visage gonflé d’ecchymoses, la lèvre fendue, le front entaillé, le cou et les bras éraflés, les vêtements en lambeaux, les cheveux épars croûtés de boue, tout témoigne d’une âpre lutte ; visiblement, la jeune femme a été battue.  Sophia se demande si c’est le mari qui l’a mise dans cet état.  En revanche, celui-ci ne semble pas blessé, n’est que débraillé, mal rasé et fou de colère.  Pendant un moment, personne ne parle.  Enfin, Gabriel se dégage de la jeune femme et se lève en poussant un grand soupire ; les querelles de ménage l’ont toujours mis mal à l’aise.  Dans le passé, par trois fois, il fut confronté ce genre de problème et à son corps défendant dut trancher ; à chaque fois, en prononçant son arrêt, il eut le sentiment de commettre une injustice ; et les faits subséquents confirmèrent son pressentiment.  N’est pas Salomon qui veut.  Son regard s’accroche au verre de kirsch qu’il tient à la main.  D’un geste brusque, il le vide, puis saisit la bouteille, remplit deux verres et les distribue aux belligérants.

—   Allez, vous deux, videz-moi ça, ça vous calmera.  Et toi, Honorine, relève-toi.

        Le mari et l’épouse goûtent la liqueur du bout des lèvres.  Gabriel fait un signe du doigt, les deux comprennent, vident leur verre et s’étouffent.  Les joues en feu, Honorine s’essuie les yeux ; Alban pose son verre vide sur la table, recule de deux pas et retire son chapeau.

—   Alban, dit Gabriel, tu m’expliques ce qui se passe, sans crier. 

—   Mon père, dit le jeune homme en faisant un effort pour contenir sa colère, cette ribaude de porcherie a découché pour copuler avec des crapuleux.  Elle est rentrée à l’aube, amochée et la robe déchirée.  J’étais mort d’inquiétude.  Ça s’est passé dans le bois près de la maison qu’elle m’avoue, pour me narguer, moi, son mari qui la vénérait comme une madone.  Mais c’est fini, tout ça, oui, bien fini.

—   Mon père, implore la femme, ils m’ont prise de force. 

—   Le déshonneur, mon père, renchérit le mari.

        Un nouveau silence s’installe.  Autour de la table, les convives se tortillent sur leur banc.  Les mains dans le dos, Gabriel se met à faire les cent pas autour de la table.  Quelqu’un tousse.

—   Est-ce batifolage ou viol ? énonce Jean-Jacques Serlant.

        Un bœuf dans une boutique de dentelle n’aurait pas été plus lourdaud.  Et le maître des petites écoles en rajoute, sur un ton que Ya Ming trouve un tantinet suffisant.

—   La loi condamne les deux délits mais dans un cas comme dans l’autre, l’usage en atténue la rigueur.

        Cet aphorisme s’écrase comme une bouse.  Cette fois, autour de la table, on échange un regard, puis quelqu’un répond par une affirmation du même acabit, un autre réplique et, sans qu’on sache ni pourquoi ni comment, une ahurissante controverse philosophique sur l’idée de viol s’enclenche, ce genre d’échange qui fascine les salons parisiens mais qui ne sert, dans la vraie vie, qu’à embrouiller les choses.

—   J’entends bien, Jean-Jacques, rétorque frère François, mais ici, nous exigeons de tous un comportement généreux.  Nous pardonnons beaucoup sans pour autant encourager la faute, encore moins le crime.

—   François, je ne dis pas le contraire, reprend Jean-Jacques Serlant, mais si l’on croit la jeune Honorine, nous avons affaire à un viol.  Or, la difficulté en matière de viol réside dans l’incertitude des témoignages.  Qui ment et qui dit vrai, bien malin qui peut départager.

—   Ce qui est sûr, renchérit dom Grégoire, c’est que le viol est un drame.

—   Bien sûr, répond Serlant, c’est toujours un drame, comme un accident ou une mortalité . . .

—   . . . mais il y a faute, dit frère François.

—   Peut-être mais encore, qui peut affirmer où se loge la faute ?

—   Prudence, mes amis, ajoute dom Grégoire, on ne doit pas confondre agresseur et victime.

—   Et le mari ne doit pas se faire complice des bandits.

        Le jeune bûcheron ne se retient plus.

—   Je ne suis le complice de personne, crie-t-il, je suis déshonoré, c’est tout, humilié, oui, un paria qu’on raillera, pour sûr, on me fera un charivari.

—   Holà, Alban, rétorque François, le dernier charivari date de dix ans et les coquins qui l’avaient soulevé se souviennent encore de nos taloches, à Thibault et à moi.  Je ne pense pas qu’ils remettent ça.  Alban, tu n’as rien à redouter de ce côté.

—   Mais ma femme s’est souillée, je ne peux la reprendre.

—   Peut-être, reprend frère François, mais peut-être n’est-elle que victime innocente d’un crime odieux. 

—   Odieux peut-être, si crime il y a ; mais même en ce cas, le crime reste impossible à élucider, ajoute Serlant d’un ton pincé.

        Il y a plus d’une façon de monter un charivari, pense Ya Ming. 

—   Au fait, dit frère François, on ne se sait toujours pas comment ça s’est passé.

        Il se tourne vers la jeune femme.

—   Honorine, ajoute-t-il avec douceur, veux-tu raconter ?  N’aie pas peur, personne ne te juges ici. 

        Tiens, se dit Ya Ming, on est heureux d’apprendre ça ; j’avais plutôt l’impression du contraire.  La jeune épouse s’essuie le nez mais garde les yeux sur la table.  Tous la dévisagent en attendant la réponse.

—   C’était hier après complies, murmure-t-elle enfin, je revenais avec mon panier.  Dans le bois, après le coude du chemin, trois coquins me tombent dessus, m’arrachent mon panier et m’entraînent dans les fourrés. . . (sa voix se casse) . . . j’ai . . . j’ai tenté de résister mais ils étaient trop vigoureux . . . l’un d’entre eux m’a prise . . . les autres ont regardé . . . ils m’ont battue . . . j’ai perdu connaissance . . .

—   . . . c’est ce qu’elle dit, interrompt Serlant.

—   Pourquoi mentirait-elle ? s’insurge Bertrand qui prend la parole pour la première fois.

—   Pour cacher sa faute, pardi.

—   Je ne mens pas, bredouille Honorine, je ne suis pas une gueuse.

        Et la dispute insolite reprend de plus belle.  Ya Ming n’en croit pas ses oreilles.  On disserte sur le drame du jeune couple, en leur présence mais sans les admettre dans la délibération.  On dirait un jury de la Sorbonne pour ne pas dire une procédure d’Inquisition, avec Jean-Jacques Serlant qui fait œuvre de procureur, énonce la loi et prend parti pour le mari, frère François qui juge sans se prononcer tout en essayant vaille que vaille de protéger Honorine, dom Grégoire qui se drape dans une dignité souriante, parle de charité mais se réfugie dans une moralité stérile, et frère Bertrand qui voudrait prendre la défense d’Honorine mais décontenancé par ce drame qui heurte sa bonté naturelle ne trouve pas les mots.  En marge des protagonistes, Philippe Voisin et Jacques gardent un silence embarrassé, et dom Gabriel continue sa ronde autour de la table.  Ya Ming jette un coup d’œil à Sophia mais n’arrive pas à capter son regard ; la princesse semble fascinée par le visage tuméfié d’Honorine.  

        Avec aplomb, Serlant pérore sur l’honneur, la stabilité du mariage, l’autorité sacramentelle du mari, le devoir non moins sacré de l’épouse de se garder pure et disponible ; moins féru de polémiques, submergé par l’assurance du maître des petites écoles, François perd pied, s’empêtre dans les contradictions, parle de moins en moins d’Honorine et de plus en plus de grand malheur ; et Bertrand ne fait que répéter qu’Honorine est une honnête épouse mais personne ne l’entend.  Ya Ming s’étonne du silence de Gabriel ; pourquoi ne casse-t-il pas cette farce absurde ?  La discussion se prolonge, s’enlise dans des digressions, se perd dans des considérations oiseuses.  A un moment donné, dom Grégoire mentionne d’un ton presque triomphant, comme s’il venait de dénouer l’affaire, qu’il connaît un couvent du côté de Troyes qui pourrait accueillir Honorine.  Entendant ces mots qui tombent comme une sentence de mort, la jeune femme lève ses yeux pleins de larmes pour implorer le saint moine qui vient de la condamner, et son regard croise celui de Sophia.  C’en est trop pour la princesse.  Elle assène sur la table un coup de poing d’une violence telle que les tasses et les verres bondissent et se renversent.

—   Non, crie-t-elle, non, pas encore, pas ici, non, je refuse !

        Son cri de rage rebondit sur les murs, cloue Gabriel sur place et pétrifie le reste de l’assemblée.  Devant eux, la rieuse jeune femme vient de se métamorphoser en une furie rugissante.  Sophia donne un nouveau coup de poing sur la table, se lève d’un bond et sort en courant.  Comprenant l’émoi de son amie, Ya Ming se précipite à son tour, imité par Jacques.  Sous le portique, Sophia gesticule comme une convulsionnaire et repousse Ya Ming qui tente de la calmer.  Mais celle-ci ne se laisse pas démonter et repousse Sophia dans le coin opposé du cloître.  Resté près de la porte, les bras ballants, Jacques se sent inutile.  Derrière lui, les autres, y compris Alban et Honorine, s’agglutinent sur le seuil et observent l’étrange scène.  Alors, Jacques trouve ce qu’il doit faire, se retourne vers le groupe et l’incite à rentrer.

—   Laissez la princesse seule un moment avec madame Zhang, le temps de se remettre. 

—   Qu’a-t-elle ? demande Gabriel dont le visage reflète la plus grande inquiétude.

—   Mon père, la princesse est très sensible et cette histoire la bouleverse ; mais elle est forte aussi et s’en remettra.

        Gabriel hoche la tête, fait signe aux autres de réintégrer leur place.  Jacques s’installe dans l’encadrement de la porte afin de garder un œil à la fois sur la bibliothèque et sur le cloître. 

        Pour contenir Sophia qui s’agite de plus en plus, Ya Ming veut la prendre dans ses bras mais la princesse se dégage, frappe son amie au visage, puis se retourne, se penche et vomit son déjeuner.  Ya Ming encaisse la gifle sans réagir car elle sait d’expérience que grande-soeur s’en veut déjà.  Sophia se relève, accepte le mouchoir que Ya Ming lui tend, va à la fontaine et s’humecte le visage.

—   Excuse-moi, dit-elle en s’essuyant, j’ai perdu la tête

        En guise de réponse, Ya Ming enlace Sophia enfin calmée et pendant un bon moment la maintient contre elle.  Enfin, Sophia relève la tête.

—   Je sais ce que je dois faire, dit-elle.

        Empruntant une langue étrangère, elle parle dans l’oreille de petite sœur. 

—   Qu’en dis-tu ?

—   Tu sais, parfois il faut oublier les règles.

—   Merci. 

—   Euh, Sophia, s’il me pose des questions, je dis quoi ?

—   La vérité, ça vaut mieux.

§

—   Madame Bauduche, renchérit Sophia, on m’a dit qu’avant de convoler, vous teniez un étal au marché de Vitry.  Est-ce là que monsieur Bauduche vous remarquât ?

—   Très vrai, madame, je m’en souviens comme si c’était hier.

—   Ah, fort bien.  Mon père, ne trouvez-vous pas que la rencontre d’amoureux fait toujours un récit charmant ?  Monsieur Bauduche, racontez-nous comment vous avez conquis madame.  Une lutte épique sûrement ?

—   Pas tant que ça, dit-il d’un ton suffisant.

—   Mon mari n’a pas tort, réplique Honorine qui retrouve peu à peu son assurance, ce ne fut pas difficile parce que je voulais bien mais ce fut drôle à se rouler dans la sciure.

—   Ah non, Torine, tu ne vas pas dévoiler ce secret . . .

—   . . . trop tard, s’exclame Sophia avec un grand rire, le chat vient de sortir du sac ; il vous faut le rattraper et nous le présenter.  Monsieur Bauduche, le secret restera entre nous, n’est-ce pas, mon père ?

—   Ni plus ni moins que la confession.

—   Vous voyez, plus rien ne vous retient.

—   Albou, tu veux la dire ?

—   Torine, tu le fais puisque tu veux te moquer.

—   Rire avec toi, mon Albou, n’est pas taquin.

        Sophia pense que les petits noms d’amour que les jeunes mariés viennent de prononcer annoncent la réconciliation.  Les yeux d’Honorine pétillent lorsqu’elle commence son récit.

—   Figurez-vous que c’était un beau matin de juin.  Comme à mon habitude, je vendais mes œufs au marché.  Sœur Jeanne-Baptiste qui m’accompagnait parfois, histoire de renifler l’achalandage, prenait son petit verre à la taverne d’à côté.  Et voilà-t-y pas que dans l’enclos d’en face apparaît un gars beau comme un capitaine.  Me voyant, le faraud se campe amont les bestiaux, retire son galuron et se prosterne d’un air moqueur.  Moi, je fais mon indépendante ; lui, me fait des simagrées.  À ce moment, une vache se soulage sur son soulier.  Et voilà-t’y pas mon Albou qui sautille.  Et moi, derrière ma corbeille, je rie comme une abbesse en chaleur.  Avec du foin, il se torche la galoche et me présente sa poignée de bouse comme une gerbe de muguet.  ‘Fi donc !  Fil ton chemin, vil boquillon !’, que je lui crie en espérant qu’il ne m’écoute pas.  ‘Pas boquillon, qu’il me répond la main sur la hanche, bûcheron du roi.’  Fier en plus, le bûcheron royal !  Je l’aimais déjà.  Arrive une commère qui bouscule le bûcheron et réclame ses œufs ; lui, il échappe sa gerbe qui lui tombe sur le même soulier.  ‘Chiasse ! qu’il jure.’  Et moi, je pleure en acceptant la pièce de la bourgeoise qui s’en va en reniflant.  Seul avec moi, le fanfaron me garoche : ‘Hé, jolie binette : chaude minette ?’  Toc, je réponds : ‘Ho, riche caquet : pauvre paquet ?’  Le voici contant de lui mais moi, je le défie.  Pour faire l’alluré, il prend trois œufs dans le panier et se lance dans une jonglerie, les fait tourner au dessus de sa tête, danse sur une patte, saute sur l’autre.  Je lui crie d’arrêter mais comment mater un faraud de cette espèce ?  Sur ces entrefaites, sœur Jeanne-Baptiste surgit et hurle comme si on venait de lui pincer le cul (sœur Jeanne-Baptiste aime bien hurler mais n’aime pas se faire tâter ; du moins, c’est ce qu’elle dit toujours mais moi je sais qu’elle aime hurler en se faisant piocher, mais ça, ce n’est pas mon affaire) le cri de la corneille trouble l’acrobate qui s’échappe un œuf sur le crâne ; vive comme une sauterelle, pour réduire la perte, sœur Jeanne-Baptiste plonge, attrape les deux autres mais les écrase.  Avec ses mains toute jaunes, elle tape le boquillon qui ne voit plus clair, et moi je pisse sur mes sabots.  Quelle fanfare !  Le poseur se sauve et sœur Jeanne-Baptiste en s’essuyant les mains sur mon tablier dit que je dois payer les œufs cassés.  Moi, je ris trop pour rouspéter.  Après s’être décrotté à la fontaine, le boquillon revient et le chapeau sur le cœur, présente son excuse, offre de régler, je dis la somme et il donne à sœur Jeanne-Baptiste la pièce due.

—   C’est tout ? demande Sophia en s’essuyant les yeux.

—   Mais non, madame, vous allez voir.  Pendant que sœur Jeanne-Baptiste sert un chaland, mon Albou se met à me faire des mimiques; elle se retourne pour le chasser mais lui, sort son sourire de Fête-Dieu et l’asperge de compliments, elle fond sous l’averse, il en remet, elle frétille, il me regarde l’air coquin en lui touchant la collerette, elle roucoule, il s’approche, elle se retourne, il me tire la langue, elle l’a vu et pense que c’est pour elle et se détourne tout à fait, il lui effleure la croupe tout en me regardant, elle lance un cri pas fâché du tout, j’éclate de rire, elle m’expédie au couvent chercher un autre panier ; quand je reviens, il n’y a plus personne et je range mon petit bonheur.  Le beau bûcheron, je me dis, n’est rien qu’un bon-à-rien qui veut une rien-du-tout pour moins-que-rien.  Mais je me trompais et j’en suis bien aise.  Le lendemain, Albou revient et, l’air grave, m’annonce qu’asteur il a la permission de sœur Jeanne-Baptiste de me fréquenter ; elle arrive sur les entrefaites et, avec un petit glouglou, confirme la chose.  On s’embrasse tous les trois.  Je dis ‘merci ma sœur.’  Elle répond ‘petite chieuse, tu ne t’ennuieras pas’. 

—   Dites donc, monsieur Bauduche, vous n’y allez pas de main morte.  Qu’avez-vous fait à la bonne sœur pour la ramollir ainsi ?

—   Comme vous dites, madame, je n’y suis pas allé de main morte.

—   Moi je sais, dit Honorine, mais c’est un secret.

—   Ho ! comment tu sais ça, toi ?

—   Sœur Jeanne-Baptiste m’a montré comment : c’est vrai que ça ramollit.

        Tout le monde éclate de rire, même Alban. 

§