PRÉSENCE DE LUMIÈRES
Laïcité Loi 21 : Article de Daniel Baril, président du MLQ
Jugement Blanchard sur la laïcité de l’État : un jugement à revoir de fond en comble
Daniel Baril, président
Mouvement laïque québécois
Cet article a été publié dans des médias de Montréal, en juin 2021
En tant qu’intervenant en défense de la Loi sur la laïcité de l’État, le Mouvement laïque québécois a résolu de porter en appel le jugement Blanchard qui diabolise cette loi et qui ne reconnait sa validité que parce qu’elle fait appel aux clauses de dérogation des chartes québécoise et canadienne.
L’analyse que nous avons faite de ce jugement nous conduit à conclure que le juge Marc-André Blanchard a commis de très nombreuses erreurs de droit. L’une des principales erreurs a été de dénaturer l’arrêt de la Cour suprême MLQ contre Saguenay en permettant à des agents de l’État (dont fait partie le personnel enseignant des écoles publiques) de pratiquer leur religion au travail et d’ignorer totalement leur obligation de neutralité religieuse.
De sa tribune, le juge Blanchard a reconnu avoir lu 15 fois l’arrêt MLQ. Pourquoi donc? Cherchait-il une faille permettant de contourner ce jugement qui, s’il est bien compris, permet à notre avis d’éviter le recours aux clauses dérogatoires?
Cet arrêt de la CS énonce clairement que la présence de symboles religieux à l’intérieur d’une institution publique est un indice d’une violation de la liberté de conscience des usagers du service. En toute logique, cette affirmation vaut aussi pour les signes et vêtements religieux portés par le personnel enseignant.
En ignorant le devoir de neutralité religieuse des enseignants et enseignantes, le juge leur a reconnu un droit de pratiquer leur religion dans l’exercice de leur fonction alors que les requérantes n’ont nullement démontré l’existence d’un tel droit.
Le juge s’est ainsi livré à un exercice de conciliation entre la volonté de certains enseignants de pratiquer leur religion à l’école et les droits des élèves de fréquenter des institutions publiques laïques respectant leur liberté de conscience. Cette posture va à nouveau à l’encontre de l’arrêt MLQ c. Saguenay dans lequel la CS déclare que l’obligation de neutralité religieuse de l’État, « n’implique pas d’exercice de conciliation des droits ».
Cet essai inopportun de conciliation des droits impose aux parents le fardeau de prouver l’effet préjudiciable du port des signes religieux sur l’éducation de leurs enfants alors que l’article 41 de la Charte québécoise leur permet de s’assurer que l’éducation morale de leurs enfants soit conforme à leurs convictions et à leur intérêt, et ce sans autre forme d’enquête.
En niant tout effet que peut avoir le port de signes et de vêtements religieux sur les élèves, le juge Blanchard a également fait fi d’un autre arrêt de la CS (R. c. Audet) qui stipule qu’« en raison de la position de confiance qu’ils occupent, [les enseignants] exercent une influence considérable sur leurs élèves » et « qu’aucune preuve n’est nécessaire pour soutenir » cette évidence. Le juge Blanchard a néanmoins écarté les témoignages des experts du MLQ, les professeurs Jacques Beauchemin et Georges-Auguste Legault, qui ont fait la démonstration de l’influence des signes religieux portés l’année entière par les modèles que représentent les enseignants.
Le juge a également complètement évacué les témoignages des parents qui ont notamment exposé le dilemme moral qu’ils doivent affronter lorsque les enseignants de leurs enfants affichent des croyances religieuses contraires aux valeurs qu’ils cherchent à inculquer à leurs enfants.
Langue et laïcité
D’autre part, le juge Blanchard a exclu la English Montréal School Bord (EMSB) de l’application de la loi 21 en raison des droits linguistiques que leur reconnait la constitution canadienne, ce qui est en soi une aberration dont l’objectif d’embêter le gouvernement est manifeste. L’arrêt MLQ c. Saguenay s’applique à l’ensemble des institutions publiques partout au Canada, quelle que soit la langue utilisée. Le Régime pédagogique du Québec est le même pour toutes les écoles publiques, quelle que soit la langue d’enseignement.
En pure contradiction avec sa demande, la EMSB a d’ailleurs elle-même déposé la règlementation relative au cours Éthique et culture religieuse qui requière une « stricte neutralité religieuse » de la part des enseignants, ce que le juge a également ignoré.
Le juge Marc-André Blanchard a manifestement rendu un jugement politique reflétant une méconnaissance des principes de base de la laïcité. Tout au long du procès, il a manifesté ouvertement son accord avec les propos des opposants à la loi et son agacement face aux propos des témoins et des plaideurs favorables à la loi. Rappelons que c’est ce même juge qui a invalidé la partie de la Loi sur la neutralité religieuse qui stipule que les services publics doivent être reçus et donnés à visage découvert. N’eût été les clauses dérogatoires dans la loi 21, il lui aurait fait subir le même sort.
Le gouvernement du Québec a une responsabilité dans l’issue de cette cause. En ne faisant valoir, pour toute défense, que la légitimité de la loi et en ne soufflant mot de sa raison d’être, il a non seulement raté l’occasion de faire oeuvre pédagogique en exposant les principes et les valeurs de la laïcité auprès du public, mais il a également laissé la voie libre au genre de jugement que Marc-André Blanchard ne pouvait éviter de rendre.