MÉMOIRES DE LUMIÈRES

Verrerie

À l’auberge, seuls dans la salle, Myop et Papillon dégustent une omelette au lard accompagné d’un pain tout frais sorti du four de l’abbaye et d’un vin blanc.  En fait, c’est surtout Myop qui mange.  Papillon, elle, picote son assiette.  Elle sait que ce soir sera son dernier tour de girouette et se sent triste.  La gaieté de Myop ajoute à sa mélancolie.  Pourtant, elle devrait se réjouir parce que Myop lui a dit qu’il avait vu les dames et qu’elles vont bien.

—   Les dames ?  Par hasard, elles ne seraient pas la princesse aux cheveux d’or et la marquise chinoise qui résident à l’abbaye ?

—   Comme toujours, le gentil lépidoptère voit juste.  Mais il serait avisé de garder ce secret pour lui.  Personne, tu m’entends, personne ne doit savoir que je m’intéresse à ces dames.  La plus anodine indiscrétion pourrait leur être fatal.

        Papillon fait oui de la tête.  Son assiette vidée, Myop se lève.

—   Le gracieux lépidoptère voudra-t-il me faire l’honneur de partager ma couche, prononce-t-il sur un ton cérémonieux.

        Papillon hausse les épaules, se lève à son tour, attrape le bougeoir et précède son client à la chambre.  Allumé à la demande de Myop, un brasero y répand une douce chaleur.  Myop verrouille la porte et se tourne vers Papillon.

        Toute sa vie, elle tentera de revivre cette nuit étrange et merveilleuse mais ne se rappellera que des sensations enivrantes.  Elle se souvient qu’au début, ils restèrent debout.  L’homme lui prit le visage entre ses mains et plongea son regard dans le sien.  Elle ressentit un engourdissement délicieux et sourit à sa félicité.  L’homme l’enlaça et lui caressa les cheveux ; confiante, elle posa son front sur l’épaule qui s’offrait à elle.  Il lui donna un baiser discret sur la nuque, à peine un effleurement à la naissance des cheveux.  Elle se sentit molle, comme une herbe dans le ruisseau.  Avec tendresse, il la mena contre le mur, la pressa de son corps et l’embrassa, d’abord des petits baisers sur le front, sur les yeux, sur la tempe, puis sur les lèvres, encore sur les lèvres, des baisers de plus en plus pressants.  Elle se souvient d’avoir ouvert la bouche et d’avoir accueilli avec sa langue les baisers de l’homme.  Il lui murmura des mots qu’elle ne comprenait pas mais les sons lui étaient agréables.  Elle s’abandonna à la volonté de l’homme et trouva grisante cette soumission qu’elle souhaitait.  Elle n’était pas ivre, ça, elle s’en souvient bien, mais se sentait vacillante comme si elle l’était.  Il faisait chaud.  L’homme la déshabilla et elle se souvient qu’elle avait envie d’être nue.  L’homme se dévêtit à son tour et reprit ses baisers.  Elle sentit la verge de l’homme durcir contre son ventre et aima cette sensation.  L’homme s’agenouilla et baisa son pubis.  Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de caresse mais laissa faire, trouvant normal que l’homme vénérât sa féminité.  La bouche de l’homme s’infiltra dans son sexe et goba la cerise.  Elle aima.  Ce festin se prolongea et elle aima encore plus.  Tout à coup, sans raison pensa-t-elle, il arrêta ses baisers et ce retrait l’affola ; presque avec brutalité, elle saisit la nuque de l’homme de ses deux mains et le força à plonger à nouveau sa langue dans sa vulve.  Ce fut à ce moment qu’elle ressentit une griserie s’infiltrer en elle comme un philtre.  Son cœur s’accéléra et elle se sentit mouillée entre les cuisses.  Toujours à genoux, l’homme buvait son liquide, gobait sa fleur de plaisir et l’excitait de sa langue.  Elle frissonna.  D’abord imperceptible, le tressaillement s’amplifia, lui tordit le ventre et lui hérissa les mamelons.  Elle compressa ses seins à pleines mains et ces caresses lui procurèrent un étrange plaisir.  Elle se mit à encourager l’homme avec des mots incohérents, demandant, oui, exigeant que jamais il ne cessât.  Elle râlait et roulait la tête contre la paroi.  Tout à coup, un éclair de plaisir la transperça, elle hurla et se crispa.  L’homme se releva, la prit dans ses bras et avec une lenteur qui l’enchanta la déposa sur le lit.  Elle s’étira, écarta les jambes, ouvrit les bras et s’offrit.  Il s’allongea sur elle, la caressa entre les cuisses, la pénétra d’un doigt, puis de deux, chercha longtemps le secret du plaisir, le trouva enfin et elle se cabra en criant son bonheur.  L’homme retira sa main, redressa son giron au dessus d’elle et le redescendit lentement, guidant son membre raidi en elle, pénétrant son con ruisselant de cyprine.  Pendant un siècle il lui a semblé, l’homme resta ainsi prisonnier, presque sans bouger, à peine mû d’une pulsation qui la comblait.  Mais elle se rappelle qu’elle voulait plus.  Tout à coup, une tempête de volupté se déchaîna dans son ventre.  Elle cria, s’agrippa à l’homme, lui laboura le dos de ses ongles, verrouilla ses chevilles derrière ses reins pour mieux goûter cet incommensurable déferlement.  L’homme bougea, d’abord lentement, puis plus rapidement, puis par secousses, tendres et violentes, elle ne savait plus et s’en moquait, donna des coups de reins qu’elle encourageait de butoirs inverses.  Ils roulèrent dans le lit et elle se retrouva à cheval sur l’homme.  Pour amplifier l’amour, il se soumettait à elle.  Elle, devenue cavalière de lumière ; lui, cheval de nuage !  Longtemps, l’amazone de feu chevaucha son destrier d’air, galopant sur le vent de jouissance, toujours sur le point de plonger dans la crevasse infinie de l’extase, toujours redressant sa monture et rebondissant vers de nouveaux ciels de bonheur.  Tout à coup, son corps explosa de spasmes nouveaux, indicibles, sublimes, exacerbés par le plaisir violent que l’homme déchargeait en elle.

        Cette nuit-là, pour la première fois, Papillon jouissait.  Ça, elle s’en souvient clairement.

§