PRÉSENCE DE LUMIÈRES
Petites questions financières
Crise fabriquée.
Août 2011. Deuxième crise financière en trois ans. Et la seconde crise est tout aussi fabriquée que la première. Mais qui donc bricole ces crises financières à répétition ? La réponse saute aux yeux : tout comme en 2008, le responsable de la présente crise est le monde financier lui-même. Et comme la fois précédente, il bénéficie de l’incurie du monde politique.
Minable importance
Est-il important, ce monde financier qui s’amuse à varloper la planète ? En nombre, il est dérisoire, car, sur la planète, il ne rassemble guère plus que 600 000 personnes, essentiellement des hommes. En d’autres termes, le monde financier délétère ne constitue que 0,0001% de la population mondiale. Alors, la question est la suivante : pourquoi laissons-nous cette minuscule oligarchie dicter sa loi? Sans doute parce que ce petit groupe s’est arrogé un immense pouvoir. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que nos représentants politiques ont abdiqué. Par représentants politiques, je veux dire les parlementaires de toutes les démocraties, ainsi que les chefs de certains états dictatoriaux, comme la Chine ou les pays du golfe.
Qui sont-ils, les varlopeurs de la planète ?
Qui sont les gens qui composent ce monde financier ? En gros, il s’agit des banquiers, des administrateurs des bourses, des régulateurs financiers, des courtiers, des agents de change, des traders, des analystes financiers incluant ceux des agences de notation, et des gestionnaires de fonds spéculatifs. Ce sont eux, les inventeurs de produits financiers spéculatifs, les manipulateurs des marchés boursiers, les concepteurs de manoeuvres tordues, et les spéculateurs de haut vol. Tous ces gens brasent beaucoup d’argent.
Bon, j’en conviens, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même tombereau : il y a dans le lot des gens honnêtes et responsables. Mais ils sont peu nombreux. La plupart ne sont que d’ambitieux maniaques, sans foi ni loi, sans conscience sociale, et motivés uniquement par l’appât du gain. Leur contribution au bien-être de la société est nulle; leur responsabilité dans l’appauvrissement de la société est énorme.
Perte de confiance ?
Lorsque que la bourse « baisse », on dit que les investisseurs ont perdu confiance. Je ne comprends pas cette affirmation. Car pour chaque boursicoteur qui déclare perdre confiance et qui vend quelques actions, n’y en a-t-il pas un autre qui conserve sa confiance et qui achète les mêmes actions ? Donc, à la fin de la journée, on compte autant d’acheteurs que de vendeurs, autant d’optimistes que de pessimistes. En ce jeu d’ascenseur qui finit toujours par s’équilibrer, et qui ressemble à un jeu de dupes, en quoi la confiance en l’économie est-elle entamée?
Prenons un exemple. La Société Générale, importante banque française, a été ébouriffée par l’actuelle bourrasque. En 2011, les profits de la Société Générale ont chuté de 12%, passant de 3,9 milliards EUR à 3,4 milliards EUR; du point de vue des actionnaires, ce n’est pas l’idéal mais leur banque demeure une affaire éminemment rentable; d’autant plus qu’elle s’évertue à répéter qu’elle n’est que marginalement affectée par les déboires de la Grèce. Pendant ce temps, au prétexte d’une hypothétique perte de confiance, la valeur de son action en bourse a chuté, passant de 45 EUR (janvier 2011) à 25 EUR (août 2011), c’est-à-dire une baisse de 45%. Rien n’explique cette disparité entre le 12% de la réalité économique de l’entreprise et le 45% de sa valeur boursière, si non que des spéculateurs s’en donnent à cœur joie? Qui sont les bénéficiaires de cette spéculation? Les spéculateurs et uniquement eux. Qui en souffrent? Tous les autres.
Opacité
Quand ils parlent des boursicoteurs, les journalistes utilisent des termes vagues et abstraits. Par exemple, ils disent « les marchés sont frileux », ou, en anglais, « the markets are jittery », ou bien « les opérateurs veulent être rassurés », ou encore « les investisseurs sont en attente », etc. En d’autres termes, pour désigner les acteurs du monde des finances, les média utilisent des mots qui ne veulent rien dire. Et attribuent à ces vacuités des comportements humains. Pourquoi une telle complaisance ?
Responsabilité
Lorsque la bourse s’effondre, les analystes financiers distribuent le blâme aux autres. Notamment, ils disent aux élus qu’ils attendent d’eux un geste pour les rassurer, eux, les marchés. Dans ce dialogue à sens unique, c’est toujours la société qui doit rassurer les marchés, jamais l’inverse. Pourquoi, parfois, ne demande-t-on pas aux banquiers, aux gestionnaires des hedge funds et autres traders de faire quelque chose pour rassurer le pauvre citoyen ?
Dettes privée et dette publique
Les individus sont endettés au-delà du raisonnable. Les états aussi.
Parlons d’abord des individus. Au Canada, les dettes des individus appuyées d’un actif, une hypothèque par exemple, ne constitue pas un problème sérieux. Même au plus fort de la crise de 2008, peu de Canadiens perdirent leur maison parce qu’ils avaient été incapables de payer leur hypothèque. En plus, le filet de garanties fourni par la Société canadienne d’hypothèques et de logement a fait en sorte que les banques canadiennes ne se sont pas retrouvées en porte-à-faux.
En revanche, l’endettement à la consommation pose problème. Les cartes de crédit foisonnent. N’épargnant ni les enfants, ni les étudiants, la publicité incitant les consommateurs à s’endetter se distingue par son agressivité. Les marges de crédit consenties par les banques ou les sociétés de crédit sont généreuses et élastiques. Et les paiements mensuels exigés, ridiculement faibles. Mais les intérêts sur les paiements en retard sont usuraires. En conséquence, les ménages et les individus sont lourdement endettés. En 2008, le niveau de la dette par individu atteignait 82 000.$ Toute personne qui s’intéresse quelque peu aux questions socio-économiques connait cette consternante situation. En 2009, le Comité des banques et du commerce, du Sénat canadien, a planché sur cette question. Le compte-rendu des débats indique que les sénateurs connaissaient l’ampleur du problème. Mais ils n’ont réussi qu’à publier un petit rapport qui fut aussitôt mis sur une tablette. Néanmoins, l’un des membres de ce comité, la sénatrice Pierrette Ringuette, a proposé un timide projet de loi, le S-241, qui ne faisait que modifier le mandat du Surintendant des institutions financières pour y inclure la responsabilité d’assurer le suivi de l’industrie des cartes de crédit et de débit. Rien d’autre. Eh bien, ce projet de loi minimaliste s’est enlisé quelque part et aujourd’hui n’est plus d’actualité.
Dette souveraine.
Au Canada, la dette publique est importante, préoccupante même. Aujourd’hui, elle est de l’ordre de 1 200 milliards $ (dette consolidée du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et des municipalités), ce qui correspond à 85% du PIB. Mais, étrangement, elle n’est pas catastrophique tout simplement parce qu’elle est possédée à hauteur de 85% par les Canadiens eux-mêmes. Mais beaucoup d’autres pays ne sont pas dans la même avantageuse situation. À titre de comparaison, aux USA, 38% de la dette publique est détenu par des non-résidents ; en Irlande, c’est 85% ; au Portugal, 75% ; en Grèce, 71% ; et en France, 65%.
Le constat général, c’est que beaucoup de pays croulent sous la dette. En conséquence, la question angoissante que se posent tous les pays au bord de la rupture est la suivante : comment la payer, cette dette ?
Conseillés par les mêmes financiers qui ont créé la crise et qui continuent de saigner la planète, les gouvernements ont tenté de résoudre le problème en ne changeant pas les règles du jeu de cette aberrante partie de dupes. Bien sûr, ça ne marche pas. Tout simplement parce que l’argent est ailleurs. Pour payer ses dettes, les pays doivent aller chercher les fonds là où ils se trouvent. Tout simplement. À savoir :
— Que l’on vide les paradis fiscaux et on récupérera 500 milliards $. Cette somme n’est pas récurrente mais elle constituera un bon tremplin.
— Que l’on réduise de 20% les budgets militaires de tous les pays et on récoltera 1500 milliards $ par année.
— Que l’on applique la Taxe Tobin sur les flux financiers ; en appliquant un taux modeste de 0,25%, on obtiendra 300 milliards par année. (Au moment où j’écris ces lignes, la France et l’Allemagne propose d’instituer la Taxe Tobin ; il était temps !)
Uniquement avec ces trois sources de revenus, on épongera les dettes souveraines en quelques années.
— Une autre mesure toute simple relancerait l’économie : interdisons définitivement toutes les structures financières à fin spéculative (i.e., les hedge funds), tous les produits financiers exclusivement spéculatifs (i.e., les swaps ou les papiers commerciaux), et toutes les pratiques spéculatives (i.e., l’achat sur marge, le flash trading ou le day trading ; la semaine dernière, excédés par l’abus des spéculateurs, certains pays d’Europe ont interdit l’achat sur marge).
Et redirigeons les capitaux dégagés vers de véritables projets de développement.
En conclusion, j’aimerais citer le journaliste américain, Bill Moyers. Parlant des Etats-Unis incapables de s’extirper de la crise économique, il lançait :
America’s corporate and political elites now form a regime of their own and they’re privatizing democracy.