PRÉSENCE DE LUMIÈRES

Insipide cabane à sucre

Cabane a sucre

Habituellement, monsieur Yves Boisvert nous sert des petits délices. Chroniques intelligentes et pas du tout indigestes. Mais aujourd’hui (19 décembre 2009), il nous garoche une consternante gibelotte.

Le chroniqueur de La Presse revient sur l’épisode de monsieur Michel Robichaud qui, à un guichet de la SAAQ (sic), avait demandé de ne pas être servi par une dame portant un foulard islamique. On a refusé, il a rouspété, on l’a renvoyé à la queue de la file d’attente, il a quitté, a porté plainte devant la Commission des droits de la personne et a été débouté sous prétexte que la laïcité et la neutralité de l’État n’a jamais été proclamé au Québec.

D’abord, clarifions un point : Contrairement à ce qu’écrit monsieur Boisvert, il s’agit de la RAMQ et non de la SAAQ. Coquille factuelle qu’il me serait inconvenant de souligner.

Le chroniqueur affirme que monsieur Robichaud aurait capoté. Est-ce vrai? Bien sûr, il s’est insurgé. Mais pourquoi pas? Pourquoi n’aurait-il pas le droit d’être traité avec la même considération que tous les autres demandeurs d’accommodement? En lisant l’article du 19 décembre, monsieur Robichaud a du se sentir bien seul. Tout le monde était contre lui. Même l’éminent chroniqueur Boisvert qui endosse la position de la RAMQ et renvoie vertement monsieur Robichaud à la queue de la file. Du même souffle, le chroniqueur expédie aussi au même endroit les demandeurs hassidiques. Sauf que sa gesticulation ne correspond pas à la réalité : le demandeur hassidique est accommodé et monsieur Robichaud ne l’est pas. On peut alors comprendre celui-ci quand il affirme que la pratique des accommodements est à géométrie variable.

Au moment de la commission Bouchard-Taylor, j’avais identifié trente-trois ‘incidents’ reliés aux accommodements pour motif religieux, incidents qui ont posé problème et qui furent relayés par les média. De ce nombre, trois mettaient en cause la communauté sikh, 18 impliquaient la communauté juive, notamment les Hassidim, et 14, la communauté musulmane. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Canadiens-Français [1] n’abusèrent pas des accommodements (sauf peut-être les Témoins de Jéhovah). Alors, pourquoi, quand l’un le fait, est-il rabroué par la RAMQ, la Commission des droits et monsieur Boisvert?

Le chroniqueur affirme que ‘le principe en jeu, ici, c’est l’égalité des sexes.’ Il ajoute que ‘le port du voile islamique n’accorde pas [à la femme] un statut juridique inférieur à celui de l’homme’ Mais sur quoi se base-t-il pour lancer une telle affirmation? Les faits historiques disent le contraire. La religion musulmane, comme d’ailleurs la religion chrétienne et la religion juive, stipule comme dogme immuable que l’homme est supérieur à la femme. Forts de ce diktat et se basant sur une interprétation, disons, large du Coran, la plupart des imams recommandent, voire imposent aux femmes musulmanes de porter le voile. Une obligation qui touche uniquement les femmes. Pourquoi cette imposition sexiste si ce n’est que pour les maintenir dans une position inférieure? Beaucoup de femmes musulmanes le pensent.

Les femmes musulmanes portent-elles le voile de leur plein gré ou sont-elles sous influence? Bien sûr, certaines diront qu’elles le portent de leur plein gré mais d’autres chuchoteront ou clameront le contraire. Pourquoi croire les premières et non les secondes?

D’autres encore, comme le chroniqueur Richard Martineau, vont plus loin et disent que le voile islamique n’est qu’une bannière de la propagande islamiste. Si tel est le cas, pourquoi relayer d’emblée cette intoxication?

Mais au delà de l’égalité des sexes, n’y a-t-il pas un autre principe en cause ici , celui de la laïcité de l’État? Monsieur Boisvert comprend sûrement que c’est la neutralité de l’État qui permet, qui garantit la liberté de penser, la liberté de pratiquer la religion de son choix. On peut donc raisonnablement arguer que toute atteinte à la laïcité ouvre la porte à un dérapage qui, en bout de parcours, limitera la liberté. Interdire le port de signes religieux dans la fonction publique n’est nullement une brimade religieuse à l’endroit des musulmans ni à l’endroit de qui que ce soit. La preuve en est que beaucoup d’honnêtes musulmans, d’honnêtes catholoques et d’honnêtes juifs pratiquent leur religion sans l’exhiber.

Monsieur Boisvert affirme que notre laïcité se distingue de la laïcité « à la française ». Il écrit : ‘Il se trouve qu’ici, on a parié plutôt sur la laïcité ‘ouverte’. L’État est neutre, l’individu est libre.’ À mon sens, cette affirmation ne tient pas. D’abord, ici, on n’a parié sur rien du tout. Au Québec, la laïcité et la neutralité de l’État n’ont jamais été proclamées. En conséquence, le vide juridique perdure, et c’est justement à cause de ce vide que monsieur Robichaud fut débouté. C’est ce qu’il s’est fait répondre par la Commission des droits. Ensuite, en disant que notre laïcité se distingue de la laïcité française et en ajoutant que chez nous « l’individu est libre », monsieur Boisvert laisse entendre que l’individu français ne le serait pas. Ou du moins le serait moins. Voilà une affirmation difficile à étoffer.

L’un des problèmes de la position de monsieur Boisvert est qu’elle ouvre la porte à l’arbitraire? Il dit qu’on doit accepter le voile islamique au guichet de la RAMQ, et le refuser au prétoire.  Distinction arbitraire. La laïcité, la neutralité de l’État, notre système de droit, la démocratie sont des institutions qui tendent de nous affranchir de l’arbitraire et de fonder notre société sur des assises rationnelles.

Pour conclure, un mot sur le titre de la chronique : Retour dans la cabane à sucre. Je ne sais pas qui choisit les titres, à La Presse. Est-ce le chroniqueur ou le pupitre? Quoi qu’il en soit, en brandissant ce titre caricatural qui fait référence à l’un des incidents les plus décriés de la saga des accommodements raisonnables, La Presse inflige à monsieur Robichaud un traitement offensant qu’il ne mérite pas.

 


[1] Je connais le sens des mots. Canadien-français n’est pas synonyme de Québécois. Yves Boisvert et Michel Robichaud, par exemple, sont à la fois Québécois et Canadien-français; en revanche, les rabbins du Vaad Haïr sont Québécois mais pas Canadien-français.