PRÉSENCE DE LUMIÈRES

Changements: pourquoi?

Les Pères de la Confédération

Les Pères de la Confédération

Le 2 mai dernier était jour d’élection au Canada. À cette occasion, les Canadiens ont donné un grand coup de balai. Avec un sang froid remarquable, ils ont consenti une majorité absolue au Parti Conservateur (163 députés), ont promu le NPD au rang d’Opposition officielle avec 103 députés dont 59 au Québec, ont sévèrement rétrogradé le Parti Libéral qui est passé de 77 à 34 députés, ont élu la chef du Parti vert, et ont pratiquement éliminé de la Chambre des communes le Bloc québécois qui a essuyé une perte de 45 députés, passant de 49 à 4.
Du coup, de nombreux pontifes se sont interrogés à voix haute : Pourquoi un tel grand ménage, notamment au Québec? Certains ont répondu que les Canadiens étaient fatigués des querelles incessantes d’un gouvernement minoritaire. Estomaqués par la vague orange au Québec, d’autres ont insinué que les Québécois n’étaient que de naïfs obnubilés par la jovialité de Jack Layton. D’autres encore, plus prudents, se sont contentés d’affirmer sur un ton sentencieux que les Canadiens, et en particulier les Québécois, voulaient du changement. En somme, tous les donneurs de leçon demeuraient bouche bée.
Devant ce troublant silence, on ne m’en voudra pas si j’ose apporter mon grain de sel. Selon moi, l’explication du coup de balai est fort simple : les citoyens ont dit haut et fort qu’ils en avaient marre des politiciens qui passaient leur temps à râler sur leurs angoisses existentielles, qui mettaient leurs intérêts personnels ou partisans avant les intérêts des Canadiens, qui faisaient le bouffon à la Chambre des Communes ou à l’Assemblée nationale, en particulier lors de la période de questions, et qui se complaisaient dans l’inaction, la mollesse ou la fuite en avant. En somme, ils voulaient que leurs élus se missent résolument au travail pour résoudre leurs problèmes.
Bien sûr, le nettoyage ne fut pas complet. Au Parlement canadien, il y a encore beaucoup de politiciens encrassés de mauvaises habitudes. Mais il y a suffisamment de sang neuf pour insuffler un changement salutaire. Encore faut-il le vouloir. Il revient peut-être aux députés du NPD de donner l’exemple.
Qu’on me comprenne bien : pris individuellement, la plupart des députés sont des êtres charmants, généreux de leur temps et bardés de bonnes intentions. Mais dès qu’ils sont en groupe, ils deviennent des crétins pires que les moutons de Panurge.
Quelques exemples illustrent l’extraordinaire incurie de nos parlementaires.
Le dossier du gaz de schiste. Pour une bouchée de pain, le gouvernement du Québec a octroyé des droits gaziers à des sociétés largement étrangères, lesquelles se crurent en pays conquis et se mirent à forer dans les villages et dans les plus belles terres agricoles du Québec. Les risques de pollution étaient énormes, les retombées économiques, minuscules. De toute évidence, les Québécois se faisaient arnaquer. Devant des députés amorphes pour ne pas dire absents, les citoyens durent monter aux créneaux et mettre un frein à cette folie. Du moins, pour un temps. Dans cette affaire, les élus ont démontré leur inutilité.
Les infrastructures de Montréal et d’ailleurs. Le pont Champlain est en piteux état, doit être remplacé à brève échéance par un autre pont ou par un tunnel. Dans ce dossier, où sont les élus montréalais à la Chambre des communes? Ne serait-il pas raisonnable les voir les députés fédéraux ranger leurs différents partisans, et mettre dans la balance le poids collectif de leur influence afin d’amorcer le processus de remplacement de cette infrastructure routière indispensable à la prospérité économique de millions de Canadiens. Parlant d’infrastructures, il y a quelques jours, une énorme pièce de béton s’est affaissée sur la chaussée de l’autoroute Ville-Marie. Depuis, le ministre des transports du Québec louvoie. Mais où sont les autres députés?
Licenciement abusif. Sans préavis, à Trois-Rivières, Laval et Oshawa, la société IQT Solutions met brutalement à la porte 1200 employés. Cette compagnie doit à ses employés des semaines de salaire et tous les versements prévus par la loi en cas de cessation d’emploi; faisant fi de leurs obligations les plus élémentaires, les dirigeants d’IQT se cachent aux États-Unis. De toute évidence, dans cette sordide affaire, ces Canadiens se font arnaquer. Où sont nos élus pour prendre leur défense? Voit-on vu un groupe de députés se former pour proposer au Parlement canadien et aux diverses assemblées provinciales une législation non seulement pour rendre justice en ce cas précis mais aussi pour faire en sorte qu’une telle escroquerie ne puisse plus se reproduire?
Déconfiture du Bloc québécois. À l’élection fédérale de 2011, le Bloc québécois a été décimé. Ce parti indépendantiste au Parlement canadien constitue le meilleur exemple d’un groupe de députés dont l’impuissance congénitale a fini par agacer l’électorat. Par définition, les Bloquistes se cantonnaient dans l’opposition, et leur influence sur la marche des affaires restait marginale. Pendant un temps, les Bloquistes ont trouvé leur raison d’être politique dans l’indignation d’une population nationaliste écœurée par les revers référendaires, l’échec de l’accord du lac Meech et le scandale des commandites. Mais on ne peut pas être toujours en colère, surtout lorsque celle-ci est stérile. À l’élection de 2011, les Bloquistes ont maintenu leur ton hargneux et proposé de ‘parler du Québec’; les électeurs québécois ont plutôt choisi d’élire des gens joyeux qui proposaient d’agir.
Péquistes démissionnaires. Récemment, cinq députés péquistes ont démissionné avec fracas de leur parti. Pour plusieurs, ce geste fut compris comme la quintessence de l’égoïsme politique. En effet, ce qui est ressorti du discours indigné des démissionnaires, ce fut leur angoisse personnelle et leurs querelles intestines. Sans contredit, ces députés excellaient à parler d’eux-mêmes, et à oublier les aspirations concrètes des Québécois. Pour s’en convaincre, voyons un peu leur explication. Madame Lisette Lapointe a clamé que le Parti québécois qu’elle quittait était celui de l’autorité outrancière. Monsieur Curzi a avoué qu’il n’était plus capable de se voir dans un miroir. Monsieur Aussant a réclamé sa part du budget de recherche attribué au PQ. En quoi ce discours égocentrique, et la démission, contribuaient-ils à réduire le temps d’attente dans les urgences des hôpitaux ou à résorber le décrochage scolaire, par exemple?
Crise financière. À l’automne 2008, les turpitudes des banquiers, spéculateurs et autres boursicoteurs ont créé une crise financière et économique sans précédent. Qu’ont fait les députés fédéraux pour faire en sorte qu’une telle ignominie ne se reproduise plus? Rien. Les citoyens du Québec furent parmi les victimes de cette crise. En effet, ils ont vu une part importante de leurs économies disparaitre en fumée parce que, entre autres institutions financières, la Caisse de dépôt et placement a encaissé une perte aux livres de 40 milliards $, c’est-à-dire une perte réelle de l’ordre de 18 milliards$. L’une des causes de cette aberrante performance fut l’achat massif de papiers commerciaux; bien que ce produit financier spéculatif fût toxique, l’agence de notation canadienne DBRS l’a noté favorablement. Face à ce scandale, qu’ont fait les députés québécois et canadiens? Rien. Ont-ils sanctionné l’agence de notation DBRS, la CDPQ et plusieurs banques pour leur inqualifiable incurie? Non. Au contraire! Ils ont laissé faire, ont même accepté que Louis-Paul Rousseau, PDG démissionnaire de la CDPQ, se retire avec tous les honneurs et son confortable bonus. Lamentable!
La loi des banques. Au Canada, des pans entiers de l’activité bancaire échappent à toutes possibilités de plainte de la part des Canadiens. Par exemple, l’Agence de consommation en matière financière du Canada, un organisme du gouvernement canadien, refuse de traiter les plaintes concernant le coût des produits bancaires, la qualité des services ou les erreurs de facturation. Que font les députés canadiens face à cette ineptie? Rien.
La téléphonie sans-fil. Au Canada, le marché de la téléphonie sans-fil est contrôlé par trois entreprises, Bell, Telus et Rogers. Ensemble, ces trois entreprises détiennent 95% des parts du marché. La conséquence de cette oligarchie est que les Canadiens paient plus chers que le reste de la planète pour ce service. Que font nos députés? Rien.
L’industrie de la construction au Québec. Les scandales de cette industrie sont nombreux. Des exemples de collusion entre des entrepreneurs ou des ingénieurs-conseils, d’une part, et des élus ou des fonctionnaires, d’autre part, sont constamment divulgués. En plus, les Québécois paient leurs travaux publics plus chers qu’ailleurs (certains disent de 30%), et la qualité du travail exécuté, à plusieurs endroits, est d’une affligeante médiocrité. D’une seule voix, les Québécois réclament une enquête publique pour faire la lumière sur ces pratiques et, éventuellement, pour démanteler les réseaux de connivence. Le gouvernement du Québec refuse, à la place met sur pied des escouades policières qui, à date, n’ont rien donné. Que font les députés face à cette aberration? Rien. Ici, les allégeances partisanes prennent le pas sur le bien collectif.
Fossé entre les riches et les pauvres. Si les députés voulaient, pour un temps, s’élever au dessus des considérations à court terme, ils pourraient s’interroger sur l’une des grandes injustices de notre époque. Je veux parler du fossé qui ne cesse de se creuser entre les riches et les pauvres. Depuis trente ou quarante ans, au Canada comme à peu près partout dans le monde, les riches deviennent de plus en plus riches, et les pauvres, de plus en plus pauvres. Face à cette aberrante évolution, les députés pourraient mettre sur pied une commission qui aurait pour mandat de s’interroger sur les causes de cette iniquité, et de proposer les correctifs appropriés.
Voilà! On pourrait additionner encore longtemps les exemples de ce type.
En somme, ce que les Canadiens veulent, c’est ceci :
— des députés sereins, honnêtes, travailleurs et impliqués;
— des députés qui agissent concrètement pour résoudre les problèmes de la société;
— des députés qui se comportent dignement au Parlement ou à l’Assemblée nationale, notamment lors de la période de question;
— des députés qui sachent prendre des initiatives;
— des députés qui mettent de côté leur stupide partisannerie et acceptent de travailler loyalement avec leurs collègues des autres formations;
— des députés courageux, capables d’affirmer leurs convictions tout en sachant faire les compromis nécessaires.
Il revient aux chefs des divers partis d’insuffler une attitude et des règles de conduite qui soient plus dignes et plus féconds.