PRÉSENCE DE LUMIÈRES

Pédophilie et péché originel

Benoît XVI

Benoît XVI

Je ne connais pas personnellement monsieur Raymond Gravel, curé à Joliette. Mais il m’apparait comme un homme bon et sensé. Ces jours-ci, il a grimpé sur toutes les tribunes pour affronter l’ouragan qui secoue l’Église catholique. Car les crimes de pédophilie perpétrés par des prêtres catholiques s’additionnent. En gros, on accuse des prêtres d’agression sexuelle contre des enfants, parfois orphelins ou handicapés. Et on accuse la hiérarchie catholique de nier ou de dissimuler ces crimes, de protéger les agresseurs et d’ignorer les victimes. En somme, on accuse l’Église de pratiquer le pharisaïsme plutôt que la compassion. La tourmente lèche même les mules du pape.

Avec plus de courage que de discernement, à mon sens, monsieur Gravel défend son institution. Plus tôt cette semaine, je l’ai entendu à Radio 98,5, répondant de son mieux aux questions de Paul Arcand et croisant le fer avec madame France Bédard, qui a été violée par un vicaire, à Québec. À une autre occasion, il a coupé court à une interview musclée avec Benoît Dutrizac.

Je ne sais pas si monsieur Gravel transmettait le message officiel de sa hiérarchie ou s’il s’exprimait à titre personnel. Quoiqu’il en soit, son argumentaire mérite qu’on s’y arrête. En substance, il dit ceci : Plutôt que de condamner les prêtres violeurs, il faut leur pardonner. Bien sûr, l’Église doit montrer de la compassion pour les victimes mais ne devrait pas leur offrir un dédommagement. Il est justifié que l’Église conserve en son sein les prêtres fautifs mais doit les mettre hors d’état de nuire. Oui, bien sûr, dans le passé, l’Église a camouflé des délits de pédophilie commis par des prêtres mais c’était conforme à la façon de faire de l’époque. L’institution de l’Église n’est pas responsable du comportement délictueux de certains de ses prêtres. Les nombreux prêtres qui ont un comportement irréprochable ne devraient pas se sentir coupables de crimes commis par les pédophiles et les violeurs. Sur ce point, monsieur Gravel s’est donné en exemple : pourquoi moi qui fus ordonné au cours des années quatre-vingt serais-je concerné par des faits survenus avant mon temps?

Examinons un moment cette dernière assertion. Monsieur Gravel rejette le concept de culpabilité collective. Il affirme que ni l’Église en tant qu’institution, ni la hiérarchie catholique (le pape, les cardinaux, les évêques), ni les autres prêtres ne sont responsables de crimes commis par d’autres membres du clergé, notamment ceux perpétrés à des époques révolues. Bien sûr, du point de vue du code criminel de notre société laïque, il a raison. En démocratie, personne n’est coupable d’un crime commis par un autre. Ainsi, dans la crise actuelle, les seuls coupables sont les prêtres violeurs et les évêques qui ont couvert ces crimes. Sont coupables aussi les complices au sein de l’Église qui ont obéi aux évêques afin de mettre en œuvres le camouflage. Ça peut faire beaucoup de monde mais ça n’inclut pas tout le monde.

Pendant que monsieur Gravel ferraille sur les ondes, le cardinal Marc Ouellette, archevêque de Québec et Primat du Canada monte à son tour sur la tribune, prend la défense du pape, nie toute responsabilité de l’Église dans les affaires de pédophilie et accuse les médias de faire au pape et aux évêques un procès d’intention. Il ne dit mot des victimes.

Vendredi dernier (le Vendredi Saint des chrétiens), le prédicateur du pape, le capucin Raniero Cantalamessa, met sa sandale dans la bassine pascale en associant les attaques contre le pape à l’antisémitisme. Lui aussi innocente le pape et rejette la culpabilité collective. Du haut de la chaire vaticane, en présence du pape, il clame : « L’utilisation du stéréotype, le passage de la responsabilité et de la faute personnelles à la faute collective me rappellent les aspects les plus honteux de l’antisémitisme. » Comme il fallait s’y attendre, les associations juives se sont indignées, le bon père s’est excusé et le Vatican s’est dissocié de son prédicateur.

Revenons à monsieur Gravel. De toute évidence, il regrette sa sortie médiatique puisque quelques jours plus tard (le 2 avril 2010), il publie une lettre dans laquelle il avoue avoir reçu des centaines de messages de bons chrétiens consternés par ses récentes sorties. Se sentant coincé dans la position peu enviable de celui appelé à défendre l’indéfendable, il se désolidarise des propos de monseigneur Ouellette, et implore sa hiérarchie de faire acte d’humilité et de reconnaître ses torts. Il revient sur la question de la culpabilité collective, en ces termes : « Sachant aujourd’hui qu’environ 4 % des prêtres dans le monde ont trahi leur vocation et ont ruiné la vie d’une multitude d’enfants, il ne faut pas oublier aussi qu’il y a 96 % des prêtres, fidèles à leur vocation, qui souffrent du mensonge et du déni de leurs dirigeants. »

J’aime bien monsieur Gravel lorsqu’il parle ainsi, avec bon sens et compassion. Mais en rejetant le principe de la culpabilité collective, il renie un pan entier de la doctrine millénaire de son Église. La Bible nous dit qu’à l’origine, Dieu chasse Adam et Ève du Paradis terrestre et les condamne pour toujours à une vie de misère. Tous leurs descendants sont collectivement coupables de ce péché originel. L’Évangile raconte que Jésus choisit de mourir sur la croix pour racheter tous les péchés du monde. Dans l’épitre aux Romain (5 :12), Saint Paul décrète que « c’est par un seul homme que le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort, et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes parce que tous ont péchés ». Érigeant au niveau du dogme l’idée de la culpabilité collective, l’Église institue le sacrement du baptême. Qu’est-ce que le baptême? Le Catéchisme catholique répond que « le baptême est un sacrement qui efface le péché originel, nous fait chrétiens, enfants de Dieu et de l’Église, et héritiers du Ciel ».

Un autre dogme de l’Église stipule qu’en matière de doctrine le pape est infaillible. Donc, lorsque le pape au Concile de Trente (1542) confirme le péché originel et institue le sacrement du baptême, il décrète comme vérité immuable que la culpabilité collective est au cœur de la croyance chrétienne.

Qu’est-ce à dire dans l’affaire de la pédophilie? N’y a-t-il pas dans le discours actuel de la hiérarchie catholique une contradiction? D’un côté, l’Église affirme que tous les bébés qui naissent sur la terre sont ipso facto coupables d’un vague crime commis par un improbable ancêtre; de l’autre, la même Église affirme que le même principe ne s’applique pas à ses dirigeants pour des crimes réels, contemporains, souvent prouvés ou admis, dont plusieurs victimes sont encore vivantes.

Niant leur responsabilité, le pape, monseigneur Ouellette, le prédicateur Cantalamessa tiennent-ils un discours hérétique?

Quant à monsieur Gravel, il y a longtemps, je pense, qu’il se fiche de l’orthodoxie doctrinale et qu’il écoute sa conscience.