PRÉSENCE DE LUMIÈRES
Activisme multiculturaliste

Les enfants à protéger
Le procès Shafia est terminé. On connait le verdict qui ne souffre d’aucune ambigüité : le père, la mère et le fils aîné sont coupables du meurtre prémédité de trois adolescentes de la famille et de la première épouse. En d’autres termes, le père Shafia et son épouse, Touba, ont assassiné de sang froid leurs enfants et la première épouse de Shafia; quant au fils aîné Hamed, ce sont ses sœurs et sa « tante » qu’il a assassinées.
Le motif du crime était de laver l’honneur du père soi-disant souillé par le comportement de ses filles qui souhaitaient vivre selon les valeurs de la société canadienne, à savoir s’habiller comme leurs copines, sortir avec des garçons de leur choix, ne pas porter le voile, etc. Après le prononcé de la sentence du jury, le juge a dénoncé la conception tordue de l’honneur qui a motivé ce crime particulièrement haineux.
Au cours des deux années qui ont précédé le drame, les filles Shafia ont appelé à l’aide. Au moins trois fois, elles ont crié au secours. Elles ont alerté la Direction de la protection de la Jeunesse (DPJ) et leur école; l’une des filles s’est même réfugiée à un centre pour femmes battues. Peine perdue. À chaque fois, on a classé le dossier.
Aujourd’hui, la DPJ fait son mea culpa. Elle explique le cafouillage par son manque de préparation face à ce genre de problème (le meurtre d’honneur nous était inconcevable, admet madame Michelle Dionne, la directrice de la DPJ de Montréal), et par les difficultés de communication entre les sections anglophone et francophone de la DPJ (aujourd’hui, cette carence est corrigée, assure madame Dionne). En plus celle-ci dit que, maintenant, la DPJ « s’appuiera sur l’expertise de consultants en affaires ethnoculturelles et développera un réseau d’aidants naturels ». Elle ajoute que la médiation impliquant ces aidants naturels fera partie des modes d’intervention de la DPJ.
À vrai dire, je suis loin d’être rassuré par le discours de madame Dionne. Je vais tenter d’expliquer pourquoi.
Mon souci touche une idéologie un peu tordue qui s’infiltre de plus en plus au sein des Centres de santé et de services sociaux (CSSS) et de la Direction de la protection de la jeunesse. Je veux parler du multiculturalisme activiste. C’est l’une de ces consultantes en affaires ethnoculturelles chères à madame Dionne qui exprime cette mentalité avec le plus d’éloquence. En novembre dernier, sur les ondes de Radio-Canada, parlant des conflits familiaux au sein de familles immigrantes musulmanes, madame Cécile Rousseau, psychiatre, professeure à l’Université McGill, intervenante au CSSS de la Montagne et, aux dires d’une journaliste de La Presse, porte-parole officieux de la DPJ, affirmait qu’il ne fallait pas débusquer (ou dépister!) la violence au sein de ces ‘communautés’ afin de ne pas les traumatiser, que c’était par faiblesse que les hommes musulmans violentaient leur épouse ou leurs filles et qu’il fallait les comprendre, que les adolescentes musulmanes pouvaient sans préjudice s’affranchir facilement de leur condition familiale et sociale et que, pour régler les conflits familiaux de ces ‘communautés’, il fallait faire appel à la médiation assurée par des imams.
En décembre 2011, madame Rousseau en remettait. Dans un article de La Presse, elle déclarait qu’une partie de son intervention auprès de la DPJ était « de convaincre la poursuite de ne pas porter d’accusations criminelles (ou de stopper le processus judiciaires) contre des parents immigrants ayant puni leurs enfants beaucoup trop fort selon les normes québécoises ».
Rappelons que madame Rousseau exprimait son point de vue alors que se déroulait le procès Shafia.
Comme madame Dionne, madame Rousseau préconise la médiation sous l’égide d’aidants naturels, notamment des religieux, c’est-à-dire dans le cas des musulmans, des imams. En clair, madame Rousseau préconise la charia et madame Dionne semble d’accord avec elle.Mais nous savons que la charia est interdite au Québec.
Madame Dionne devrait se méfier de ce multiculturalisme activiste. C’est cette idéologie qui explique (en partie!) l’hésitation de la DPJ dans l’affaire Shafia. En effet, cette mentalité relativise le phénomène culturel. Pour elle, toutes les cultures se valent dans n’importe quel contexte sociopolitique ou historique. Pour elle, par exemple, au Canada, la culture afghane ou pakistanaise des immigrants est équivalente à la culture occidentale, canadienne ou québécoise de la société d’accueil. Pour elle, toutes les croyances, même les plus obscurantistes, même les plus passéistes, même les plus barbares, ont droit de cité. Cette mentalité, par exemple, affirmera dans la même phrase le principe absolu de l’égalité entre les femmes et les hommes et qu’il faut accommoder les doctrines religieuses ou communautaristes qui professent que les femmes sont inférieures aux hommes. Cette mentalité valorise les traits culturels qui séparent les citoyens les uns des autres au détriment de ceux qui les rassemblent. Par définition réactionnaire, tournée vers le passé, voulant à tout prix préserver les traits communautaristes des immigrants, cette mentalité crée une société de ghettos qui se côtoient mais qui ne se fréquentent pas. Cette mentalité favorise un racisme odieux. Par exemple, pour l’afghan Shafia, il était inadmissible que sa fille fréquentât un Pakistanais, même si celui-ci était musulman. On peut imaginer sa fureur si sa fille avait épousé un Canadien-français athée ou un Canadien-irlandais catholique.
Selon les codes des communautés dites ethniques, codes valorisés par l’idéologie du multiculturalisme activiste, il est mauvais, immoral, déshonorant que leurs enfants fréquentent, aiment, épousent les enfants de la société d’accueil. L’ostracisme va même plus loin : même après plus d’une génération au pays, certaines communautés ethniques refusent de fréquenter les gens de la société d’accueil (les Hassidim, par exemple). En banlieue de Toronto, on crée une municipalité où seuls les musulmans peuvent vivre (Peace Village); encore à Toronto, on crée des écoles où seuls les Noirs sont admis (Africentric School).
Selon cette mentalité, on assiste au spectacle bizarre de gens qui choisissent le Canada (et le Québec) comme terre d’accueil, qui y sont accueillis avec politesse et une multitude de programmes d’aide et qui, dès leurs arrivée, s’empressent de rejeter avec mépris, dégout presque, la société qui les accueille. Et on est toujours étonné d’entendre les activistes du multiculturalisme faire l’apologie de cette ‘différence culturelle’.
Bien sûr, comme le souligne à juste titre madame Dionne, il faut que les agents de la DPJ soient bien entraînés et sensibles aux diverses cultures des immigrants. Mais les lois et les principes qui régissent nos institutions sont ceux du Canada et du Québec. Et ils s’appliquent exactement de la même façon à tous les citoyens et résidants du pays. Aucun système de valeurs parallèle ou clandestin n’a droit de cité. En clair, la DPJ ne doit pas pratiquer la charia ni aucun autre système similaire.
Faut-il le rappeler : chez nous, il y a une égalité des sexes, et la violence est interdite. Point à la ligne. Tolérance zéro. Il faut donc s’extraire de ce relativisme tordu qui essaie de nous faire croire que les hommes immigrants qui violentent leur épouse ou leurs filles sont des victimes. Non, ceux-ci ne sont que des tortionnaires; et leurs victimes sont les femmes et les filles de leur famille ou de leur entourage. Le risque est entièrement du côté des femmes et des filles. Ce sont elles qui sont battues, ce sont elles qui sont assassinées. Comme les filles Shafia.
Il faut se méfier aussi de l’approche ciblée, chère au multiculturalisme activiste. Cette approche dite ‘du cas par cas’ prescrit notamment qu’il faut moduler la façon d’aborder le problème de la violence familiale en fonction de la culture ou de la religion concernée. Par exemple, on recommande d’aborder une famille musulmane différemment d’une famille canadienne-française. À la limite, cette approche dit que tous les citoyens ne sont pas égaux devant la loi. Réfléchissons un peu : quand les forces policières adoptent l’approche ciblée face aux communautés ethniques, on crie au profilage racial; quand c’est la DPJ qui adopte la même approche, les activistes multiculturalistes applaudissent.
La DPJ devrait faire sienne les bons conseils que donne le Ministère canadien de la Citoyenneté et de l’Immigration, dans son guide aux immigrants intitulé Bienvenue au Canada : ce que vous devriez savoir :
« Les Canadiennes et les Canadiens, ainsi que leurs enfants et leurs familles, s’attendent à se faire traiter avec équité, tolérance et respect. En retour, nous nous efforçons de traiter les autres de la même manière. Nous croyons en l’égalité entre hommes et femmes et ne tolérons pas la discrimination fondée sur la race, l’âge, l’orientation sexuelle ou une déficience physique ou mentale. La dignité des personnes est bien établie dans nos lois et traditions. »
La DPJ accomplit un travail difficile.