PRÉSENCE DE LUMIÈRES
Casher et halal

Estampille casher
S’il y avait au Québec une législation établissant la laïcité, je veux dire une laïcité sans qualificatif ni ambigüité, le problème de la nourriture casher ou halal qui caracole ces jours-ci dans la sphère publique serait déjà réglé. Voici ma réflexion là-dessus.
D’emblée, j’affirme avoir le droit de critiquer les pratiques des religions, notamment les interdits alimentaires, sans qu’on m’accuse d’anticléricalisme, d’antisémitisme ou d’islamophobie.
Casher et halal : qu’est-ce?
Le Casher est l’attribut d’aliments, de leur mode de préparation, des artisans de cette même préparation, des lieux de leur manipulation ou de leur consommation, qui sont régis par la loi mosaïque. Le Halal est un attribut du même ordre que le casher mais selon les règles coraniques. Il s’agit de prescriptions alimentaires qui concernent les juifs ou les musulmans, notamment les plus pratiquants d’entre eux.
Précisons tout de suite que les interdits casher ou halal n’ont rien de rationnel. Ce ne sont que des diktats superstitieux qui remontent à la nuit des temps. Consignés dans la Bible, la Torah ou le Coran et malgré leur côté saugrenu, ils sont présentés comme des règles divines, donc, selon leurs auteurs, incontestables. Certains historiens prétendent que ces règles furent promulguées comme mesures de santé publique. Mais cette hypothèse n’est guère crédible car aux temps bibliques ou à la Médine du VIIe siècle, dans la fournaise du Moyen-Orient, bouffée par les mouches et la vermine, la viande de mouton risquait d’être aussi avariée que celle du porc; pourtant, sans explication, la première était permise et l’autre, non. Ajoutons qu’aucun des préceptes casher ou halal ne résiste à l’analyse scientifique contemporaine.
Aujourd’hui, chez nous, les règles alimentaires de la chrétienté sont tombées en désuétude. Il y a déjà un bon bout de temps qu’on ne pratique plus le jeûne du carême et que, le vendredi, on mange autant du jambon que du saumon. En revanche, les règles alimentaires juives ou musulmanes envahissent de plus en plus l’espace public.
Commerce
Parlant du casher ou du halal, il est important de souligner ceci : ce sont d’abord et avant tout des entreprises commerciales qui rapportent beaucoup aux rabbins et aux imams concernés. L’éleveur d’agneaux qui veut que son produit soit certifié casher doit payer un tribut au rabbin; de la même façon, l’abattoir qui veut que son poulet soit certifié halal doit, lui aussi, payer un tribut à l’imam.
Dans la grande distribution, on trouve un nombre considérable de produits certifiés casher ou halal. Par exemple, il y a de l’eau en bouteille casher ou halal, du beurre d’arachide casher ou halal, des œufs casher ou halal, du miel casher ou halal, du riz casher ou halal . . .
Le chiffre d’affaire et le profit du trafic casher ou halal se calculent sur plusieurs plans. Tout en amont, il y a les honoraires payés aux rabbins et aux imams qui, par leurs inspections ou leurs bénédictions, apportent la certification casher ou halal. Ensuite, il y a les lieux de production de la nourriture casher ou halal; nous parlons ici de la boulangerie casher ou de la boucherie halal, par exemple. À cette catégorie, il faut ajouter la cuisine, la cafétéria et les politiques d’achat des CPE, des écoles, des hôpitaux ou des résidences pour personnes âgées qui sont juives ou musulmanes. Il y a aussi les restaurants casher ou halal. Enfin, il faut ajouter les grandes surfaces qui vendent de tout, incluant des produits casher ou halal. Sur la planète, cet immense commerce représente un brassage économique de plusieurs milliards de dollars. Au Canada, on l’estime à 3 milliards.
Autrefois, les deux grandes affaires religieuses étaient le commerce des indulgences et celui des reliques; aujourd’hui, c’est la bouffe casher et halal.
Démographie
Au Canada, les chrétiens forment 72% de la population, ceux qui n’appartiennent à aucune appartenance religieuse constituent le deuxième groupe le plus important, c’est-à-dire 17%, les musulmans sont 2%, les juifs, 1%, et les autres, c’est-à-dire 8%, appartiennent à divers groupes religieux. Au Québec, on retrouve à peu près les mêmes proportions. Donc, au Canada, les adeptes du casher et du halal ne dépassent guère le million d’habitants; en fait, ils sont encore moins nombreux car ce ne sont pas tous les juifs ni tous les musulmans qui consomment casher ou halal en tout temps. Souvent, leur pratique se réduit à ne pas manger de porc et à boire de l’alcool en cachette. Alors, pourquoi une telle panoplie de produits certifiés casher ou halal? Et pourquoi, dans les grandes surfaces par exemple, y trouve-t-on souvent des produits de grande consommation qui ne sont que casher? C’est le cas du beurre d’arachide Kraft chez le Super C près de chez nous. À mon avis, la réponse réside dans la crédulité abyssale des uns et la supercherie colossale des autres.
Hôpitaux
Dans la région de Montréal, il y a des hôpitaux et des centres d’hébergement juifs. Bénéficiant du financement public, ces institutions servent exclusivement de la nourriture casher. En fait, chez eux, tout est casher. La cuisine est casher, les mets servis aux patients sont casher, la cafétéria pour les visiteurs et pour le personnel est casher, les repas servis à cette cafétéria sont aussi casher. Du coup, une question se pose: cette pratique imposée à tous, est-ce qu’elle n’entre pas en conflit avec les valeurs de leur clientèle qui ne pratique pas la religion juive?
En d’autres termes, on pourrait conclure que l’imposition de la nourriture casher dans ces institutions publiques est une pratique discriminatoire, contraire à nos chartes des droits? Souvent, par ignorance, par timidité, par faiblesse ou par indifférence, les non-juifs qui fréquentent ces lieux ne se formalisent pas et mangent casher. Mais qu’en est-il des musulmans qui sont aussi à cheval que les juifs sur les pratiques alimentaires?
Le discours de ces institutions juives est ambigu : d’un côté, elles affirment que la bonne santé de leurs patients exige une alimentation qui suit les règles scientifiques et diététiques les plus rigoureuses; et de l’autre, elles disent que cette même alimentation respecte « les règles strictes de la cacherout, sous la supervision [par exemple] du Vaad Ha’ir ». Or, le moins qu’on puisse dire, c’est que ces superstitions ne sont pas scientifiques.
Autre question: qu’en est-il de la politique d’achat de ces institutions juives qui respectent les règles de la cacherout? Est-ce qu’elles donnent la préférence à des produits casher? Favorisant certains fournisseurs au détriment des autres. Pour des raisons religieuses. Car il me semble impossible de préparer des mets casher avec une matière première non-casher.
Conviction
Quand on demande à des juifs ou à des musulmans pourquoi ils tiennent tant à ne manger que de la nourriture casher ou halal, ils répondent que c’est par conviction religieuse. Bien. On doit respecter cette conviction. Mais lorsque des citoyens n’appartenant à aucune religion expriment une conviction similaire et souhaitent consommer une nourriture affranchie de toute altération religieuse, on doit aussi respecter cette conviction. La conviction des seconds est tout aussi respectable que celle des premiers. C’est pourquoi, pour éviter que des juifs se fassent servir du faux casher, pour éviter que des musulmans mangent du halal frelaté, pour éviter aussi que tous les autres se fassent arnaquer, en somme pour que nous puissions nous respecter les uns et les autres, il importe que nous sachions ce que nous mangeons et que les pratiques du casher et du halal soient étalées au grand jour.
Cela signifie que les produits casher ou halal doivent s’afficher comme tels. Et que l’explication de ce qui fait qu’un produit possède telle ou telle accréditation doive, elle aussi, s’étaler avec la plus limpide clarté. Actuellement, c’est loin d’être le cas. Par exemple, chez Super C, il est impossible de savoir ce qui fait que le beurre d’arachide Kraft est casher. Par exemple encore, chez Olymel de Saint-Damase, on nous assure que les poulets « normaux » sont en tous points pareils aux poulets halal, les deux sortant de la même chaîne de production. Alors pourquoi certains de ces poulets reçoivent-ils la certification halal et les autres, pas? C’est, nous dit-on, à cause de la prière prononcée par un imam au démarrage de la journée d’abattage. Rien de plus. Avant l’arrivée de l’imam, Olymel produisait des poulets « normaux ». Depuis que l’imam officie, l’abattoir produit des poulets « normaux » et halal. En fait, c’est faux. L’incantation de l’imam fait en sorte que tous les poulets d’Olymel sont halal; en même temps, la plupart de ces poulets dits halal sont vendus à des non-musulmans comme des poulets « normaux ». Sans que personne n’en soit informé. Dans cette bizarre opération, je me demande où se situe la supercherie : est-ce du halal de pacotille ou du religieux clandestin? Je pense que dans cette opération, la seule chose qui compte pour l’imam, c’est la ristourne qui lui est versée par Olymel. Et, bien sûr, ce coût additionnel est réparti sur tous les poulets et refilé à tous les clients dont plus de 97% ne sont pas musulmans. Cela signifie que des non-musulmans, à leur insu, financent l’Islam.
Crédulité
Qu’il soit chrétien, juif ou musulman, le commerce religieux se fonde sur la crédulité des adeptes. Laissez-moi vous raconter une anecdote. En 1966, à l’Université Harvard, lors d’un séminaire sur l’histoire des villes, le grand historien Lewis Mumford (The City in History) et moi, simple étudiant, avons tenu une longue conversation sur l’Église catholique en tant que puissance économique. Sa vision était que toutes les églises – et au premier chef, celle du Vatican– ne sont rien de plus que des compagnies d’assurance. Mais des compagnies structurées de façon fort astucieuse. Le trait de génie des organisations religieuses est qu’elles donnent aux croyants une assurance non pas sur la vie mais sur la mort, en leur faisant une promesse qu’elles n’auront jamais à tenir, à savoir leur procurer le bonheur éternel après leur décès. Elles jouent gagnant à tout coup parce qu’elles savent très bien que personne ne ressuscitera pour réclamer son dû. Contre cette assurance – un peu bidon, il faut bien le dire – elles collectent les primes en monnaie matérielle et paient les prestations en « monnaie » spirituelle. Profit assuré, c’est le cas de le dire. Pour sécuriser leur clientèle, les religions embrigadent leurs clients dès le berceau et, par une inlassable propagande qui s’apparente souvent à un lavage de cerveau, elles leur imprègnent la certitude qu’ils iront au ciel s’ils contribuent financièrement à leur église. Tel est le commerce de l’assurance. Le trafic casher ou halal est du même moule. Basé sur la même crédulité.
Aujourd’hui, en plus du business de l’assurance, les religions prospèrent dans l’agroalimentaire.
Meilleures pratiques
Que conclure de tout ce qui précède? À mon avis ceci :
1. Si les juifs ou les musulmans veulent manger casher ou halal, c’est leur affaire
2. Mais il leur revient de payer les coûts reliés à cette certification. Or, actuellement, dans de nombreux cas, le coût de la certification est réparti sur l’ensemble de la production dont la plus grande partie est destinée à une clientèle qui n’est ni juive, ni musulmane; donc, le coût de la certification est assumé par cette majorité qui n’a rien demandé; et dans le cas des institutions publiques, le coût est intégré au budget de fonctionnement, c’est-à-dire assumé par le contribuable qui n’a jamais donné son avis là-dessus. Il y a là une supercherie à corriger.
3. Le business du casher et du halal doit être absolument transparent. Notamment en ce qui concerne les coûts.
4. Les produits casher ou halal offerts dans les magasins doivent être étiquetés comme tels. Un produit certifié casher ou halal ne doit pas être vendu comme un produit « normal ».
5. Le coût de la certification casher ou halal doit être appliqué uniquement aux produits certifiés comme tels.
6. Tous les producteurs et détaillants de produits casher ou halal doivent, sur leur site Web par exemple, davoir l’obligation d’expliquer la procédure qui fait que le produit mérite l’accréditation casher ou halal. Ils doivent aussi expliquer la répartition des coûts religieux.
7. En tout temps, les fabricants et les détaillants ont l’obligation d’offrir les équivalents « normaux » des produits casher ou halal qu’ils vendent. Par exemple, Kraft doit offrir du beurre d’arachide « normal » à côté du beurre d’arachide casher.
8. Toutes les institutions financées à même les fonds publics et qui font à manger (hôpitaux, prisons, collèges, CPE, écoles, centres d’hébergement, etc.) doivent offrir une nourriture qui n’est pas teinté par la religion. Une nourriture casher ou halal peut aussi être offerte mais les coûts additionnels de cette offre particulière doivent être à la charge de ceux qui en font la demande.
9. En aucun temps, les critères religieux ne doivent intervenir dans le choix des produits achetés par les institutions publiques.
10. Enfin, il serait bon de faire comme la Suède, la Suisse, les Pays-Bas ou la Norvège (entre autres), et tout simplement interdire l’abattage rituel.