Michel Lincourt PhD

Un spritz

Que boit-on, à Padoue et dans toute le Vénétie, lorsqu’on s’assied à la terrasse de l’un des nombreux cafés qui peuplent les places publiques? Quel est l’apéritif qui définit cette région d’Italie? Bien sûr, en Vénétie, on boit de tout mais surtout le spritz, extraordinaire nectar qui se sirote en souriant. C’est bon, c’est rafraichissant, on le déguste en tout temps mais surtout à la fin d’une journée chaude.
D’abord, réglons une chose importante: la paternité du spritz. On le boit à Venise, à Vicenza, à Trévise, à Vérone, à Padoue, on le boit même à Bologne et à Milan. Mais les Padouans vous affirmeront sur un ton qui n’admet pas la contradiction que le spritz a été inventé à Padoue et que le meilleur spritz de l’univers se boit chez eux. Celui à Venise? Une pâle imitation! Mais en même temps, une étincelle de malice s’allume dans leur oeil pour vous faire comprendre que tout ça, ça n’a pas d’importance, que l’inportant est de le savourer et d’être heureux. En fait, ils ignorent où fut bu le premier spritz. Tout ce qu’ils savent, c’est que cette délicieuse concoction date de l’occupation autrichienne, qui dura de 1814 à 1866. Suant sous le soleil italien, s’étalant dans les estaminets, les officiers autrichiens réclamèrent un boire désaltérant « qui pétille ». Les tenanciers de guinguette ne virent aucune raison de ne pas les accommoder et aspergèrent une eau de Seltz dans un verre de vin blanc frappé. D’ailleurs, « spritz » vient de spritzen, mot allemand qui signifie « asperger ». Et les Autrichiens se déclarèrent ravis. Après le départ des occupants, sentant le besoin d’épicer ce boire un peu fade et peut-être pour lui donner un air coquin, les tenanciers y ajoutèrent une liqueur arômatisée. En 1919, à la Foire internationale de Padoue, on ajouta de l’Apérol dans le spritz. Et ce fut un triomphe. Le spritz moderne était né.
Quelle est la recette de ce cocktail? Il y en a plusieurs. Chaque barman prétend avoir la sienne. Mais ce ne sont que des variations dont le thème est celui-ci. Dans un verre à whisky, mettez deux ou trois glaçons. Ajoutez un tiers d’Apérol, cette liqueur orangée à base d’herbes aromatiques et d’agrumes. Puis, un tiers de vin blanc. Enfin, un tiers de Tonic Water. Complétez avec un quartier d’orange et une grosse olive verte sur une pique. Servez avec un petit bol de chips. Le Campari peut remplacer l’Apérol mais le spritz au Campari m’apparait comme une version édulcorée destinée aux touristes. Ce n’est pas mauvais mais, à mon goût, la version à l’Apérol est mieux. On peut remplacer le vin blanc et le tonic par du Proseco, ce qui n’est pas mal non plus. Au chic Caffè Pedrocchi, à Padoue, on sert le spritz avec l’Apérol, le Proseco, du sucre de canne, de la lime et probablement d’autres choses. Il est excellent mais coûte deux fois plus cher que les autres. Parfois, rarement, on remplace le Tonic Water par du Soda Water.