PRÉSENCE DE LUMIÈRES
Cure citoyenne dans la loggia
Ces jours-ci, des sondages confirment ce que nous savons depuis longtemps : les citoyens sont écœurés des politiciens. Près de huit citoyens sur dix disent qu’ils se sentent découragés par des politiciens qui ne cessent de leur mentir, affirment même que ceux-ci sont malhonnêtes et ne recherchent pas l’intérêt de la population. Ces mêmes sondages nous révèlent les causes de ce cynisme, à savoir le manque d’intégrité des politiciens, leur congénitale inefficacité, leur propension à accumuler les scandales, leur refus de mettre en place les réformes souhaitées et, de façon plus générale, leur manque d’idées.
Bien sûr, ce consternant portrait ressemble plus à une caricature qu’à une photographie réaliste. Mais on ne peut nier qu’il contient une forte dose de vérité. Le plus bizarre, c’est que lorsque vous rencontrez un député, la plupart du temps vous découvrez une personne dévouée et agréable. Par exemple, ces dernières semaines, j’ai eu l’occasion de côtoyer mon député provincial, madame Carole Poirier, et j’ai été enchanté de mon expérience. Elle est une jeune femme intelligente qui maîtrise très bien ses dossiers.
C’est surtout en groupe que les élus déçoivent.
D’anciens politiciens ou chroniqueurs semblent vouloir excuser les élus et déversent sur les citoyens la responsabilité du cynisme ambiant. Dire que les politiciens sont menteurs ou corrompus est foncièrement injuste, dit l’un. Il y a dans le cynisme des citoyens une certaine paresse, dit l’autre. Ou une ignorance de la chose politique. Je ne suis pas sûr que ces arguments tiennent la route. Le fait de ne pas voter, par exemple, n’exprime pas nécessairement de l’indifférence, il peut signifier aussi une certaine protestation contre des programmes politiques insipides.
Dans un intéressant article de La Presse (11 mai 2010), monsieur Bock-Côté identifie quelques dimensions au problème de la rupture entre les élus et les citoyens. Il cite l’émergence des lobbys qui prennent toute la place dans le débat public, la bureaucratisation de la société, la judiciarisation du politique; il constate en plus que le système politique se construit en marge des intérêts légitimes de la population. Monsieur Bock-Côté n’a pas tort; il s’est juste arrêté en chemin. Il aurait pu ajouter la démission des parlementaires devant les abus du pouvoir financier, leur mollesse devant les crimes des intégristes religieux, leur abdication devant le chantage des pétrolières, leur cécité devant la dégradation de la planète. En plus, monsieur Bock-Côté ne s’est pas interrogé sur la cause de ce dérapage. S’il avait poursuivi son analyse, il aurait découvert que c’est l’incurie des parlementaires, partout en Occident, qui est à l’origine des actuels malaises sociaux. Le désastre de la Conférence de Copenhague sur le climat, en décembre dernier, en est la meilleure preuve.
Heureusement, ce ne sont pas tous les citoyens qui ont baissé les bras. Puis-je me citer en exemple? Sans me péter les bretelles, je peux dire que j’essaie de m’impliquer en politique. Ce blogue en est la manifestation. J’interviens non pas en tant que politicien ou militant partisan, mais en tant que citoyen. Mais ma petite expérience depuis quelques années est plus que décevante. De nombreuses fois, j’ai tenté de contacter des élus. En vain, ou presque. À vrai dire, j’ai tenté à peu près toutes les formes de démarches : appel téléphonique, lettre, courriel, plainte . . . Presque toujours, en pure perte. Par exemple, au plus fort de la crise financière, j’ai envoyé un mémoire au Comité des finances de la Chambre des communes (on peut le lire sur ce site) et demandé à être entendu : on a refusé. Même résultat à propos de mon texte pour reconstruire Haïti.
Au cours des dernières campagnes électorales, autant au fédéral, qu’au provincial ou au municipal, j’ai demandé de rencontrer les principaux candidats. Sur une quinzaine de candidats, un seul a accepté de me rencontrer : mon conseiller municipal. Trois fois, on m’a fait cette réponse suave : ‘Monsieur le Candidat ne peut vous rencontrer parce qu’il rencontre des électeurs.’
Mes petites tribulations seraient sans intérêt si j’étais le seul frustré du pays. Mais je constate que nous sommes très nombreux dans notre confrérie. Huit citoyens frustrés sur dix, ça commence à faire beaucoup.
Nous sommes nombreux à penser qu’il revient aux élus de redresser la situation.
La première chose que les élus pourraient faire – et la plus facile – serait de mieux se comporter au Parlement fédéral ou à l’Assemblée nationale. Ils devraient se souvenir qu’ils sont envoyés à Ottawa ou à Québec pour œuvrer au bien commun, non pour faire le bouffon. Au cours de la période de questions, ils devraient mettre fin aux crocs-en-jambe, aux invectives et aux injures. Les questions de l’opposition devraient être sensées et les réponses du gouvernement, honnêtes et intelligentes. Est-ce trop leur demander?
Ensuite, les élus devraient cesser d’accorder plus d’importance aux enjeux partisans qu’aux enjeux collectifs. Ils devraient accomplir les tâches que les citoyens attendent d’eux et non celles que les stratèges de leur parti commandent.
Entre les campagnes électorales, les absurdes murailles entre les partis devraient tomber. Pourquoi les élus ne mettraient-ils pas en place des groupes de travail multipartites pour résoudre certains problèmes?
Par exemple, avec la montée récente du dollar canadien par rapport au dollar américain, il devenait évident que les consommateurs canadiens payaient certains produits beaucoup trop chers et se faisaient floués en plein jour. Il aurait été heureux de voir un groupe de députés intervenir pour remédier à cette situation.
Autre exemple. Depuis septembre 2008, la planète entière patauge dans une très grave crise financière. Mais jamais avons-nous vu des députés proposer des réformes pour éliminer les niches fiscales des banquiers, discipliner les bourses, encadrer la spéculation sur les devises, éliminer les paradis fiscaux, amender la loi sur les banques pour faire en sorte que la totalité de leurs activités soit encadrée, réglementer les hedge funds, sanctionner les agences de notation, éliminer les produits spéculatifs inutiles, etc. Pourquoi ne font-ils pas ce que réclame la population?
Troisième exemple à partir d’un rappel historique. Au cours des siècles derniers, un peu partout en Europe, les politiciens et les hommes d’affaires d’alors ont fait cause commune pour financer et construire des lieux ou des édifices ouverts au public. La Loggia dei Lanzi de Florence, la Feldherrnhalle de Munich, le jardin du Palais-Royal à Paris, et la Basilica et la Loggia Bernarda de Vicenza en sont des exemples. Pourquoi nos élus (fédéraux, provinciaux, municipaux) et nos financiers ne font-ils pas la même chose?
Ce que la Loggia dei Lanzi symbolise, c’est l’excellence. Actuellement, nos élus ne donnent pas l’impression de rechercher l’excellence pour notre société. En retrouvant le sens de l’histoire, ils seraient amenés à comprendre comment, dans le passé, des élus comme eux ont construit leur cité. Des cités vivantes et dynamiques qui, aujourd’hui, sont considérées comme des modèles à imiter.
Quand je parle d’histoire, j’entends non pas tant l’histoire depuis la dernière élection, mais celle de la patiente construction de la civilisation, celle de la longue marche de la démocratie, celle de l’émergence de l’humanisme et de la société de droit, celle de la construction des villes et des monuments qui constituent aujourd’hui ce que nous appelons fièrement le patrimoine de l’humanité. Nos élus sont-ils en train de perpétuer la civilisation, sont-ils en train d’ériger le patrimoine futur d’humanité?
Les taches urgentes de nos élus sont nombreuses.