PRÉSENCE DE LUMIÈRES
La Banque du Canada et l’inflation / Lettre ouverte
Montréal, 6 février 2024
Monsieur Tiff Macklem, gouverneur,
Banque du Canada,
234, rue Wellington,
Ottawa, Ontario, Canada, K1A 0G9
Monsieur le gouverneur,
Bonjour. Je vous écris à propos de l’inflation et de votre politique pour la subjuguer.
Voyons les faits. Ces jours-ci, le taux d’inflation est de 3,4%, le taux directeur de votre banque est de 5,0%, le taux d’hypothèque fixe sur cinq ans est de l’ordre de 5,7% et le taux de chômage au Québec est de 4,7% et de 5,4% au Canada. En 2022 le taux d’inflation était de 6,8%. De février 2021 à août 2023, le coût du panier d’épicerie a bondi de 19,9% et celui de l’essence, de 51%, alors que les salaires n’ont augmenté que de 9,8%.
Devant cette effervescence, vous avez fourbi vos armes et lancé votre attaque. En clair, vous avez augmenté votre taux directeur, le faisant passer de 0,25% en mars 2022 à 5,0% en juillet 2023, dix augmentations consécutives sur 16 mois
Pour avoir une économie en bonne santé, répétez-vous, il faut assurer que les prix augmentent au rythme constant de 2,0% par année, pas plus, pas moins. C’est votre cible : si le taux d’inflation se maintient à 2,0%, tout ira bien.
Mais n’y a-t-il pas quelques zones obscures dans votre discours ? Ne passez-vous pas sous silence le fait que votre modèle incorpore le ‘carré magique de Kaldor’ et la ‘courbe de Phillips’ ? Je vous rappelle que le carré de Nicholas Kaldor a pour sommets les quatre attributs assurant une saine politique économique (selon Kaldor) : le taux de croissance, le solde de la balance commerciale, le taux d’inflation et le taux de chômage ; plus la surface du carré est grande, explique Kaldor, plus la santé économique du pays est solide ; en même temps, il précise qu’il est impossible de réaliser simultanément tous les objectifs du dispositif car ils sont en conflit les uns avec les autres.
La courbe de Phillips, elle, montre que le taux d’inflation est inversement relié au taux de chômage, plus l’inflation diminue, plus le chômage augmente, et inversement. La conséquence de la cible du 2,0% d’inflation préconisée par vous est un taux de chômage de 6,5%. Vous auriez pu dire : ma cible est de condamner au chômage quelque 1 500 000 Canadiens et, par la magie combinée de Kaldor et de Phillips, nous obtiendrons un taux d’inflation de 2,0% et alors tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes, comme ironisait Voltaire.
Ce raisonnement n’est pas seulement inexact, il est aussi carrément odieux.
Il est inexact parce qu’en 2017 et 2018, nous avions la condition idéale (selon votre doctrine), à savoir un taux d’inflation de 1,6% et de 2,3%, et un taux de chômage de 6,7% et de 5,6%. Donc, tout baignait, aucun nuage inflationniste à l’horizon. Pourtant, en 2022, l’inflation a bondit à 6,8%.
Il est odieux parce que votre politique pour subjuguer l’inflation sanctionne des innocents et épargne les coupables. En effet, qui sont les responsables de l’inflation actuelle ? Sans trop me tromper, je pourrais vous suggérer les pétrolières, les circuits mondiaux d’approvisionnement, les multinationales de l’agroalimentaire (dixit le président Biden), les banques, les pharmaceutiques, les fonds d’investissement et les hyper-riches. À propos de ceux-ci, Oxfam nous informe que depuis 1995 les 1% les plus riches de l’humanité ont accaparé près de vingt fois plus de richesses que les 50% les plus pauvres. De toute évidence, ce ne sont pas les 50% les plus pauvres qui provoquent l’inflation. Quant à la contribution des salariés de la classe moyenne à l’inflation, elle est marginale. Mais vous vous acharnez sur ceux-ci qui n’ont rien fait pour déclencher l’inflation et laissez courir les vrais fauteurs de trouble.
Vous le savez mieux que moi, votre seul outil pour mater l’inflation est la hausse de votre taux directeur. Ce fameux taux n’est rien d’autre qu’un dispositif qui aide les banques privées à balancer leurs livres à la tombée de chaque jour. Mais dès que vous l’augmentez, ces mêmes banques se croient obligées d’augmenter le taux des hypothèques, des marges de crédit et d’autres prêts à la consommation. Bien sûr, cette mesure rabat l’inflation : siphonnant l’argent de tout le monde vers les banques, l’économie périclite et les innocents souffrent.
Monsieur le gouverneur, en assurant l’appauvrissement des pauvres et l’enrichissement des riches, en prônant une croissance infinie dans un monde fini, en imposant l’idéologie absurde du néolibéralisme, vous mettez en péril l’humanité. Un changement de cap serait apprécié.
Cordialement vôtre,
Michel Lincourt PhD
PS. Toute l’information contenue dans cette lettre appartient au domaine public. Elle fut obtenue via les moteurs de recherche usuels, à partir d’articles de journaux dont celui de Michel Girard (JdeM, 21 septembre 2023), de données statistiques et du site de la Banque du Canada.
CC. L’honorable Chrystia Freeland, ministre des Finances, Canada