PRÉSENCE DE LUMIÈRES
DÉCADENCE, de Michel Onfray
Quelques commentaires sur l’essai de Michel Onfray
Je viens de terminer la lecture de DÉCADENCE, Vie et mort du judéo-christianisme, de Michel Onfray (Flammarion, Paris, 2017, 652 pages, ISBN: 978-2-0813-8092-9).
D’emblée, j’affirme que c’est là un ouvrage remarquable que nul ne devrait ignorer.
En deux mots, la thèse du philosophe français est celle-ci : ‘Toutes les civilisations obéissent au schéma du vivant : naître, être, grandir, croître, se développer, rayonner, se fatiguer, s’épuiser, vieillir, souffrir, mourir, disparaître.’ La civilisation judéo-chrétienne ne fait pas exception. Après un impressionnant survol historique du judéo-christianisme, Onfray affirme que ‘la civilisation judéo-chrétienne européenne se trouve en phase terminale’. Et en conclusion, il laisse entendre que ce serait la civilisation islamiste qui lui succéderait. Il écrit ‘On ne donne pas sa vie pour un IPhone. L’Islam est fort, lui, d’une armée planétaire faite d’innombrables croyants prêts à mourir pour leur religion, pour Dieu et son Prophète.’
L’essai se divise en deux parties intitulées respectivement ‘Le temps de la vigueur’ et ‘Le temps de l’épuisement’, chacune d’elles en trois sections (Naissance, Croissance et Puissance, et Dégénérescence, Sénescence et Déliquescence), et chacune de celles-ci en cinq chapitres qui nous font naviguer sur deux millénaires.
L’histoire de la civilisation judéo-chrétienne démarre avec la fiction de Jésus de Nazareth en tant que personnage de propagande et se termine aujourd’hui avec la fiction hollywoodienne du réel. Onfray écrit : ‘Les Américains, et nous après eux, croient que ce qui n’est pas montré sur un écran n’a pas eu lieu – l’un des signes du nihilisme de la civilisation judéo-chrétienne.’ Ce qui frappe dans ce long parcours, c’est l’hallucinante succession de mensonges, d’ambiguïtés, de rationalisations absurdes et de crimes. On s’étonne : comment de telles élucubrations ont-elles pu nourrir cette civilisation pendant si longtemps? Lincoln a peut-être dit: ‘You can fool all the people some of the time, and some of the people all the time, but you cannot fool all the people all the time’ mais il semble que les maîtres à penser du judéo-christianisme aient réussi à tromper tout le monde tout le temps . . . enfin, pendant 2000 ans. Onfray prétend que l’ère du mensonge tire à sa fin.
A contrario, il convient de souligner que le judéo-christianisme est aussi l’histoire d’un indéniable progrès de l’humanité. Les Judéo-chrétiens vivent mieux aujourd’hui que du temps de Constantin, et ils vivent mieux aussi que la plupart des autres citoyens de la planète. On ne peut nier que ce sont les ‘autres’ qui émigrent dans les pays judéo-chrétiens pour améliorer leur sort, et non l’inverse.
Au-delà de mon estime réelle pour Michel Onfray, j’aimerais suggérer quelques commentaires sur DÉCADENCE. Il ne faudra pas y voir des critiques, plutôt des morceaux de réflexion.
Admiration sincère
J’aimerais exprimer mon admiration sincère pour les 25 premiers chapitres de l’essai. L’érudition y est époustouflante et l’argumentaire, convainquant. Ces chapitres narrent et commentent l’évolution du judéo-christianisme à partir des premiers chrétiens dans l’Empire romain jusqu’à nos jours; le lecteur est invité à cheminer en compagnie de Paul de Tarse, de l’empereur Constantin qui fit du Christianisme la religion officielle de l’Empire, des Pères de l’Église, des Conciles, de Mahomet, des Croisés, des fanatiques religieux qui se firent la guerre au XVIe siècle, des ‘sauvages’ du Nouveau Monde, des hérétiques et des sorcières qu’on brûla allègrement, de Luther et Calvin, du curé-athée Meslier, des philosophes des Lumières et des Révolutionnaires de 1789, des Marxistes-léninistes, de Franco, Mussolini, Pie XI et Pie XII, et d’Hitler et ses chambres à gaz. Bien que passionnants et instructifs, ces chapitres ne suscitèrent en moi aucun commentaire digne d’être rapporté. Il faut croire que j’étais rassasié.
C’est le reste du livre qui m’interpela.
Phénomène européen?
Dans la phrase où il affirme que la civilisation judéo-chrétienne agonisse, Onfray qualifie cette civilisation d’européenne. Je pense que ce n’est pas faux mais que c’est incomplet. Prenons mon cas. Je ne suis pas Européen, je suis Canadien, mais à n’en pas douter j’appartiens la même civilisation judéo-chrétienne qu’Onfray. Toute l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, sauf les peuples autochtones, se réclament de cette même civilisation. Ça fait plus de monde que l’Europe. Bien sûr, le Nouveau Monde fut colonisé par des Européens judéo-chrétiens comme une partie du Vieux Monde fut lui-même envahi par des barbares païens comme les Vikings ou les Magyars. Mais aujourd’hui on ne put pas dire que les Canadiens ou les Australiens soient des Européens, même s’ils appartiennent à la même civilisation judéo-chrétienne, on ne peut pas dire non plus que les Normands ou les Hongrois ne soient pas à la fois Européens et Judéo-chrétiens. Donc, cette civilisation judéo-chrétienne qui agonise n’est pas qu’européenne. Cette précision qui peut sembler futile pourrait s’avérer importante pour la suite des choses . . . je veux dire pour ne pas se tromper sur l’identité de la civilisation qui remplacera éventuellement la civilisation judéo-chrétienne.
Marcel Duchamp?
Les chapitres sur l’art contemporain et sur le structuralisme m’ont étonné. D’abord la question de l’art. Pour étayer sa thèse, Onfray consacre plusieurs pages à Marcel Duchamp. Il lui donne beaucoup d’importance, affirme qu’il a révolutionné l’art pictural, deux fois plutôt qu’une, d’abord en affranchissant l’artiste du support traditionnel de la toile sur cadre, ensuite en bouleversant le regard que l’amateur porte sur l’œuvre d’art.
Aucun historien de l’art ne niera la contribution de Duchamp sur la perception de l’œuvre d’art pictural mais je pense que son influence fut marginale, qu’elle ne toucha qu’une toute petite partie des artistes du monde judéo-chrétien, et qu’une partie des gestionnaires de l’art. Bien sûr, les conservateurs de certains musées d’art contemporain, des commissaires d’expositions et ‘d’installations’, et quelques critiques, historiens et marchands d’art s’entichèrent de cette forme d’expression artistique; mais ce mouvement ne toucha presque pas le grand public. Et elle est largement oubliée aujourd’hui.
Quel est le fait d’arme de Duchamp? Vers 1915, il prit une roue de bicyclette, un égouttoir de bouteilles et un urinoir, déclara que c’était là des œuvres d’art et exposa ces objets de vie quotidienne dans une galerie. Et des gogos de la presse applaudirent. Depuis, il y eut toujours dans ‘le monde de l’art’ des expositions ou manifestations du même acabit. Onfray nous parle de Piero Manzoni qui versa ses excréments dans 90 boîtes de conserve et les mit en vente au prix de leur poids en or. Ça se passait en 1961; Manzoni décéda en 1963. Plus de 40 ans plus tard, une de ces boîtes a été achetée lors d’une vente aux enchères de Sotheby pour 124 000 €; l’année suivante, une autre boîte s’envola pour ‘uniquement’ 97 250 €. On ignore l’identité des généreux collectionneurs, on ignore même si ces ventes furent réelles ou simulées. Certains critiques d’art prétendent que ce ne sont pas des excréments qui sont dans les boîtes d’acier mais du plâtre. Quoi qu’il en soit, la Merda d’Artista de Manzoni est encore aujourd’hui offerte sur Internet. La savoureuse phrase suivante accompagne l’offre: ‘An ironic reference to the willingness of the art market to buy everything on condition that it is signed.’ Ça pue la fumisterie à plein nez. Autre exemple. En 1987, Jana Sterbak, une artiste ‘pluridisciplinaire’ canadienne, exposait une robe de viande crue qui pourrissait sur son présentoir. En 2010, Lady Gaga, lors d’un gala et pour qu’on parle d’elle, porta une robe similaire. Docile, idiote, la presse relata l’événement en feignant de s’indigner.
Avec le recul du temps, il est indubitable que ce mouvement artistique baptisé indistinctement de surréaliste, de futuriste, de dadaïste, de nihiliste, d’avant-garde, de conceptuel, et j’en oublie, ne fut rien de plus qu’un mouvement marginal et provocateur. Surtout pas une force capable de déstabiliser une civilisation.
En réalité, l’évolution de l’art pictural du XXe siècle et du début du XXIe n’a que très peu à voir avec Duchamp et ses émules. Les artistes, les collectifs et les mouvements qui qui ont marqué la conscience collective artistique de la société occidentale sont nombreux et fort connus, autant dans le monde du figuratif que dans celui de l’abstrait. J’en cite quelques-uns en vrac : Picasso, Pollock, Matisse, Warhol, Chagall, Dali, Hopper, Braque, Giacometti, Modigliani, Wyeth, le Groupe des Sept, l’Art Déco, l’Art Nouveau, la Bauhaus, Mondrian, Borduas, Riopelle, les Hyperréalistes comme Peter Ambush, etc. Ce sont ces artistes qui ont défini l’évolution de l’art du XXe siècle, pas Duchamp.
Ceci dit, il convient de poser la question suivante : si la civilisation judéo-chrétienne périclite, est-ce à dire que l’art contemporain se dégrade lui-aussi? Je n’en sais rien. Les Nymphéas (peints de 1894 à 1924) de Monet forment-ils un pilier de civilisation plus solide que, par exemple, le Guernica (peint en 1937) de Picasso? Ou mieux, peut-on mettre sur le même piédestal le Christina’s World d’Andrew Wyeth (peint en 1948) avec l’Été de 1914 de Jean-Paul Lemieux (peint en 1965)? Difficile à dire, n’est-ce pas? Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que ces œuvres sont des chefs-d’œuvre reconnus autant par le public que par les critiques d’art. Ils sont aussi des chefs-d’œuvre qui ne doivent rien à Duchamp. Est-ce qu’ils contribuent à la vitalité ou au déclin de la civilisation judéo-chrétienne? Je ne le sais pas comme j’ignore aussi si ces artistes entretenaient de telles pensées philosophiques lorsqu’ils peignaient leurs tableaux.
Je rappelle que les juges de l’élégance en art ne sont pas que les critiques qui empruntent souvent un langage abscond mais aussi et surtout le public qui fait vivre cette industrie. Un public qui sait ce qu’il aime même s’il n’arrive pas toujours à expliquer ses goûts. Aujourd’hui, c’est-à-dire au printemps 2017, à Paris, on en a que pour Vermeer, Rembrandt et Rodin, on se bouscule pour admirer ces classiques tableaux sur toile et ces non moins classiques marbres sur socle.
Michel Foucault?
La référence aux structuralistes comme Michel Foucault pour démontrer la décadence du judéo-christianisme m’apparait sans fondement. Si pendant la seconde moitié du XXe siècle, les auteurs structuralistes comme Lévi-Strauss, Barthes, Foucault, Lacan et Deleuze jouirent d’une certaine notoriété dans le cercle restreint des intellectuels, ils furent largement ignorés du grand public. D’ailleurs, Onfray n’a pas beaucoup d’estime pour ces pseudo-mandarins. Il parle d’eux avec dérision. Il dit : ‘La structure [des structuralistes] est aussi mystérieuse que Dieu dont elle prend la place . . .’; il ajoute : ‘[pour eux] le réel n’existe pas car le symbolique prend toute la place . . . seul existe ce qui est écrit . . .’; pourtant : ‘les auteurs structuralistes, et parmi eux plus particulièrement Michel Foucault et Roland Barthes, enseignent la mort de l’homme, la mort de l’histoire, la mort du réel, la mort de la philosophie, mais aussi, sans craindre le ridicule, la mort . . . de l’auteur. Que l’auteur annonce la mort de l’auteur ne semble une ineptie pour aucun de ces auteurs.’
À la même époque, le discours impénétrable des structuralistes ressemblait beaucoup à celui de leurs frères d’armes, les post-modernistes, notamment Jean-François Lyotard et Jacques Derrida. À vrai dire, les structuralistes et les postmodernistes ne formaient qu’une seule et même fratrie. Ils sévirent pendant une vingtaine d’années, en gros de 1980 à 2000. Surtout aux USA; dans les programmes d’études supérieures des universités américaines, en architecture, en science sociales, en études littéraires et en philosophie, on n’en avait que pour ces illuminati français qui annonçaient en langage codé la fin du progrès.
Comment des intellectuels ignorés de la quasi-totalité des Judéo-chrétiens peuvent-ils avoir contribué à la déprédation de leur civilisation?
L’islamisme?
Michel Onfray laisse entendre que ce serait la civilisation islamiste qui succéderait à la civilisation judéo-chrétienne. Peut-être a-t-il raison. Mais j’en doute. Voici pourquoi.
Pour qu’une civilisation en supplante une autre, il faut qu’elle soit plus forte que l’autre. Pour prévaloir, il ne suffit pas au prétendant de mobiliser ‘une armée planétaire faite d’innombrables croyants prêts à mourir pour leur religion, pour Dieu et son Prophète’. Il lui faut en plus un souffle, un élan, un projet. Il lui faut aussi des institutions, des structures, une éthique, des savoirs, une culture et une économie. Il lui faut des agents qui soient créatifs, féconds, rassembleurs et porteurs d’espoir. Or, l’Islamisme est absolument le contraire de tout ça. Bien sûr, les Islamistes adhèrent à une idéologie et ont mis sur pied une organisation capable d’intervenir partout sur la planète. Mais leur idéologie est stérile et leur organisation, subversive et clandestine.
Divisée contre elle-même, la nébuleuse des fous d’Allah s’englue constamment dans des problèmes existentiels qui apparaissent de plus en plus insolubles. Elle consacre plus d’énergie à démolir qu’à construire, plus d’énergie à saper ses bases identitaires qu’à organiser une offensive mondiale.
Un rapide tour d’horizon nous convaincra de sa gangrène congénitale.
Les Islamistes sont en Indonésie. Avec ses 225 millions d’habitants, ce vaste archipel du sud-est asiatique rassemble une grande concentration de Croyants radicalisés. Mais malgré leurs contradictions existentielles et les prêches de quelques imams, les Indonésiens ne sont ni fanatiques, ni militants pour la cause islamiste. Coincés entre la Chine, l’Inde, le Japon et l’Australie, empêtrés dans un malaise identitaire atavique, les Indonésiens consacrent le plus clair de leurs énergies à s’extirper de la pauvreté. Ils progressent mais le chemin devant eux est encore long pour rattraper par exemple le niveau de la Corée du Sud. Je rappelle que, selon le Fonds monétaire international, en 2015, le produit intérieur brut per capita de l’Indonésie était de l’ordre de 11 700.$US , alors que celui de la Corée du Sud dépassait 37 700.$. L’industrie de l’Indonésie se modernise. Par exemple, elle est le seul pays à majorité musulmane qui possède une industrie aéronautique digne de ce nom, produisant notamment des appareils moyen-courrier. En conséquence du dynamisme industriel, la qualité de vie des Indonésiens s’améliore. Dans ce contexte, il n’est pas sûr qu’ils aient le goût, la volonté politique et la ferveur religieuse pour aller mener le djihad dans les pays judéo-chrétiens. D’ailleurs, les Islamistes leur font payer leur indifférence en faisant éclater des bombes. Par exemple, en octobre 2002, dans une station balnéaire de Bali, un attentat islamiste a fait 202 morts et de multiples blessés.
Les Islamistes du Pakistan, de l’Afghanistan et des ‘républiques’ d’Asie centrale sont sûrement parmi les plus ardents de l’oumma. Mais eux aussi sont empêtrés dans leur ineptie idéologique. Dans ces contrées de misère, ils n’accomplissent guère plus que terroriser leurs coreligionnaires, notamment les plus démunis et les plus ignorants d’entre eux. À ce jeu sanglant, ils sont prolifiques. Au Pakistan, de janvier à mai 2017, ils ont commis pas moins de 18 attentats terroristes; notons en particulier celui du sanctuaire Lai Shahbaz Qalandar qui fit 88 morts et 350 blessés. À Kaboul, en Afghanistan, au cours des mêmes mois, les Talibans sévirent 33 fois; l’attaque du 31 mai tua 100 personnes et en blessa 463 autres. Je ne vois pas comment toutes ces tueries pourraient mobiliser les Pakistanais et les Afghans qui ne sont pas fanatiques à mener le jihad en Europe. On ne peut pas dire non plus que ces pays constituent des modèles de civilisation qui inciteront les mécréants judéo-chrétiens que nous sommes à nous convertir à l’idéologie islamiste.
Les Islamistes d’Afrique sub-saharienne sont trop pauvres pour entreprendre quoique ce soit de significatif, ni dans leur propre pays, ni à plus forte raison chez les Judéo-chrétiens. Il n’est pas sûr non plus que les Boko Haram de ce monde sortent gagnants de leurs affrontements actuels et soient en mesure d’exporter leur guerre sainte. C’est d’ailleurs un trait dominant de l’Islam radical. Là où il gagne, il ne construit rien du durable, ne réussit qu’à terroriser les populations qu’il domine.
Les Islamistes du Moyen-Orient constituent une menace beaucoup plus grave pour la civilisation occidentale. Profitant du financement des monarchies du Golfe, ils ont les moyens de leurs ambitions. Mais en même temps, le monde arabo-musulman qui leur sert de socle n’en finit pas de se fracturer Depuis la mort du Prophète, les sunnites et les chiites s’entretuent. Récemment, les Islamistes ont sévi en Lybie, en Irak et en Syrie, et y ont laissé un champ de ruine. Voyez Alep. Bien sûr, les armées judéo-chrétiennes sont passé par là aussi et ont largement contribué à la destruction. Mais dans ce chaos, les Islamistes furent une force de mort additionnelle, guère une inspiration pour une nouvelle civilisation.
Entre l’Arabie saoudite (sunnite) et l’Iran (chiite), ce n’est pas le grand amour. Hier, le 7 juin 2017, Daech a perpétré deux attentats en Iran. Quelques jours plus tôt, l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar qu’ils accusent ‘de véhiculer l’idéologie d’Al-Qaïda et de Daech.’ Quelques jours plus tard, la Lybie, le Yémen et les Maldives se sont joints à leurs cinq voisins. En clair, ces pays sunnites accusent un autre pays sunnite, le Qatar, de financer le terrorisme et traficoter avec l’Iran, l’ennemi chiite. En contrepartie d’un méga-achat de matériel militaire de 110 milliards $US, les USA de Trump ont appuyé l’Arabie Saoudite dans sa querelle avec l’Iran et le Qatar. En même temps, la plus grande base militaire des USA dans la région du Golfe est située au Qatar. Comme quoi, les ennemis de mes amis ne sont pas toujours mes ennemis.
Qu’est-ce qu’Al-Qaïda? Une organisation islamiste terroriste, on le sait. Mais qui est sur son déclin. Depuis la mort d’Oussama ben Laden en 2011, de force quasi-militaire Al-Qaïda s’est mutée en une espèce de nébuleuse idéologique réduite à un rôle de propagandiste, une machine à lancer des messages sur le Web pour inciter des têtes brûlées à tuer et à s’immoler pour la plus grande gloire d’Allah. Ces jours-ci, c’est Daech qui remplace Al-Qaïda à la tête du djihad. Ce regroupement d’islamistes fanatiques a des prétentions civilisationnelles. On en connait l’histoire. En septembre 2001, des avions détournés par des Islamistes s’abattent sur le World Trade Centre et sur le Pentagone. L’Amérique de G.W. Bush rêve de vengeance. Sous de faux prétextes, en 2003, elle envahit l’Irak et démobilise l’armée irakienne. Il s’en suit un indescriptible chaos. Une résistance à l’occupation américaine s’organise. Des groupes armés commettent des attentats à répétition. L’un d’eux est dirigé par un jeune militant nommé Abû Bakr al-Baghdâdi. Neuf ans plus tard, Baghdâdi conquiert des territoires au nord de l’Irak et à l’est de la Syrie, et fonde l’État islamique. Le 29 juin 2014, il s’y autoproclame calife. À part cette déclaration, quelles furent les réalisations de ce califat? Rien de positif. Daech a beaucoup massacré et beaucoup saccagé, mais n’a rien construit. À n’en pas douter, Al-Qaïda et Daech disparaitront dans un avenir plus ou moins rapproché, ses adeptes, tués ou dispersés. Quelques-uns des survivants deviendront des mercenaires de la terreur et se feront explosés quelque part.
D’une façon un peu perverse, les forces judéo-chrétiennes qui ont contribué à la destruction de Daech contribueront à la reconstruction de l’Irak et de la Syrie. Les populations expulsées reviendront. Ce monde perturbé ne constitue pas une assise suffisamment solide pour imposer son idéologie à l’Occident.
La Turquie d’Erdogan s’est radicalisé et pourrait devenir une force de subversion. Mais elle m’apparait un géant aux pieds d’argile. Elle doit composer avec une multitude d’opposants dans sa cour et des Kurdes dans son arrière-cour.
En Afrique du Nord, les Islamistes sévissent. Y prendront-ils le pouvoir? Peut-être, mais il est à prévoir que leurs conquêtes, si elles se produisaient, seraient corrodées de révoltes qui paralyseraient toutes initiatives sérieuses en direction de l’Europe. Comme l’ont démontré les contestations du célèbre printemps de 2011, les populations de ces pays rejettent massivement les dictatures rétrogrades qui veulent imposer la charia par la terreur. S’ils émergeaient, les éventuels régimes islamistes de cette région seraient éphémères.
Y a-t-il une cinquième colonne islamiste dans les pays judéo-chrétiens? Oui, je pense. Les attentats à répétition semblent le démontrer. D’après ce que l’on sait, elle serait une ‘organisation non organisée’, multiforme, formée d’individus ou de groupuscules plus ou moins reliés entre eux, plus ou moins inféodés aux structures militarisées comme Daech. Leur idéologie commune est le wahhabisme ou de salafisme. Leur motivation est la haine de l’Occidental. Leur objectif est d’implanter la charia en Europe, à terme d’y prendre le contrôle politique.
Ce mouvement subversif aurait pris naissance au cours des années quatre-vingt-dix, lorsque les Frères musulmans établirent leur influence sur les organisations islamistes européennes comme l’Union des organisations islamiques en Europe, l’Union des organisations islamiques en France et le Conseil européen pour la fatwa et la recherche.
Depuis, la cinquième colonne multiplie les provocations. Par exemple, en septembre 2014, à Wuppertal, ville industrielle située à 35 km à l’est de Düsseldorf, un groupe de salafistes a défilé dans les rues. Portant un uniforme qui affichait «Sharian Police», il se proclamait une police parallèle islamiste. La réaction fut immédiate et fortement négative. Elle est venue de partout, autant des citoyens que des autorités allemandes, autant des média que des associations musulmanes ‘modérées’. «La charia ne sera pas tolérée sur le sol allemand», a lancé Thomas de Maizière, le ministre de l’intérieur allemand.
La cinquième colonne est aussi responsable, directement ou indirectement, de nombreux attentats meurtriers.
Ce que l’on constate cependant, c’est que plus les Islamistes agissent, plus ils soulèvent devant eux un vent contraire. Ils ne me donnent pas l’impression de progresser.
Si cette nébuleuse s’active dans certains pays d’Europe (France, Belgique, Angleterre), elle semble dormir dans d’autres pays (Scandinavie, Europe centrale) et elle est insignifiante hors de l’Europe. À l’heure actuelle, le judéo-christianisme des Amériques, d’Australie et de Nouvelle-Zélande n’est aucunement déstabilisé. J’ajoute que dans l’éventualité hautement improbable que les Islamistes prennent le pouvoir en France (par exemple) et y imposent la charia, cela ne signifie pas pour autant que la civilisation judéo-chrétienne disparaisse. Les Maures ont occupé l’Espagne pendant près de huit siècles sans affaiblir la chrétienté.
Vu de haut, les attentats islamistes ne sont que les incidents périphériques au grand ordre des choses, tragiques à n’en pas douter, coûteux en vies humaines et en perturbations socio-économiques, mais qui n’ébranlent aucunement la volonté de résistance des populations concernées.
Ce n’est pas tout. Le principal argument qui m’amène à dire que l’Islamisme ne constitue pas une menace à la civilisation judéo-chrétienne est celui-ci : l’Islam – en particulier l’Islamisme – est une idéologie stérile, pessimiste, inculte et ignare. Pas une force d’avenir.
Ce ne fut pas toujours ainsi. La civilisation musulmane des califats Omeyyade (661-750) et Abbasside (750 1258) fut brillante. Elle produisit des hommes de grande valeur qui firent avancer les connaissances de l’humanité. Je pense en particulier à Al-Kindi qui vécut surtout Bagdad (801-873), à Avicenne qui enseigna en Perse (980-1037) et à l’Andalou Averroès (1126-1198). Sous l’impulsion de ces maîtres et de plusieurs autres, l’architecture, la médecine, l’agriculture, les mathématiques , la philosophie, l’astronomie, la calligraphie et l’art de vivre en général firent de prodigieux bonds en avant. Mais Averroès connut une fin de vie tragique; il fut calomnié, persécuté et condamné à l’exil. Cette avanie marqua une brisure dans l’histoire de l’Islam, marqua la fin de l’âge d’or et le début l’ère des ténèbres. Et ce tragique obscurantisme qui cultive le fanatisme dure encore. Pendant que le monde arabo-musulman s’asséchait, l’Occident prospérait, vivait successivement la Renaissance, les Lumières, la Révolution industrielle, la démocratie, la laïcité, les droits de l’homme et l’éclosion des sciences et des technologies.
Choisissez le secteur d’activités humaines que vous voulez, observez-le et vous verrez que l’Islamisme y brille par son absence.
En finance, malgré l’abondance des pétrodollars, aucune des grandes banques du monde n’appartient aux capitalistes arabo-musulmans. Aucun Islamiste ne siège au Conseil de la Banque des règlements internationaux, aucun ne siège aux instances qui contrôlent le système monétaire international.
Les Islamistes utilisent abondamment des armes pour semer la terreur mais sont incapables d’en produire. Où sont les avions de combat, les flottes de guerre, les tanks, les lance-missiles construits par eux? Ils semblent même avoir de la difficulté à se procurer des armes légères. Pour massacrer les journalistes de Charlie Hebdo, ils avaient des fusils d’assaut; à Nice, Berlin et Londres, ils utilisèrent un camion ou des couteaux de cuisine; à Paris, un marteau. Si j’étais un Croyant espérant le grand soir triomphant de l’oumma, je ne serais pas convaincu par l’évolution de l’armement de mes martyrs.
Les Islamistes tuent abondamment mais ne guérissent jamais; depuis cinq siècles au moins, leur contribution à la médecine est pratiquement nulle. On ne peut pas dire ils aient obtenu beaucoup de prix Nobel en médecine.
D’ailleurs, depuis le Moyen-Âge, la contribution des arabo-musulmane à la science et à la technologie est absente. Ce ne sont pas eux qui ont construit le canal de Suez, ni les installations pétrolières du Moyen-Orient. Encore aujourd’hui, ce sont des compagnies occidentales, chinoises, japonaises, etc., qui construisent les infrastructures du Moyen-Orient et du Golfe. Parfois la structure corporative de ces travaux est arabe mais le savoir-faire, la technologie, les équipements, les systèmes et les matériaux sont importés.
Pour dominer le monde, une civilisation doit être capable de contrôler ses réseaux de communication. Or, dans cet univers de haute technologie, les Islamistes n’existent tout simplement pas. Ils sont incapables de construire des réseaux téléphoniques classiques, a fortiori incapables de lancer des satellites artificiels. Ils sont incapables de construire des ordinateurs ou des téléphones portables. Ils ne contrôlent pas le Web, ni Internet, ni le Global Positioning System (GPS), etc. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est utiliser ces réseaux pour diffuser leur propagande. Malheureusement, dans ce trafic abject, ils bénéficient de l’insouciance des gestionnaires de réseaux. Mais cette complaisance témoigne de leur faiblesse, non de leur force.
Où sont les Islamistes dans le développement des sciences émergeantes? L’intelligence artificielle, la nanotechnologie, la biologie moléculaire, la génomique, par exemple, se développent sans eux. Sur ce point, on ne peut pas dire que l’avenir leur appartient.
Dans le domaine des arts, en peinture, en sculpture, en musique et dans les arts de la scène, les Arabo-musulmans sont absents. Je note en passant que de telles frivolités sont interdites par le Prophète, mais fort appréciées des Judéo-chrétiens. Que sera à ce propos la doctrine de la nouvelle civilisation implantée par les Islamistes?
À terme, l’Islamisme ne pourra triompher parce que c’est une idéologie triste, mortifère, étrangère à la mentalité profonde des peuples judéo-chrétiens. Je donne un exemple tout simple de cette idée. Sur votre ordinateur, cliquez le flash mob ‘Ode to Classical’ (Ode an die Freude) de Sabadell en Espagne, plaça de Sant Roc, 12 mai 2012 :
Voyez la joie sur les visages des Espagnols qui, en ce bel après-midi, assistent à un petit spectacle impromptu, gratuit, produit dans le seul but de plaire. Le jour où l’Islamisme sera capable d’organiser un tel événement, il aura un avenir en Occident en tant qu’idéologie de rechange. Mais je n’ai aucune crainte : l’Islamisme est incapable de faire plaisir.
Menace sérieuse
Ceci dit, je ne minimise en rien la menace islamiste. Même si je pense que l’Islamisme ne supplantera pas la civilisation judéo-chrétienne, je constate qu’il mène dans nos pays une guerre acharnée, sur deux fronts. D’abord il sème la terreur en perpétrant à répétition des attentats meurtriers : le but de ces meurtres est de déstabiliser la société occidentale. Le plus absurde, c’est que les mêmes Islamistes terrorisent aussi leurs propres sociétés; on déplore en effet beaucoup plus d’attentats meurtriers dans les pays à majorité musulmane que chez les Judéo-chrétiens. Ensuite, l’Islamisme mène en Occident une intense activité de propagande. Parfois provocateur, parfois insidieux, réclamant toujours plus d’accommodements, l’Islamisme s’introduit dans la vie quotidienne des Judéo-chrétiens. Il cherche à banaliser un mode de vie basé sur la charia (l’infériorité de la femme devient normale et acceptée, le port du voile devient chose courante, les femmes musulmanes sont réservées aux hommes musulmans, la nourriture halal est préférable à toutes les autres, etc.) et à implanter l’idée que le Musulman est une victime perpétuelle du supposé racisme occidental afin de culpabiliser les Judéo-chrétiens et émousser leur résistance à l’islamisation (c’est le concept de l’islamophobie endossé malheureusement par un bon nombre d’intellectuels occidentaux, c’est aussi la raison d’être de toutes les provocations comme la prière sur la rue ou le burkini sur la plage). À n’en pas douter, cette double offensive durera encore pendant plusieurs années. Il en résultera beaucoup d’affrontements et beaucoup de vies innocentes sacrifiées. Le pouvoir de nuisance des terroristes islamistes est immense. Ils provoquent un colossal gaspillage de ressources financières et humaines en dispositifs de sécurité.
Je ne suis pas le seul à penser que, face à la menace islamiste, les autorités politiques des pays judéo-chrétiens sont aveugles. En Occident, on est tolérant à la limite de la bonasserie. Beaucoup de nos intellectuels sont des ‘idiots utiles’ au service de l’Islamisme et s’en vantent. J’endosse le cri d’alarme de Salman Rushdie lorsqu’il clame qu’il faut arrêter l’aveuglement stupide de l’Occident face à l’islamisme. Il dit «Je suis en désaccord fondamental avec ces gens de gauche qui font tout pour dissocier le fondamentalisme de l’islam. Depuis cinquante ans, l’islam s’est radicalisé. Côté chiite, il y a eu l’imam Khomeiny et sa révolution islamique. Dans le monde sunnite, il y a eu l’Arabie saoudite, qui a utilisé ses immenses ressources pour financer la diffusion de ce fanatisme qu’est le wahhabisme. Mais cette évolution historique a eu lieu au sein de l’islam et non à l’extérieur. Quand les gens de Daech se font sauter, ils le font en disant « Allahou Akbar », alors comment peut-on dès lors dire que cela n’a rien à voir avec l’islam ?»
Le péril jaune?
Si la civilisation judéo-chrétienne agonise et si ce n’est pas l’Islamiste qui prend la relève, alors qui? Est-ce la civilisation chinoise?
Je précise d’abord un détail. Par sa longévité, la Chine semble contredire la définition ‘biologique’ de civilisation que nous suggère Michel Onfray; comme tout être vivant, nous dit-il, une civilisation nait, vit et meurt. C’est sûrement vrai pour les civilisations sumérienne, égyptienne, inca, aztèque, grecque ou romaine. Quant aux civilisations judéo-chrétienne et arabo-musulmane, on doit attendre encore avant de se prononcer : la première ne finit pas d’agoniser et la seconde se complait dans une déliquescence morbide. Mais est-ce vrai en ce qui concerne la Chine? Née il y a quatre mille ans , la civilisation chinoise ne semble pas sur le point de péricliter. On dit même que le XXIe siècle lui appartiendrait.
Les Chinois possèdent sûrement tous les atouts pour conquérir le monde judéo-chrétien : ils ont la force démographique, la puissance militaire, les ressources financières et la technologie; ils possèdent en outre la stabilité identitaire et l’idéologie capables de nourrir d’éventuelles velléités impérialistes. Mais imposeront-ils leur civilisation à l’Occident? J’en doute. Conquérir le monde n’est pas dans leurs gênes. Si on examine un peu leur histoire, on voit que les Chinois sont egocentriques. Depuis toujours, on les voit se quereller entre eux, fracturer régulièrement leur empire en petits royaumes pour mieux le reconstituer, se défendre âprement lorsqu’ils sont attaqués, se mobiliser pour sécuriser leurs frontières, mais jamais on les voit entreprendre des guerres de conquête. Souvenons-nous des sept expéditions de Zheng He au XVe siècle. À la tête d’une flotte immense qui regroupait des voiliers cinq fois plus gros que les navires européens de l’époque, ce grand navigateur a sillonné les mers orientales, a noué des alliances dans de nombreux pays mais n’a pas implanté des colonies qui s’enracinèrent. À la même époque, l’Angleterre, la France, l’Espagne et le Portugal fondaient dans les Amériques des puissances coloniales qui durent encore.
Il y a une importante diaspora chinoise dans tous les pays du monde mais elle regroupe des citoyens pacifiques qui ne demandent à leur société d’accueil aucun accommodement religieux ou communautariste. Contrairement aux Musulmans radicalisés, les Chinois ne mènent pas une guerre civilisationnelle avec les Judéo-chrétiens. Ils n’assassinent pas des innocents à Londres ou à Manchester, n’écrasent pas des passants à Nice ou à Berlin, ne mitraillent pas des journalistes ou des convives à Paris, ne font pas exploser des gares à Madrid ou des tours à bureaux à New York. Non, les Chinois se contentent de faire du commerce à la manière des capitalistes anglo-saxons.
L’oligarchie?
Peut-être que la plus grande menace contre la civilisation judéo-chrétienne viendrait de l’intérieur.
Pour moi, la civilisation judéo-chrétienne débute au IVe siècle. Depuis, son parcours est jalonné de conflits sanglants et de persécutions aberrantes. Pendant les premiers 1500 ans de son existence, elle s’est appuyée sur un pouvoir politique despotique. Ce ne fut qu’à la fin du XVIIIe siècle qu’émergea la démocratie. Péniblement, par petits coups, avec de nombreux aller-retours, elle a réussi à s’implanter. C’est cet acquis tardif qui nous importe. Ce que nous voulons protéger, c’est l’ensemble des valeurs et des institutions humanistes nées de la Renaissance, des Lumières, des révolutions politiques du XIXe siècle, de la Révolution industrielle et de la Révolution de l’information. Ce que nous voulons protéger de l’Islamisme notamment, c’est l’égalité des sexes, les droits humains, la liberté de pensée et d’opinion, la démocratie, la laïcité, la protection sociale, la citoyenneté, etc. Ce que nous voulons protéger aussi, c’est une certaine idée de bien-être, découlant de la plus grande prospérité économique de l’histoire de l’humanité.
Mais depuis une cinquantaine d’années, derrière le brouhaha de l’agitation islamiste, il se produit à notre insu une mutation civilisationnelle profonde. Ce qui est en cours, c’est un siphonage du pouvoir politique vers une oligarchie financière et industrielle, de plus en plus exclusive, de plus en plus riche, de plus en plus hors de la portée des assemblées d’élus. Ce mouvement est mondial mais affecte surtout les pays judéo-chrétiens parce que là se trouvent les économies libérales. Aujourd’hui, cette oligarchie restreinte possède ou contrôle la quasi-totalité des richesses du monde. Elle est déjà bien en selle. Elle est constituée de banques internationales, d’entreprises multinationales, de fonds de gestion et de fonds spéculatifs et de réseaux de communication et d’information de masse. Elle a des agents dans pratiquement toutes les sphères de la société mondialisée. Elle possède ses plateformes d’échanges que sont les bourses, ses havres que sont les paradis fiscaux, et son réseau occulte appelé ‘shadow economy’. Elle gère le système monétaire mondial à partir de Bâle, se concerte lors des rencontres secrètes de Bilderberg, et délibère chaque hiver à Davos.
L’oligarchie domine mais c’est un colosse fragile. Comme la civilisation judéo-chrétienne, elle fonde son pouvoir sur un endoctrinement des peuples. Elle aussi mise sur l’ignorante suffisance de la majorité des intellectuels, l’indifférence des élus et le silence des réseaux d’information. Mais tout ça n’est guère stable, peut vaciller à tout moment. Le peuple est souvent capricieux, imprévisible, peut à tout instant se révolter. L’oligarchie le sait. Aussi, multiplie-t-elle les efforts pour satisfaire les besoins primaires du peuple, pour lui offrir toujours plus de confort, toujours plus de divertissement. Tout va donc pour le mieux dans la meilleure des béatitudes judéo-chrétiennes?
Pas vraiment. Il y a un petit problème chronique qui mine ce bel arrangement. C’est le chômage endémique. Un peuple qui chôme est un peuple sans le sou, donc qui ne consomme pas, donc qui ne nourrit pas l’économie mondialisée. Un peuple oisif est un peuple qui broie du noir, qui s’agite, qui demande des comptes, et qui songe à descendre dans la rue. Cette agitation agace le pouvoir; si elle perdure, si elle s’aggrave, elle pourrait l’effrayer, si puissant soit-il, même le renverser. Donc, l’oligarchie a intérêt si non à instaurer le plein emploi, du moins à réduire le chômage à un niveau acceptable par l’opinion publique. Mais, et c’est là le cœur du problème, elle ne le peut pas. Car elle n’ignore pas que le chômage est intrinsèque au système économique qui fait sa fortune, en clair qu’il est causé à la fois par la robotisation de la production, par la mondialisation des échanges et par la financiarisation de l’économie, les trois piliers de son édifice impérialiste.
Alors, quoi faire? À mon avis, pour les super-nantis, il n’y a qu’une seule solution: finaliser le troc déjà amorcé. La société judéo-chrétienne se réveillera bientôt devant un fait accompli : contre une renonciation de son contrôle démocratique en matières financières et commerciales, elle aura accepté une stabilisation de sa sécurité et un revenu universel modeste mais garanti.
Je n’entrerai pas dans le détail de la structure organisationnelle de la future civilisation. Je compte le faire dans le cadre d’un autre texte. Mais d’ores et déjà, on peut en discerner les grandes lignes. Au profit d’une oligarchie multiforme, sans visage et échappant à toute imputabilité, les parlements judéo-chrétiens auront abandonné leur juridiction non seulement sur les questions financières et monétaires, mais aussi sur le commerce international et sur les réseaux de communication. Les budgets nationaux seront validés par l’oligarchie financière, qui veillera à que les transferts aux citoyens soient bien effectués: l’oligarchie sera devenue la protectrice du peuple. Les ‘territoires’ supranationaux comme l’espace, l’air, l’eau et l’énergie seront de la responsabilité de l’oligarchie. Les armées nationales n’ interviendront qu’au sein d’alliances multipartites gérées par l’oligarchie. Les parlements continueront de discuter dans une espèce de comédie de dupes mais n’auront aucune responsabilité autre que celle de collecter les taxes dont les modalités auront été dictées par l’oligarchie, et de gérer les services aux citoyens.
La démocratie aura disparu, la civilisation judéo-chrétienne aura changé de visage.
Note. Je venais à peine de terminer la rédaction de ce texte lorsque je tombai sur une conversation (YouTube) entre Mark Steyn et Douglas Murray. Mark Steyn est un journaliste et auteur canadien-anglais; il anime un site web et une émission de télé. Il a publié notamment deux essais dont l’argument semble rejoindre celui de Michel Onfray; Lights Out: Islam, Free Speech and the Twilight of the West, et America Alone: The End of the World as We Know It. Douglas Murray est un journaliste anglais connu pour sa critique de l’islamisation de l’Europe. Il vient de publier The Strange Death of Europe. Lui aussi partage de point de vue de Michel Onfray. S’il fallait mettre une étiquette idéologique sur ces deux intellectuels anglo-saxons, je dirais qu’ils sont conservateurs.