PRÉSENCE DE LUMIÈRES

Montréal Réflexion 2050 / Mon mémoire / VIVE MONTRÉAL FLEURI

Montréal / Réflexion 2050
Office de consultation publique de Montréal, 6 octobre 2022
Mémoire
Vive Montréal fleuri par et pour les Montréalais
Michel Lincourt PhD, architecte et urbaniste émérite

D’abord énonçons une évidence : Montréal est une ville. Mais encore ?

Montréal
Montréal est une collectivité d’êtres humains qui vivent à proximité les uns des autres pour optimiser leurs échanges de connaissances, de services et de biens. C’est la meil­leure définition de ‘ville’ que l’on puisse trouver, c’est la meilleure définition de Mont­réal. Montréal est le patronyme des gens qui vivent ici, nous sommes toutes et tous des Montréalaises et des Montréalais.
Le premier geste que nous posons à notre naissance est de prendre possession de notre espace. Cet espace nous appartient le temps de notre vie. L’ensemble de tous ces espaces individuels est l’espace collectif ; ici, cet espace pluriel est celui de Montréal. Il nous appartient autant que notre ombre lorsque nous déambulons au soleil ; notre part de soleil nous appartient aussi.
Bien sûr, nous pouvons choisir de vivre en ermite, hors d’une collectivité organisée, mais pour plusieurs d’entre nous, nous avons fait le choix contraire, celui de vivre en ville, à Montréal. Avec ses deux millions d’habitants, Montréal est une petite grande ville.
Pour nous faciliter la vie, à Montréal depuis 1642, à l’instar de toutes les villes du monde, nous avons créé des institutions, des organismes et des infrastructures. Aujourd’hui, Montréal est une entité complexe, organique, vivante et pluridimensionnelle.

Mon propos
Mon propos est d’abord d’identifier les domaines qui vont bien à Montréal, pour les préserver et assurer leur pérennité, et ceux qui souffrent, pour les corriger ou carrément les changer. Ensuite, mon propos est de présenter deux projets d’aménagement urbain afin d’illustrer l’urgence de la situation. Mais avant, il importe de décortiquer le phéno­mène montréalais.

Nous
D’abord, il y a nous, Montréalaises et Montréalais. Nous sommes à la fois les créateurs, les constructeurs, les gestionnaires et les usagers de l’organisme urbain montréalais. Nous sommes la raison d’être de notre ville.

La ville
Examinons la ville autour de nous. D’emblée, il nous faut distinguer la ville institu­tionnelle de la ville construite. Et comprendre que l’une ne va pas sans l’autre.

La ville institutionnelle
La ville institutionnelle comprend quatre entités complémentaires, à savoir la ville politique, la ville de l’argent, la ville sociétale et la ville organisationnelle.
La ville politique est celle qui dirige les autres. Elle est le siège du pouvoir. Et chez nous, ce pouvoir est démocratique, c’est-à-dire qu’il nous appartient. À nous de l’exercer.
La ville politique collecte nos taxes, gère nos services publics et nos infrastructures, et encadre les organisations qui soutiennent notre vie collective et individuelle. Bien sûr, nous n’ignorons pas que des autorités gouvernementales planent au-dessus des structures municipales. Ottawa intervient dans les affaires de Montréal, est notamment responsable de la monnaie et des mécanismes de la dette, du port, de l’aéroport, des chemins de fer, et de l’importation des denrées qui nous sont indispensables. Québec intervient aussi parce que les institutions montréalaises sont ses créatures ; Québec a charge de nous éduquer, de nous soigner et de nous offrir une multitude de services. On le sait, les gouvernements supérieurs financent d’importants travaux publics. Cette pratique engendre souvent des malentendus. Les élus et les technocrates fédéraux et provinciaux, forts du chèque qu’ils brandissent, ont tendance à dicter leurs vues, souvent en opposition aux nôtres. Cette pratique doit changer.
Rappelons qu’en principe les institutions fédérale et québécoise sont aussi démocratiques que les municipales ; en conséquence, tous les élus doivent nous écouter, doivent agir dans le sens de nos besoins et de nos valeurs, et doivent nous rendre des comptes. Les technocrates, eux aussi, doivent travailler en harmonie avec les élus, c’est-à-dire en harmonie avec nous, répondre loyalement à nos demandes plutôt que trafiquer en secret pour nous imposer leur agenda. Pour ces raisons, il faut que la transparence des délibé­rations et des décisions soit au cœur de la vie politique montréalaise. En clair, les élus et les technocrates doivent cesser de censurer nos demandes d’accès à l’information, doi­vent réaliser les projets de bon sens que nous souhaitons.
L’argent est le nerf de la ville, c’est la deuxième entité de la ville institutionnelle. Une nuance importante distingue la dimension économique de la financière. La première touche le pouvoir d’achat de chaque citadin, son degré de richesse ou de pauvreté, la seconde touche la monnaie, les emprunts, les taux d’intérêt et la gestion de la dette. Dans les deux domaines, il est question d’argent, mais pas de la même façon. Par exemple, le citadin lambda se préoccupera des mensualités de son hypothèque, de sa marge de crédit ou de sa facture d’épicerie, mais se désintéressera du marché obligataire ou de la gestion de la dette publique. Sachons cependant que la politique monétaire de la Banque du Canada influencent la vie quotidienne des Montréalais ; elle siphonne au profit de quelques-uns des sommes importantes qui seraient mieux utilisées au service de la majorité ; cette politique souvent délétère doit sortir de l’ombre. Nous devons saisir l’immensité des paiements effectués quotidiennement aux banques et aux trusts, non seulement à travers le service de la dette municipale, mais aussi chaque fois que nous effectuons un achat ou que nous utilisons notre carte de crédit. Les dettes accablent tout le monde, autant l’hôtel de ville que le dépanneur du quartier.
La ville sociétale détermine notre caractère collectif, nos aspirations, notre idiosyncrasie et nos biais. En sus de notre citoyenneté montréalaise, chacun d’entre nous adhère à plusieurs cercles, trace dans le territoire ses propres sentiers. Les identités se superposent, se partagent ou s’opposent, les habitudes s’agrègent ou se bousculent, tout ça, c’est notre vie en société. Qu’est-ce qui nous rassemble ? Beaucoup de choses. Nous possédons tous – ou peu s’en faut – la citoyenneté canadienne, québécoise et montréalaise, je veux dire la citoyenneté légale et affective. Nous voulons tous une vie heureuse et prospère, nous voulons tous vivre dans un environnement sécuritaire, convivial et agréable. Nous vou­lons tous que notre ville contribue à notre bonheur.
Enfin, dans la ville non visible, il y a la ville organisationnelle. Pour faire fonctionner une ville comme Montréal, il faut que des milliers de Montréalais s’en occupent. La plupart le font avec diligence et compétence. Ce sont eux qui entretiennent nos infrastructures, qui font couler l’eau dans nos maisons, qui branchent l’électricité et le cable, qui garnissent les tablettes des épiceries … l’hiver ce sont encore eux qui déglacent nos trottoirs et nos rues. Sans eux, la ville construite tomberait en ruine.

La ville construite
Non, nous ne voulons pas que notre ville tombe en ruine. Au contraire, nous la voulons solide, rutilante, efficace. Parlons-en, de cette structure gigantesque qui forme notre milieu de vie. Elle aussi comprend plusieurs dimensions. Pour comprendre son fonction­nement, imaginons une grappe de raisins : les fruits représentent les cellules d’activité humaine de la ville, les branches, les réseaux qui unissent et nourrissent les cellules.
Les cellules d’activité sont les lieux où nous accomplissons les tâches qui nous sont nécessaires ou simplement agréables. De tous temps, toutes les villes du monde sont faites sur le même modèle : on aligne des bâtiments qui contiennent une ou plusieurs pièces qui logent nos activités, et ces bâtiments s’ouvrent sur une voie publique, accessible à tous ; parfois, la voie s’élargit, devient une place, un forum, un jardin ou un marché, c’est-à-dire un lieu public qui nous accueillera pour accomplir les rituels qui définissent notre identité collective. Les urbanistes classifient les cellules d’activité selon leur usage principal, il y a les lieux d’habitation, de fabrication, d’échange ou de commerce, d’éducation, de divertissement, de soins, de service, de culte, etc.
On distingue cinq réseaux qui relient les cellules d’activité et qui forment un ensemble organique ; la somme organisée de tous les lieux urbains est plus importante que la succession de ces mêmes lieux pris individuellement ; c’est ce qu’on appelle le genius loci, le génie du lieu, la personnalité de la ville.
Les cinq réseaux sont celui de l’interaction humaine, celui du transport motorisé, la plomberie des fluides, le  système d’alimentation énergétique et celui de la communication.
Il y d’abord le réseau d’interaction humaine, là où les citadins, sortant de chez eux, se côtoient, se rencontrent, échangent des sourires, parfois quelques paroles ou quelques renseignements. Ce réseau comprend les trottoirs, les places publiques, les parvis, les jardins publics, les parcs, et aussi les marchés, les halls, les gares et les stations, les mails commerciaux, etc.
On confond souvent ce réseau avec ce qu’on appelle le domaine public. Cette confusion importe peu, ce qui importe beaucoup, c’est l’aménagement de ces espaces, leur entretien et leur gestion. À Montréal, cet aménagement laisse à désirer ; trop souvent on déplore un mauvais design qui est mal construit, avec des matériaux inadéquats, mal entretenu, condamné à une décrépitude rapide dans une indifférence presque pathologique.
Un mot sur les espaces verts qui forment une composante essentielle de la ville construite et aménagée. Dans l’Est de Montréal, on constate une grave carence d’espaces verts. Nous voyons peu d’efforts pour y remédier, a contrario nous y voyons beaucoup de projets bétonnés. Il va sans dire que nous devons faire plus de parcs, beaucoup plus, de tous les types, des parcs nature et des équipements de sport, des jardins d’agrément et des potagers communautaires, nous devons aménager de grands espaces et tous les petits lieux résiduels, les interstices entre les bâtiments. Compte-tenu de la crise climatique, verdir Montréal est à la fois un impératif urgent, presqu’une question de survie.
Pour qu’il remplisse sa fonction, ce réseau d’interaction humaine doit absolument être organisé en matrice, bien conçu, accessible, ouvert, agréable, propre, sécuritaire et convivial. Pourquoi n’avons-nous pas à Montréal des documents de référence qui donneraient des lignes directrices de bonne pratique architecturale ? (urban design guidelines) Qu’est-ce qu’un bon, qu’un beau trottoir ? Qu’est-ce qu’une belle rue ? Qu’est-ce qu’un beau bâtiment ? Qu’est-ce qu’un bel ensemble de beaux bâtiments ? Qu’entendons-nous lorsque nous préconisons une insertion harmonieuse d’un nouveau bâtiment dans le tissu urbain existant ? Qu’est-ce qu’une belle façade ? Pouvons-nous mieux encadrer l’affichage ? Pouvons-nous nous donner un catalogue satisfaisant de mobilier urbain, de l’éclairage, des édicules ?
Puis il y la panoplie de réseaux de transport motorisé des personnes et des biens, c’est-à-dire les rues, les boulevards, les autoroutes, les voies ferrées, les canaux, les voies aériennes, etc. Certains réseaux sont intra urbains, d’autres relient Montréal aux territoires avoisinants, à d’autres villes. Chacun de ces réseaux comportent cinq compo­santes, les voies, les véhicules qui circulent sur les voies, leur alimentation énergétique, les gares ou aires de repos (stationnements, garages, ateliers d’entretien) et les nœuds d’échanges d’un réseau à d’autres, d’un mode de locomotion à d’autres. Ces réseaux interagissent avec d’autres réseaux, principalement avec celui de l’interaction humaine.
Dans une ville moderne comme Montréal, ce réseau est d’une grande complexité. Le fleuve est une voie navigable qui se greffe à la ville par le port. L’activité portuaire est bruyante et polluante. De juridiction fédérale, le port échappe à l’autorité municipale. Mais le port déverse dans le réseau routier de Montréal quantité de camions lourds qui perturbent les résidents des quartiers avoisinants. Il y a ici un problème de voisinage, exacerbé d’un problème de juridiction, aggravé de conflits d’intérêt : voilà imbroglio qui exige de nos élus et de nos fonctionnaires une solution intelligente, énergique et durable.
Ceci nous amène au plus important réseau de transport motorisé, le réseau routier, là où circulent une quantité hallucinante de véhicules, dans une cohabitation plus ou moins chaotique, des voitures particulières, des camions de toutes les lourdeurs, des autobus, des taxis, des ambulances, des motos, des vélos, etc. Les chaussées et les aires de stationnement grugent une part importante du territoire de la ville, poussent la végétation sur la portion congrue en périphérie de l’asphalte, ne sont rien d’autres que des îlots de chaleur, des vecteurs du dérèglement climatique. Bruyants et polluants, les véhicules constituent l’une des principales causes de la crise climatique planétaire. Soyons clairs : la fabrication et la propulsion des véhicules, additionnées à la construction et à l’entretien du réseau routier, ensemble, consomment une énorme quantité d’hydrocarbure, rejettent dans l’atmosphère des gaz à effet de serre et perturbent le climat. Mais ces véhicules nous mènent là où nous voulons aller, transportent à leur destination les produits que nous voulons ; c’est là leur raison d’être, leur utilité, et elle est importante. Je n’en disconvient pas. Mais il y a d’autres façons de faire, d’autres façons moins toxiques. Vivement des véhicules électriques. Avec des batteries écologiques. Mieux adaptés à notre climat.
Parlons du transport collectif. Il s’agit des autobus, des trains, du métro, de quelques navettes fluviales et du REM de l’ouest. Sauf le REM qui est une entité ambiguë, déclarée privée, à mi-chemin entre un train aérien et un produit financier, le transport collectif à Montréal est un service publique, financé par les usagers et nos taxes. La Société de transport de Montréal nous dit ceci : « Depuis quelques années, nous avons amorcé un virage vers la technologie hybride en faisant l’acquisition de bus qui émettent jusqu’à 30% moins de GES qu’un bus diésel. À compter de 2025, si la technologie le permet, nous visons à faire uniquement l’acquisition de véhicules 100% électriques. » Espérons que le virage vert comprendra aussi l’implantation de lignes de tramway et d’autobus électriques, notamment dans l’Est de Montréal et à Lachine, comme à Strasbourg, Oslo ou Stockholm.
En troisième lieu, il y a la plomberie urbaine, le réseau des fluides, l’adduction d’eau potable, l’évacuation des eaux usées, la distribution de la vapeur pour le chauffage urbain, la distribution du gaz, etc. Quatrièmement, il y a le réseau d’alimentation éner­gétique, l’électricité, pour alimenter nos machines et nos systèmes, pour l’éclairage et le chauffage de nos cellules d’activité. Enfin, il y a les réseaux de communication, via des câbles ou des ondes hertziennes, le téléphone fixe et mobile, les ordinateurs, la télévision, la radio, etc. J’ai peu à dire sur ces trois réseaux qui fonctionnent bien.

La nature
Pour compléter cette esquisse du phénomène urbain, n’oublions pas un élément absolument important, je veux dire la nature. Nous avons besoins d’air pure et d’eau potable pour vivre. Nous avons besoin d’une ville respectueuse de la nature afin d’assurer notre survie. Répétons encore une évidence : la ville construite baigne dans la nature et la nature pénètre la ville. Nos élus, nos technocrates, nos financiers, nos experts, nos chevaliers de l’industrie ne peuvent ignorer la dimension écologique de la ville car alors ils nous entraîneraient vers un colossal désastre. Nous, nous le savons, mais il semble qu’au-dessus de nos têtes flottent encore quelques sceptiques qui refusent d’admettre cette réalité. Don’t look up, nous répètent-ils.
La nature signifie la faune, à savoir nos animaux de compagnie, les rares animaux sauvages qui habitent nos parcs, les oiseaux et les insectes. Ce sont des animaux, ce ne sont ni des enfants ni des poupées. Néanmoins, nous devons les protéger avec intel­ligence et sensibilité.
La nature signifie encore la faune, les arbres et les fleurs qui embellissent l’espace public, autour de nos maisons et dans nos maisons. Mais la faune remplit une autre mission encore plus nécessaire : elle absorbe la pollution et purifie l’air que nous respirons. Soyons plus précis : les forestiers ne cessent de nous rappeler que les arbres, ainsi que toutes les autres plantes vertes, absorbent le CO2 ; ce processus se nomme photo­synthèse et le produit de la photosynthèse est l’oxygène ; nous respirons l’oxygène, nous ne respirons pas des pylônes en béton, ni des cours de triage asphaltées.
Nous devons aménager des parcs où la nature est presque laissée à elle-même et d’autres où la nature est cultivée, organisée, manucurée comme une tapisserie. Nous avons déjà abordé la question des parcs. Nous devons en outre souhaiter l’aménagement de jardins d’agrément, et des jardins d’été et des jardins d’hiver sous coupole de verre. Il nous faut implanter l’agriculture urbaine sur une grande échelle, en pleine terre et sur les toits. Nous devons dégager et réaménager les ruisseaux actuellement canalisés en sous-sol. Nous devons réaménager, solidifier et reverdir les rives du fleuve et de la rivière des Prairies. Il faut continuer d’améliorer la qualité de l’eau autour de Montréal.
La nature, c’est aussi le passage des saisons, c’est la gestion adéquate des périodes trop chaudes et des périodes trop froides.
C’est enfin la réponse adéquate au dérèglement climatique. Ici, deux éléments de réponse s’avèrent évidents et nécessaires. D’abord, il faut cesser de construire des projets qui exacerbent la crise planétaire et réparer les dommages causés par les implantations perturbantes existantes ; et il faut prioriser les projets nouveaux qui contribuent à atténuer la crise climatique; par exemple, nous devons éliminer les îlots de chaleur existants et interdire d’en implanter de nouveaux ; nous devons remplacer les surfaces asphaltées par des pavages verts, poreux ou perméables ; nous devons aménager des fossés écologiques pour capter, drainer et purifier les eaux de ruissellement ; nous devons verdir les toitures qui ne sont pas encore dédiées à l’agriculture ; nous devons encourager la phyto­remédiation, c’est-à-dire la décontamination des sols et l’épuration des eaux usées par l’utilisation de plantes vasculaires, d’algues ou de champignons ; ces plantes absorbent et éliminent les contaminants.
Nous devons éliminer les hydrocarbures du paysage montréalais, électrifier les véhicules, améliorer l’offre du transport collectif, améliorer la qualité, la propreté et la sécurité de nos espaces piétonniers, continuer l’implantation du réseau de pistes cyclables.
Enfin, il nous faut nous préparer adéquatement à faire face aux aléas des soubresauts climatiques. Nous devons modifier la réglementation urbanistique pour la mettre d’actualité. Et assurer que tous les intervenants agissent de façon responsable, en suivant des principes écologiques clairs.

Ce qui va bien
Montréal n’est pas une mauvaise ville, loin de là.
On peut dire que la démocratie montréalaise fonctionne bien parce que nous exerçons notre droit de vote à intervalle régulier. Nous sommes en outre une société riche, ce qui nous permet de nous offrir des services de bonne qualité. Malgré quelques débordements récents et une prolifération d’armes de poing, comparée aux autres villes similaires dans le monde, Montréal demeure une ville sécuritaire.
Sauf exceptions, les bâtiments montréalais sont en bon état, bien construits, confortables, bien chauffés, bien éclairés et bien branchés sur les infrastructures de service.
Montréal offre presque tous les équipements dont nous avons besoin, hôtel de ville et mairies, antennes gouvernementales, poste de police, aéroports, gares et port, bureaux et commerces, de nombreuses industries, hôpitaux et cliniques, universités, collèges et écoles, lieux de culture, de culte, de loisir et de sport, etc. D’une façon générale, tout ça est en excellente condition.
La plomberie urbaine, l’alimentation énergétique et les réseaux de communication fonctionnent bien. On ne peut pas en dire autant du réseau d’interaction humaine et celui du transport motorisé, bien que nous puissions nous déplacer sans trop d’entraves.
En gros, Montréal offre à ses résidants un cadre de vie agréable.

Ce qui va mal
Le problème le plus grave est le dérèglement climatique ; c’est un problème plus vaste que la capacité d’intervention de l’autorité municipale, mais en même temps c’est une crise qui frappe Montréal de plein fouet. À peu près tout le monde comprend que la solution à ce problème exige la contribution de tout le monde, mais en particulier celle des grands fauteurs de trouble, à savoir les états, la haute finance, la grande industrie et la grande agriculture – principalement les pétrolières et les Monsanto de ce monde – et le transport.
Il faut mettre fin à l’usage des hydrocarbures dans le transport, l’industrie et l’agriculture. On doit électrifier le transport motorisé, notamment le transport collectif ; en plus, il faut assurer que sa fabrication soit elle aussi écologique. Il faut éliminer les îlots de chaleur, surtout cesser d’en implanter de nouveaux. Il faut mettre fin au suremballage de plastique dans nos commerces. Il faut cesser de brader notre eau potable et de la vendre dans des bouteilles de plastique polluantes.
Les espaces verts : si l’Ouest de Montréal est bien nanti en parcs, ce n’est pas le cas dans l’Est. J’y reviendrai.
La démocratie pourrait être plus respectueuse des Montréalais qu’elle ne l’est actuellement. Les élus ont tendance à oublier leurs engagements et les technocrates ont celle de suivre plus leurs orientations personnelles plutôt que les nôtres.
La finance est le plus secret des problèmes de Montréal. Jamais les élus ne nous parlent intelligemment de la dette, se contente à ce propos de communiqués liminaires que personne ne consulte. Chaque année, nous susurrent-ils, environ 12% du budget de la ville est consacré au service de la dette ; en 2022, pandémie oblige, le service de la dette s’élève à 17 %, c’est-à-dire 17% de 6500 millions $, ou environ 1, 1 milliard $. C’est beaucoup d’argent, c’est surtout beaucoup d’argent qui disparait dans un épais brouillard bancaire. Qui sont nos créanciers ? Mystère. Quelle partie de cette somme va au remboursement du capital, et quelle partie aux intérêts et autres frais ? Encore mystère. Pourquoi le gouverneur de la Banque du Canada, le président du Comité exécutif de Montréal, et nos ministres des finances ne s’expliquent-ils pas sur cette façon de financer nos travaux publics et autres immobilisations ? Toujours un profond mystère. La dette publique, est-ce une fabuleuse machine pour enrichir les riches et appauvrir les pauvres ? On ne répondra pas à cette question parce qu’on craint la réponse.
Si les bâtiments, pris individuellement, sont en bon état, on ne peut pas en dire autant de l’ensemble. À Montréal, l’espace public est médiocre. À Montréal, on ne fait jamais de design urbain. À Montréal, on ne crée que très rarement un espace public qui soit digne de ce nom. À Montréal, les élus et les hauts fonctionnaires sont incapables de nommer les lieux de la ville : comment voulez-vous qu’ils puissent en faire ?
À Montréal, on pense que la beauté est une question de choix personnel, alors qu’elle répond à des règles de composition, par exemple, les proportions, la rythmique et l’harmonie. À Montréal, on construit du laid sans savoir que c’est laid.
Ici, qu’il nous soit permis de présenter deux importants projets dans l’Est de Montréal qui doivent être réalisés de toute urgence. Il importe que ces projets soient exemplaires, c’est à dire conçus de la bonne façon, avec intelligence et sensibilité, selon les meilleures pratiques, au grand jour, et à la satisfaction des Montréalaises et des Montréalais de l’Est.
Ces deux projets sont le transport collectif dans l’Est et le parc nature MHM.
Pour que la vision de Montréal 2050 se réalise, il faut dès maintenant faire des projets qui confortent les nobles objectifs. Ces deux projets appartiennent à ce groupe.

Transport collectif dans l’Est
Grâce à l’effort combiné du Collectif en environnement de Mercier-Est (CEM-E) et de nombreux experts en transport urbain et en urbanisme, le projet de skytrain de la CDPQ Infra a été disqualifié. C’est heureux car le projet du REM de l’Est était un très mauvais projet. Dans la foulée de cette belle victoire citoyenne, le gouvernement québécois a demandé à l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) de reprendre le dos­sier et de proposer une solution plus acceptable aux gens de l’Est. Malgré cette nouvelle et positive orientation, la ministre de la métropole et des promoteurs immobiliers reviennent dans le projet par la porte d’en arrière et proposent à nouveau le skytrain. De nouveau, comme au temps de la CDPQ, une chape de plomb recouvre la transmission de l’information relative au projet. Nous avons offert notre concours à l’ARTM, elle n’a pas répondu.
Le projet de transport collectif de l’Est doit absolument être au service des résidantes et des résidants de l’Est. Si les gens de la banlieue veulent l’utiliser, ils sont les bienvenus. On doit même concevoir des réseaux de transport collectif dans la banlieue qui se grefferont à ceux de l’Est et de l’Ouest, et du Centre, mais il est absolument inadmissible que, sous l’étiquette de transport collectif de l’Est, on conçoive un réseau banlieusard qui traversera sur piliers, à haute vitesse et à grand bruit, l’Est montréalais pour rejoindre le centre-ville. Ce projet serait une double aberration : d’après ce que l’on sait, il y a peu d’usagers de la banlieue nord est qui se rendent tous les jours au centre-ville et il y a peu de résidants de l’Est de Montréal qui se rendent tous les jours au centre-ville. Quoiqu’il en soit, la lumière doit être faite sur l’achalandage du projet de l’Est.
L’élaboration du projet doit comporter un certain nombre d’éléments :

  1. On doit instaurer un dialogue constant entre les élus et les concepteurs de l’ARTM, d’une part, et les gens de l’Est, via les associations citoyennes.
  2. L’ARTM doit effectuer une grande enquête origine-destination auprès des gens de l’Est ; et elle doit publier et discuter publiquement les résultats.
  3. L’ARTM doit effectuer une analyse comparative des divers modes de transport collectif, à savoir le tramway, l’autobus électrique, le tram-train, le skytrain, et autres. Elle doit discuter publiquement le résultat de cette analyse.
  4. L’ARTM doit développer une vision stimulante du système proposé, et la faire endosser par les gens de l’Est.
  5. Le succès du tramway de Strasbourg, et de celui de plusieurs autres villes à travers le monde, démontre que la mise en œuvre d’un projet de transport collectif est un peu un projet d’ingénierie mais surtout un projet de design urbain. Les rails, les stations et les rames ne sont que des composantes d’un aménagement plus vaste. Le résultat de cet aménagement doit être un milieu de vie plus agréable, plus beau, plus efficace, plus convivial, plus sécuritaire, plus vert, etc.
  6. Fort de ces données sur la nature du projet, sur l’achalandage et sur les technologies préférées, l’ARTM doit présenter et discuter publiquement des options de tracés, de l’emplacement des stations, de leur design et de leur insertion dans le milieu, de l’aménagement des emprises, etc. Sans oublier l’estimation des coûts.
  7. De cette discussion honnête sortira une proposition de projet qui fera consensus.

Le parc nature MHM (secteur Assomption-Sud / Longue-Pointe)
Sur la friche de la Canadian Steel Foundry, là où Ray-Mont Logistique (RML) est en train d’installer sa plateforme de transbordement de marchandise en vrac, l’association citoyenne Mobilisation 6600 propose de faire un parc nature. Cette proposition rejoint le souhait d’à peu près tous les citoyens de l’Est.
Rappelons la problème. Il y a une crise climatique planétaire, elle est causée par les activités humaines, le projet de RML est l’une de ces activités, il exacerbe la crise.
En revanche, la parc nature l’atténue.
Le projet de RML s’apparente à une cour de triage où s’empileront des milliers de conteneurs en acier, c’est une surface noire, asphaltée, qui accueillera chaque jour une centaine de wagons du CN, effectuera les transbordements en activant des transbordeurs, des pont-roulants, des grues, des wagons, des camions et autres machineries bruyantes et polluantes ; ce projet dégorgera plus de mille déplacements de camions lourds par jour, en sus de la circulation déjà dense du port. Ce projet extrêmement perturbateur, tournant 24 heures sur 24, ne peut exister sans la complicité du CN et du Port de Montréal. Il s’installe en plein cœur de quartiers résidentiels, Hochelaga-Maisonneuve, Viauville, Guybourg, Mercier-Ouest, etc. Des résidences familiales et la résidence pour personnes âgées Grace Dart jouxtent la plateforme de RML. Lorsque l’opération de RML débutera, ces voisins ne pourront plus ouvrir leurs fenêtres, ne pourront plus dormir ; on anticipe des morts prématurées, il y aura des gens empoisonnés par la pollution, terrassés par un cancer des poumons ou par une poussée d’asthme.
Qu’on y pense un peu : de nos jours, entretenir l’idée de créer une cour de triage au sein de quartiers résidentiels est tout simplement aberrant. Je ne pense pas que la Ville proposerait de faire un tel projet en arguant qu’il contribuera à nous faire un avenir fleuri.
À la place, les citoyennes et les citoyens de l’Est montréalais, regroupés dans la MOB 6600, proposent un parc nature. Ils portent la parole de milliers de résidants, de plusieurs regroupements et associations, de centaines de commerces ; ils sont appuyés par l’Association québécoise des médecins pour l’environnement, et par les deux députés de Hochelaga, la fédérale et le provincial.
Un parc nature est un espace vert où la nature reprend sa liberté. C’est un poumon écologique. C’est un parc public. C’est à la fois une contribution à la lutte contre le dérèglement climatique et une pour atténuer la carence d’espaces verts dans Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Le parc incorporera les deux boisés patrimoniaux, le Steinberg et le Vimont. À sa périphérie, il pourra inclure un centre d’excellence en agriculture urbaine ; derrière la résidence Grace Dart, il pourra offrir un jardin d’agrément pour les résidantes et les résidants du CHSLD.
Il y a quelques jours, madame Estelle GB, une mère de famille, une militante de la MOB 6600, a publié un coup du cœur sur le site Facebook de la Mobilisation 6600 Parc nature MHM :
« Quelle semaine pour la mobilisation ! J’y repense et je suis presque incrédule : c’était il y a seulement une semaine, nous étions au contingent Résister et Fleurir de la manifes­tation pour la justice climatique et sociale, les enfants scandaient les plus beaux slogans, « Résister, fleurir, ensemble nous créons l’avenir! », notre Anaïs faisait un de ses discours inspirants … Deux jours plus tard, dimanche, une immense bannière était déployée entre les cheminées de l’ancien incinérateur Dickson par des militant.e.s grimpeurs, sur la­quelle on pouvait lire : STOP RAY-MONT ! Mercredi on apprenait la reprise des travaux sur le terrain de Ray-Mont. Aux petites heures dès le lendemain, une quarantaine de personnes bloquait le chantier et retardait les travaux pendant plus de deux heures, dans une ambiance festive et amicale. Le même jour, la fondation David Suzuki publiait un portrait de notre mobilisation et nous donnait en exemple de la lutte à faire pour la Justice environnementale à Montréal. Aujourd’hui, dans une excellente lettre ouverte, le directeur général de l’Association pour la santé publique du Québec, la présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME), le directeur exécutif de Nature Québec, la directrice générale pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David Suzuki, et le directeur général du Conseil régional de l’environnement de Montréal interpellent la Ville de Montréal et la Direction régionale de santé publique pour qu’une évaluation d’impact sur la santé soient lancée pour tout le secteur Assomption-Sud Longue-Pointe. Ce soir, une conférence organisée par la mobilisation démontrait l’immense pouvoir des plantes pour la décontamination des sols – une perspective pertinente pour la création d’un parc nature où on aurait cœur de décontaminer POUR VRAI les terrains, et non seulement les réhabiliter en les asphaltant … Ce soir encore, 200 cyclistes prenaient part à une Masse critique et arrivaient au coucher de soleil sur notre friche d’amour. Sérieusement, ‘faut se pincer pour y croire. »
Pour faire le parc nature, la volonté populaire est au rendez-vous. Tout ce qui manque c’est la volonté politique de la part de nos élus et de nos technocrates.

Vision
Quelle est notre vision de Montréal dans trente ans. Je pourrais vous dire que nous voulons une ville plus humaine, plus verte, beaucoup plus verte, plus conviviale, plus propre, plus sécuritaire, avec des espaces publics de qualité, des places publiques, des jardins publics, des parcs variés, des voies réservées aux piétons, des pistes cyclables, des industries non polluantes, des commerces attrayants et accessibles, des réseaux de transport collectif fiables, électriques, silencieux, et bien intégrés dans les milieux qu’ils traversent et desservent … Je pourrais espérer en des véhicules mieux conçus, mieux adaptés au climat, non polluants et silencieux. J’aimerais rêver qu’en 2050 la crise climatique planétaire ne soit plus qu’un mauvais souvenir, qu’en 2050 l’inégalité économique soit réduite, que le taux de criminalité soit abaissé, que les pandémies se soient calmées … Je pourrais vouloir que les oiseaux soient de retour, que la neige au sol reste blanche, que de notre balcon nous puissions admirer les étoiles …
Je pourrais vous dire que nous voulons une ville belle, fleurie, où l’on pourra rire sur un banc public …
Mais pour atteindre ce bel objectif dans trente ans, il est indispensable que l’on réalise dès aujourd’hui les projets qui nous apporteront cet avenir plus lumineux. Comme je dis souvent, il vaut mieux construire maintenant le monde que l’on souhaite plutôt que de laisser la fatalité nous imposer sa médiocrité.
ML, Montréal, octobre 2022

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