PRÉSENCE DE LUMIÈRES
La religion chez les tout-petits
C’est l’article de madame Lysiane Gagnon intitulée Orwell à la garderie (La Presse, vendredi 31 décembre 2010) qui m’a fait froncer les sourcils. La vénérable chroniqueuse y critique le nouveau règlement du gouvernement du Québec destiné à encadrer l’endoctrinement religieux dans les Centres de la petite enfance.On sait qu’il y a une centaine de garderies ‘religieuses’ au Québec.
Le 21 décembre dernier, le site catholique.org confirmait ce chiffre et précisait « qu’environ une centaine de services de garde de différentes confessions – chrétiens, islamiques et juifs dont certains ultra-orthodoxes et ouvertement dédiés à initier les tout-petits à leurs dogmes et leurs croyances – sont directement visés par la directive gouvernementale [du Québec]. Ils ont donc quelques mois pour modifier de fond en comble leur programme éducatif. » Le site catholique relaie ce que tout le monde sait : au Québec, on pratique l’endoctrinement religieux dans plusieurs CPE.
Madame Gagnon semble outrée. « Le Québec est-il tombé sur la tête? » demande-t-elle et, bien sûr, elle répond par l’affirmative. Elle clame que « le nouveau credo laïc, aussi absolutiste et rigide que l’était l’ancienne croyance catholique, s’étend maintenant aux garderies . . . les contorsions [du gouvernement du Québec] . . . sont d’un loufoque à faire pleurer . . . etc., etc.
Une remarque en passant. Je ne connaissais pas l’existence d’un ‘credo’ laïc. En revanche, je connais les déclarations de foi des doctrines chrétiennes, musulmanes et juives. Elles débutent toutes par un « je crois en Dieu, en Allah ou en Yahvé ». Les promoteurs de la laïcité, qu’ils soient croyants, agnostiques ou athées, ne se réclament d’aucun dieu et se contentent de militer en faveur d’une société pluraliste et pacifique. Les promoteurs de la religion, eux, ne font que perpétuer leurs superstitions. Dans sa diatribe, madame Gagnon traite la laïcité d’absolutiste et de rigide, qualificatifs qu’elle compare à ceux de ‘l’ancienne croyance catholique’. Est-ce à dire qu’il y aurait une nouvelle croyance catholique qui, elle, ne serait ni absolutiste, ni rigide? Ce n’est pas l’impression que donnent Benoît XVI, les cardinaux Ouellet et Battista Re, et l’évêque Sobrinho. Et les croyances musulmanes et juives, seraient-elles tout à coup devenues des parangons de relativisme et de flexibilité? Ce qu’il y a de bizarre dans l’argument de madame Gagnon, c’est qu’elle persiffle la laïcité en la comparant à une religion afin de promouvoir cette même religion qu’elle vient juste de dénigrer en la comparant à la laïcité.
Revenons à nos bambins. Grosso modo, les CPE religieux du Québec appartiennent aux trois religions monothéistes : chrétienne (surtout catholique), musulmane et juive (surtout orthodoxe). On ne sera pas surpris de constater le caractère communautariste de ces CPE. Je veux dire : on ne trouve pas beaucoup de petits catholiques dans les garderies hassidiques, ni beaucoup de petits juifs dans les garderies coraniques, ni encore beaucoup de ‘sans-religion’ dans ces lieux exclusifs, etc. Force est de constater que ce sont des établissements repliés sur eux-mêmes qui ne favorisent pas la formation de citoyens ouverts aux autres, respectueux des valeurs et des lois de la société dans laquelle ils vivent. Pourquoi? Parce que pour les religieux qui encadrent les enfants dans ces CPE, la loi de Dieu prime sur la loi de la société.
Madame Gagnon trouve ridicule que le règlement permette la visite au CPE d’un curé, d’un imam ou d’un rabbin mais, en même temps, lui interdise de parler de religion. Elle a raison sur ce point. S’il ne cause pas religion, un prêtre, en tant que prêtre, n’a rien à dire. En revanche, madame Gagnon devrait s’interroger sur le motif de la présence d’un officier du culte chez les tout-petits. Pourquoi tient-il tant à ‘parler’ à des gamins qui n’arrivent pas très bien à distinguer les Bratz des Rebecca Rubin, ou les Polly Pocket des Barbie casher ou autres Fullah halal? Toujours, dans les CPE ou ailleurs, les prêtres se présentent comme les envoyés de Dieu, investis de l’autorité suprême, dispensateurs de la vérité incontestable.
L’appétit d’hégémonie des religieux est insatiable. Non seulement veulent-ils prêcher mais en plus tiennent-ils à contrôler l’école, toute l’école, le programme pédagogique, la politique d’admission et le personnel. Le directeur du CPE Beth Rivkah, à Montréal, monsieur Yosef Minkowitz, explique que « toutes les activités journalières [de son CPE] sont pénétrées de l’esprit de la Torah et de la tradition juive », et il précise que « la connaissance acquise durant les années cruciales de l’enfance reste gravée de façon indélébile dans le cœur et l’esprit de l’enfant. Ceci, dit-il, est la raison pour laquelle le plus sage de tous les hommes, le Roi Salomon, nous enseigne : ‘Éduque ton enfant selon sa voie; [car] même quand il sera âgé, il ne s’en détournera pas. C’est ce qui est le principe de base du CPE. » C’est limpide et pas du tout surprenant. En matière de morale ou de vie collective, dans les CPE religieux, on n’enseigne que ce qui favorise le dogme. On transmet des certitudes et on ignore le doute. On clame la croyance et on vilipende la raison.
Il est instructif de confronter la déclaration de principe du bon rabbin à ce qu’écrivait Condorcet en 1792, dans son mémoire à l’Assemblée nationale de France intitulé L’organisation générale de l’instruction publique : « L’éducation, si on la prend dans toute son étendue, ne se borne pas seulement à l’instruction positive, à l’enseignement des vérités de fait et de calcul, mais elle embrasse toutes les opinions politiques, morales ou religieuses. Or, la liberté de ces opinions ne serait plus qu’illusoire, si la société s’emparait des générations naissantes pour leur dicter ce qu’elles doivent croire. » Condorcet prônait une éducation basée sur la raison et non sur l’arbitraire. Madame Gagnon concédera-t-elle que Condorcet n’était pas moins sage que Salomon ?
D’ailleurs, on peut espérer que l’humanité a évolué depuis Salomon, depuis aussi la rédaction des textes doctrinaires des religions monothéistes.
J’ai dit que les CPE religieux en particulier, et les écoles confessionnelles en général, inculquent aux enfants un enseignement conforme aux préceptes de leur religion. Qu’est-ce à dire ?
Par exemple, est-ce que ça signifie qu’on y enseigne comme parole divine la supériorité de l’homme sur la femme, comme le proclame leur doctrine ? Mais alors, cet enseignement serait contraire à la loi du pays, contraire aussi aux chartes des droits, contraire encore aux conventions et aux principes d’éducation de l’UNESCO.
Est-ce que ça signifie aussi qu’on y enseigne comme vérité indubitable qu’il n’existe qu’une seule ‘vraie’ religion, et qu’elle est celle des maîtres de l’école ? Mais alors, cet enseignement serait en contradiction aux articles 13 et 14 de la convention de l’UNICEF qui stipulent que les enfants ont droit à la liberté d’expression, de pensée, de conscience et de religion, et que les parents ont l’obligation de faire respecter ce droit.
Est-ce que ça signifie qu’on y enseigne qu’il faille vouer aux gémonies les homosexuels, comme le prescrivent leur doctrine ?
Comment enseigne-t-on les sciences dans les CPE religieux ? Par exemple, que dira l’enseignant religieux au petit curieux qui brandit une figurine de dinosaure? Lui expliquera-t-il que la Genèse de la Bible n’est qu’une belle légende, que ce qu’il lui faut retenir, c’est plutôt l’enseignement de Diderot, Lamarck, Wallace, Darwin, Mendel et de multiples autres scientifiques. En somme, abordera-t-il la théorie de l’évolution ? Ou au contraire énoncera-t-il la fiction du créationnisme ?
La principale différence entre l’enseignement religieux et l’enseignement éclairé – c’est-à-dire issu de la philosophie des Lumières – se situe sur le plan du ‘doute’. L’enseignant religieux professe des certitudes, l’enseignnt philosophe enseigne le doute. C’est pour cette raison que l’idée d’un « crédo laïc » est absurde.
Ai-je raison de m’alarmer ? Je ne pense pas. Glanées dans l’actualité des derniers mois, les horreurs du monde édifiant des religions font frémir.
En Ontario, madame Alice Anne LeMay, une bonne catholique et présidente du Halton Catholic School Board, bannit des écoles de sa juridiction les ‘gay-straight alliance groups’ sous le prétexte, dit-elle, que ces associations « do not fit the teachings of the Catholic Church . . . for the same reason the Board does not allow Nazi groups. » Heureusement qu’elle ne dispose pas d’une armée pour faire exécuter son diktat.
Le nouveau gouverneur de l’Alabama, Robert Bentley, déclare que seuls les chrétiens qui acceptent Jésus-Christ comme leur sauveur sont ses ‘brothers and sisters’. Il s’est fait rabroué mais cette sortie témoigne d’une mentalité religieuse d’exclusion, le genre de mentalité que l’on retrouve dans les CPE religieux.
Récemment, à Alexandrie, des islamistes massacrent des coptes. Lorsqu’ils détenaient le pouvoir, au IVe siècle par exemple, les chrétiens d’Alexandrie assassinaient allègrement les païens et les juifs. Pour s’en convaincre, il faut voir le beau film du cinéaste espagnol Alejandro Amenàbar, Agora. Le chef des tueurs chrétiens était l’évêque Cyrille, sanctifié par l’Église. La plus célèbre de ses victimes fut la philosophe Hypatia d’Alexandrie. Cette grande dame avait le triple défaut d’être femme dans un monde d’hommes, libre penseur dans un monde de fanatiques, et scientifique dans un monde de superstitieux.
En Israël, en décembre dernier, des rabbins proclament qu’il est interdit de louer ou de vendre des appartements à des non-juifs. Quelques jours plus tard, plusieurs épouses de ces même rabbins demandent aux femmes juives de ne pas fréquenter en privé, ni de côtoyer au travail des hommes arabes. Voici des religieux qui pratiquent la discrimination au nom de leurs croyances.
Le 20 janvier dernier, dans la ville ‘sainte’ de Karbala, en Irak, deux voitures piégées explosent, tuant 45 personnes et blessant 150 autres. La veille, toujours en Irak, un autre attentat fait 15 victimes. Remarquons que ce sont des musulmans qui assassinent des musulmans au nom d’Allah.
Le 30 décembre dernier, Le Devoir titre : « Carnage évité à Copenhague ». Des militants islamistes voulaient faire exploser le siège du quotidien Jyllands-Posten qui, en 2005, avait publié des caricatures de Mahomet. Voici le fanatisme religieux qui s’attaque à la liberté d’expression.
À Islamabad, au Pakistan, le gouverneur Salman Tasser est assassiné par l’un de ses gardes du corps au cri de « Allah est grand ! » Pourquoi ? Parce qu’il s’opposait à l’application de la peine de mort pour punir le crime de blasphème contre Mahomet. Il voulait sauver la vie d’une paysanne chrétienne accusée de blasphème. Peu de temps après, 40 000 fondamentalistes religieux déferlent dans Karachi pour acclamer l’assassin du gouverneur et menacer de meurtre tous ceux qui s’opposeraient à la loi de Dieu. Au cours des trois dernières années, au Pakistan, les attentats au motif religieux ont fait plus de 4 000 morts.
Depuis la mort de Mahomet, les frères ennemis de l’Islam, les chiites et les sunnites, s’affrontent et s’entretuent. Par exemple, les chiites d’Iran instrumentalisent le mouvement Hezbollah au sud Liban, pays de conflit perpétuel entre musulmans, chrétiens et juifs.
Au cours des siècles, les chrétiens ont fait maintes fois la démonstration qu’ils étaient aussi sanguinaires que les fondamentalistes musulmans ou juifs. Souvenons-nous des croisades contre les Maures ou les Albigeois, des guerres de religion, de la Saint-Barthélemy, des bûchers de l’inquisition et de la chasse aux sorcières. Il n’y a pas si longtemps, les catholiques et les protestants s’entretuaient en Irlande du Nord.
Je passe sous silence les innombrables crimes de pédophilie commis par le clergé catholique.
La liste des crimes commis au nom de Dieu, d’Allah et de Yahvé est sans fin. Et ce sont les doctrines qui alimentent ces conflits que l’on impose aux tout-petits dans les CPE religieux.
C’est pourquoi, selon moi, il faut sortir la propagande religieuse des CPE et des écoles. Parce que nous souhaitons vivre dans une société pacifique.
Que l’on me comprenne bien. La laïcité n’est pas une religion mais une valeur sociétale. Et la neutralité de l’État est le corollaire de la laïcité. Si je favorise la laïcité, c’est parce que je souhaite vivre au sein d’une société où règnent la liberté de conscience et la cohésion nécessaire à la paix sociale. Seule la laïcité permet à toutes les opinions religieuses ou idéologiques de s’exprimer librement, dans la mesure où ces opinions n’attisent pas la haine, n’incitent pas à la violence et n’entrent pas en conflit avec les lois civiles votées par les assemblées démocratiques. Dans cette société pluraliste, la croyance religieuse demeure dans le domaine du privé. Les religions existent, possèdent leurs lieux de culte, peuvent manifester pour afficher leur foi. En revanche, les activités de l’État restent laïques, y compris les CPE. Si l’État laïc protège la liberté religieuse, il ne finance pas les religions. Car alors ce serait discriminatoire envers une part importante de la société qui ne se réclame d’aucune religion. Les agents de l’État n’affichent pas plus leur allégeance religieuse que leur allégeance politique.
Michèle Sirois dit:
29 Mar, 11 a 21 h 55 minTexte très bien argumenté avec lequel je suis d’accord à 100%.
Lorsque j’ai parlé à Denise Bombardier au sujet de la venue de Wassyla Tamzali, elle me disait qu’elle était amie avec Lysiane Gagnon. Elle m’a alors confié que Lysianne Gagnon était mariée avec un Juif new-yorkais et que cela faisait en sorte qu’elle attaquait tout ce qui pouvait attaquer de près ou de loin son mari et sa religion. Quitte à être irrationnelle et à se contredire, comme ce que tu lui reproches.
J’aime te lire: c’est clair et bien documenté.
Michèle