PRÉSENCE DE LUMIÈRES

Monsieur Dansereau

Pierre Dansereau (1911-2011)

Pierre Dansereau (1911-2011)

Je l’appelais monsieur Dansereau et il m’appelait Michel, en me vouvoyant.
Monsieur Dansereau n’est plus. Mais à cent ans, on peut dire que son départ s’inscrit dans la logique du grand tourbillon de l’univers qui déroule sans cesse sa mystérieuse destinée. Pour qu’elle s’accomplisse, la vie doit naître, croître, resplendir, se transmettre, péricliter et mourir. La vie s’efface pour que la vie s’épanouisse. Telle est l’écologie du monde, comme l’enseignait monsieur Dansereau.
La première fois que je l’ai rencontré, c’était en septembre 1970. Il était professeur à l’Institut d’urbanisme; et moi, jeune professeur à l’École d’architecture. Fusionnées depuis 1968 au sein de la toute nouvelle Faculté de l’aménagement, les deux institutions logeaient temporairement dans l’édifice principal de l’Université de Montréal. C’était un samedi après-midi : pour une raison ou pour une autre, j’étais allé à mon bureau et j’y avais amené ma fille Stéphanie, alors âgée de deux ans. Passant dans le corridor, je vis la porte de son bureau grande ouverte. J’y jette un coup d’œil : il lisait derrière son pupitre. Je le connaissais de vue mais nous n’avions jamais été présentés. Je frappai sur le battant ouvert, il leva les yeux, j’entrai en traînant ma fille, me présentai, il se leva, se présenta à son tour, m’invita à m’asseoir, se rassit et prit Stéphanie sur ses genoux. Nous avons parlé pendant plus d’une heure.
Par la suite, sur une période de quarante ans, nous avons eu de multiples conversations.
Un jour, alors qu’il me faisait visiter le jardin de sa résidence sur l’avenue Maplewood, il m’expliqua avec une étincelle dans les yeux l’influence des écureuils sur la plantation de ses arbustes. Michel, vous voyez cet arbuste (il m’en donna le nom latin), eh bien, c’est moi qui l’ai planté. Mais ces deux-là (cinquante pas plus loin), ce sont les écureuils qui les ont transplantés.  Remarquable, non?
Un autre soir, alors que nous dînions chez lui en compagnie de nos épouses, il nous raconta une anecdote qui le faisait crouler de rire. Quelques temps auparavant, Françoise et lui avaient été invités à un dîner chez des amis. Roger Lemelin, alors éditeur de La Presse, faisait partie des invités. Le temps de passer à table arriva et Lemelin brillait par son absence. On l’attendit un bon moment, puis on s’attabla. On en était rendu au rôti lorsque Lemelin fit son entrée. Il avait multiplié les apéritifs et titubait quelque peu. La tablée se leva pour accueillir le retardataire et l’hôtesse fit les présentations. Entendant le nom de Pierre Dansereau, Lemelin s’écria : « Comment, vous n’êtes pas mort, vous? Monsieur Dansereau devait vivre encore trente ans.
Lors de nos discussions, nous parlions rarement d’écologie. Nous abordions d’autres sujets, comme l’aménagement du territoire, la politique, Pierre Trudeau et René Lévesque, la géographie et l’histoire, la philosophie, l’art et la littérature. La plupart du temps, il parlait et j’écoutais. Avec ravissement
Un soir, il me téléphona pour m’informer qu’il organisait un petit groupe d’amis pour visiter Machu Picchu. Il souhaitait que je fusse du groupe. À cause de mes engagements professionnels, je dus décliner son invitation. L’expédition se déroula sans moi. Ce fut l’un des grands regrets de ma vie.
Tout au long de la conception et de la construction du Biodôme, il me fut d’un très grand secours.
Je ne sais pas ce que l’histoire retiendra de monsieur Dansereau.
Sera-t-il promu au panthéon des géants de la science écologique, à côté de Darwin, Lamarck et von Linné? Je ne sais pas. L’histoire est tellement capricieuse. Chose sûre, ses idées sur l’écologie humaine contribuèrent à étoffer notre connaissance du monde. Ce n’est pas rien.
Se souviendra-t-on de lui comme d’un grand professeur? Peut-être. Mais qui se rappelle du maître lorsque les disciples ont disparus?
Pour moi, la plus grande contribution de monsieur Dansereau est son message d’humanisme. Dans tous ses discours, dans toutes ses conversations, il clamait sa préoccupation de l’Humain. Il disait qu’il ne fallait pas dissocier l’Humain de la nature, mais qu’en même temps, il fallait reconnaître en lui des attributs exceptionnels, des particularités qui le distinguent de toutes les autres espèces vivantes. Bien sûr, ces attributs sont la conscience de l’autre, l’intelligence et le discernement. L’Humain a droit au bonheur sur Terre, mais il a aussi la responsabilité de rendre la Terre heureuse.
Pierre Dansereau était un homme des Lumières.