BOUQUET DE LUMIÈRES
Électrification du transport routier / Leadership d’Hydro-Québec
Il y a quelque temps, madame Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec, a fait le tour des médias québécois et nous a invité à lui présenter des idées pour mieux gérer notre énergie propre. Voici la lettre que je viens de lui envoyer:
Montréal, 12 mai 2021
Madame Sophie Brochu,
Présidente-directrice-générale,
Hydro-Québec
Objet : Électrification du transport routier / Leadership d’Hydro-Québec
Bonjour madame Brochu,
J’espère que vous allez bien.
Nous sommes devant un objectif fort simple : nous devons sauver notre planète en stoppant le dérèglement climatique. En clair, cela signifie notamment que nous devons nous affranchir de notre dépendance au pétrole. C’est la mission à laquelle nous sommes tous conviés, y compris Hydro-Québec que vous dirigez.
Sur notre planète, rares sont les sociétés qui peuvent prendre le leadership de cette mission; la société québécoise est l’une de celles-là parce qu’elle dispose d’une importante réserve d’énergie non-polluante, aussi parce qu’elle peut mobiliser la formidable entreprise qui gère cette énergie, entreprise dotée d’un personnel compétent en gestion de projets, en négociation internationale et en analyse énergétique.
Vous m’avez compris : ce que je vous propose, c’est qu’Hydro-Québec prenne l’initiative d’électrifier le transport routier au Québec. Et que vous, madame Brochu, soyez l’instigatrice de cette initiative.
Pourquoi est-il important d’assumer cette mission ? La réponse est simple : parce qu’aucun autre choix ne se présente à nous. Je me permets de citer le gouvernement du Canada : «L’activité anthropique est la principale cause des changements climatiques. La population brûle des combustibles fossiles … La combustion de combustibles fossiles produit du dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre. Ce gaz est appelé ainsi parce qu’il produit un ‘effet de serre’. Il réchauffe la planète … Le dioxyde de carbone est la principale cause des changements climatiques d’origine humaine. Il reste dans l’atmosphère très longtemps …» J’ajoute que le transport routier est l’un des principaux émetteurs de CO2. Il y a quelques jours, le chroniqueur de La Presse, Francis Vailles, nous informait «qu’au Québec, le transport routier est globalement responsable de l’émission de 33% des GES sur le territoire, loin devant le secteur industriel (20%) et l’agriculture (9%), entre autres …». C’est en ce domaine que je vous exhorte d’agir.
La mission que vous assumeriez, madame, serait de prendre la tête d’un vaste mouvement pour électrifier en vingt ans la totalité des véhicules routiers du Québec. C’est faisable, encore faut-il que nous nous donnions la peine de le faire, encore faut-il que nous commencions dès maintenant.
On compte quelque 7 millions de véhicules qui circulent sur nos routes (le chiffre officiel de la SAAQ est de 6,6 millions mais il augmente constamment). De ce nombre seulement 40 000 sont propulsées à l’électricité : c’est à la fois ridicule et scandaleux.
Les récents déboires des oléoducs Enbridge No. 5 et Colonial nous rappellent que l’approvisionnement du pétrole est loin d’être assuré. Il se peut que l’électrification de nos véhicules routiers devienne une urgence nationale. En cette matière comme en tout, ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir ?
Ce que je vous suggère de faire, c’est ceci :
- Mobilisez une petite équipe d’experts et définissez pour elle un programme de travail, avec objectifs, échéancier, budget, etc. Montez le dossier, précisez l’argumentaire.
- Convainquez le Gouvernement du Québec d’adhérer à l’objectif d’électrifier 100% du parc automobile au plus tard le 24 juin 2041 ; à partir de cette date, seuls les véhicules électriques seront autorisés à circuler au Québec. Je suis sûr que l’opinion publique vous suivra dans cette tâche.
- Faites en sorte que cet objectif soit inscrit dans une loi québécoise, avec le financement adéquat et les programmes afférents.
- Si le gouvernement fédéral et celui des autres provinces adhéraient à cette politique, ce serait excellent mais non indispensable.
- Convoquez les constructeurs de véhicules routiers, informez-les de l’objectif québécois, dites-leur qu’ils doivent dès aujourd’hui modifier leur production pour rencontrer cet objectif. Notez que la raison d’être des Toyota ou GM de ce monde est de construire des véhicules : ils n’ont jamais été mandatés par qui que ce soit pour dicter les politiques nationales de transport routier. C’est à eux de se conformer aux politiques adoptées démocratiquement et non l’inverse.
- Cette réunion devrait aboutir à la signature de contrats d’achats groupés pour les véhicules électriques équivalents aux actuels véhicules à essence. Le but de ces contrats est d’assurer que l’offre de véhicules électriques soit concurrentielle à l’actuelle offre de véhicules à essence, c’est-à-dire le même nombre de véhicules offerts chaque année, avec des caractéristiques similaires et au même prix.
- Actuellement, l’offre de véhicules électriques est déficiente sur au moins trois plans : insuffisance de l’offre (trop peu de véhicules offerts), délais de livraison trop longs et prix trop élevés. Trop souvent aussi, l’offre n’existe tout simplement pas. Par exemple, aujourd’hui, je peux acheter une Honda HRV à essence pour 30 000.$ mais je ne peux pas acheter au même prix un modèle identique mû à l’électricité. C’est ce que le programme d’Hydro-Québec devra changer.
- En clair, il faut assurer que l’offre de véhicules électriques soit équivalente à celle des véhicules à essence, afin que le nombre de véhicules électriques augmente, que celui des véhicules à essence diminue au même rythme et qu’à terme les véhicules électriques remplacent totalement les véhicules à essence. Ce changement se ferait sur une période de vingt ans.
- Un programme de bonus-malus pourrait être institué : des bonus pour faciliter la vente des voitures électriques, des malus pour freiner celle des voitures à essence.
- En ce qui concerne l’assurance, lorsque l’offre de véhicules électriques sera identique à celle des véhicules à essence, une réglementation spéciale devrait être mise en place pour réduire la prime des véhicules électriques et augmenter celle des véhicules à essence.
- Le remplacement de quelque sept millions de véhicules sur 20 ans exige une substitution de 350 000 véhicules par année, en moyenne. On peut imaginer que, lors des premières années du programme, on peinera à rencontrer cet objectif ; en revanche, lors des dernières années, on pourra le dépasser sans difficulté.
- Il faut associer les concessionnaires d’automobiles à ce changement radical. Je ne propose pas qu’Hydro-Québec se lance dans le commerce de l’automobile ; ce que je propose, c’est qu’Hydro-Québec garantisse l’achat par les concessionnaires de véhicules électriques, sur la longue durée. Le remplacement de 350 000 véhicules par année correspond peu ou prou au nombre de véhicules neufs vendus au Québec; en 2020, il était de 371 478 véhicules, presque tous à essence, en baisse par rapport à l’année précédente ; mais les ventes de 2021 seront en hausse par rapport à 2020; presque tous les véhicules neufs qui seront vendus en 2021 seront encore à essence.
- La négociation avec les constructeurs de véhicules pourrait inclure l’implantation au Québec d’usines d’assemblage multimarques. Le Québec pourrait faciliter cette implantation par des rabais sur leur alimentation énergétique.
- Pour que notre réseau routier puisse accueillir sept millions de véhicules électriques, il faudrait que l’infrastructure d’alimentation électrique et d’entretien soit adéquate. Hydro-Québec doit mettre en œuvre un programme pour implanter partout au Québec des bornes de recharge, autant sur le domaine public que dans les propriétés privées. L’objectif est de faire en sorte qu’il soit plus facile, et plus rapide aussi, de recharger sa batterie que de faire le plein d’essence.
- Hydro-Québec devra assurer que le design, la fabrication, l’entretien et le recyclage des batteries soient respectueux de l’environnement.
- Hydro-Québec devra assurer aussi que l’autonomie d’une batterie de voiture soit équivalente de l’autonomie du réservoir d’essence.
- Hydro-Québec devra mettre en œuvre un programme pour aider les garages et les stations-services à se reconvertir à l’énergie électrique : former les mécaniciens, remplacer les pompes à essence par des bornes électriques, remplacer l’équipement, etc.
- Un programme similaire devra être mis en place pour encadrer la fermeture (partielle ou totale) des raffinerie du Québec (Montréal-Est, Saint-Romuald et autres) : prise en charge des travailleurs, démantèlement des installations, décontamination des sites, mise en valeur des terrains libérés ; les pétrolières devront assumer leurs responsabilités dans cette reconversion.
- Je ne connais pas les détails de la fiscalité touchant les véhicules à essence : il serait important qu’une fiscalité favorable aux véhicules électriques soit mise en place, pour accompagner le programme de conversion.
- Hydro-Québec devra assurer que l’offre d’électricité non-polluante soit apte à satisfaire la demande de sept ou huit millions de véhicules électriques.
Je n’ai ni les outils ni les données pour construire le modèle économique de cette opération. Chose sûre, il y aura des déboursés et des gains. Les déboursés seront surtout à court terme, les gains à moyen et long termes. Les déboursés couvriront la mise en œuvre des programmes de conversion ; ce financement pourrait se faire par l’émission d’obligations à taux d’intérêt zero achetées par la Banque du Canada. En ce qui concerne les gains, le Canadian Energy Centre nous informe que le Québec importe pour au moins 7 milliards $ de pétrole par année : la reconversion éliminera cette dépense insensée. Il y aura aussi des gains en termes de création d’emplois, de réduction d’émissions de CO2, d’amélioration de la santé collective des Québécois et de remise en valeur de notre environnement naturel.
Voilà, madame Brochu, le projet que je vous propose. Ne me dites pas qu’Hydro-Québec ne possède aucune expertise en transport routier ou en véhicules électriques ; jetez un coup d’œil sur vos collègues de la CDPQ : eux non plus n’avaient aucune compétence en gestion de projet, en transport collectif, en ingénierie ou en architecture, et pourtant ils font le REM.
Cordialement vôtre,
Michel Lincourt PhD
Architecte et urbaniste