MÉMOIRES DE LUMIÈRES
Barbarie
— Mesdames, venez voir le résultat de ce crime ignoble.
Prenant Sophia par le bras, il l’entraîne vers la charrette des paysans. Ya Ming, Jacques et Joseph leur emboîtent le pas. Les cadavres ensanglantés du vieillard et du mousquetaire y reposent ; ceux des femmes s’entassent dans la carriole. Par pudeur, on avait jeté sur les dépouilles les lambeaux de leurs robes. Mais les cahots de la route avaient déplacé les vêtements, si bien que les drapés épars conféraient à ces corps de femme étranglée une morbide lubricité. Sophia a un haut le cœur. Elle arrache sa cape et l’étend sur les cadavres. Sans doute prise de remord, une paysanne saisit le manteau, le remet à Sophia et à sa place dépose son propre fichu. Trois autres villageoises l’imitent. Jacques remarque que le visage de la princesse, habituellement si lumineux, se décompose. Il pense qu’elle va s’évanouir. Ya Ming prend le bras de son amie et le serre très fort. La princesse la remercie du regard. Ne pouvant plus supporter cette scène, elle se retourne et se couvre le visage de ses mains. Ya Ming entraîne son amie à l’écart, lui parle doucement. Jacques entend Sophia qui répète comme une litanie qu’elle doit surmonter son dégoût, qu’elle doit se contrôler, se contrôler, se contrôler, absolument se contrôler.
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