BOUQUET DE LUMIÈRES
La cacocratie
Notes pour deux conférences Zoom,
Mercredi, 16 décembre 2020, organisée par la Chaire UNESCO-UQAM de philosophie,
Université du Québec à Montréal,
et
Jeudi, 17 décembre 2020, organisée par l’Association humaniste du Québec.
Résumé
La thèse développée dans l’essai La cacocratie ou la démocratie assassinée par le mensonge affirme que nous ne vivons plus en démocratie. Minée par les mensonges qui prolifèrent dans le discours public et qui sapent notre conscience citoyenne, la démocratie parlementaire n’est plus qu’un théatre d’illusions. Derrière cette façade règne une oligarchie idéologique et financière, je veux dire la cacocratie. C’est une coterie amorale, ubiquiste, insidieuse et nocive. Cachée dans l’assourdissant brouillard informationnel des médias électroniques, elle siphonne vers elle les richesses de la planète. Elle est le régime politique qui, aujourd’hui, nous gouverne à notre insu. Pour contrer cette dérive, Michel Lincourt propose un programme de réformes idéologiques, institutionnelles, environnementales et économiques, dont notamment l’exigence de la vérité dans les relations sociétales, l’adoption de la philosophie humaniste, l’instauration de la laïcité dans nos institutions, la lutte contre le dérèglement climatique et la mise en place du salaire universel.
Aujourd’hui, je vous parlerai de mon essai, La cacocratie ou la démocratie assassinée par le mensonge, qui vient d’être publié aux Presses de l’Université Laval, collection Mercure du Nord. C’est le résultat de quatre années de travail au sein de la Chaire UNESCO-UQAM de philosophie.
Tout commence par un doute : vivons-nous toujours en démocratie? Pour l’illustrer, j’apporte quatre faits qui sont largement ignorés de nos parlementaires ; ces faits sont l’endettement collectif, la laïcité au Québec, les discours fallacieux entourant le Brexit et les mensonges grossiers de Donald Trump. Nos élus se sont peu exprimés sur ces enjeux, en fait les observent de loin comme s’ils n’étaient pas concernés. Un assourdissant silence enveloppe leur démission. Et nous, simples citoyens, nous pataugeons dans le brouillard informationnel des médias et des réseaux sociaux où disparaissent nos élus. Alors je questionne encore : Quel est l’impact de cet aveuglant fracas sur notre conscience individuelle et collective ? Est-il la glorieuse clameur de la liberté qui s’exprime ou au contraire, le râle de la démocratie qui agonise ?
Par ailleurs, j’ai toujours pensé qu’un auteur qui a la prétention de critiquer le monde doit afficher ses couleurs. Pour que l’on saisisse bien ses motivations. C’est pourquoi j’énonce ma philosophie en ouverture de mon essai. Le système de pensée qui fonde mes prises de position est celui des Lumières. J’affirme notamment que les Lumières supposent la démocratie, car c’est uniquement par une délibération sereine et rationnelle de citoyens libres et égaux que l’on pourra faire surgir le consensus nécessaire à la paix sociale et à la prospérité de tous.
Aussi, pour éviter autant que possible toute ambiguïté, j’ai cru bon de préciser d’emblée quatre paires de concepts qui sous-tendent ma thèse, à savoir le bruit et le silence, la réalité et la fiction, la démocratie et la dictature, et la vérité et le mensonge. À propos de vérité et de mensonge, je suggère que si la vérité est nécessaire pour vivre en paix, à l’inverse le mensonge est le discours toxique qui engendre la zizanie.
Dans les deux chapitres suivants, je répète une évidence, à savoir que notre monde est aujourd’hui connecté par de multiples réseaux de communication ; c’est Web ou la Toile ; elle comprend la presse écrite, les livres et les bibliothèques, les centres de données, le big data, le téléphone fixe, la radio, la télévision, l’ordinateur et le micro-ordinateur, les réseaux sociaux, le téléphone mobile, la tablette, la liseuse, les satellites de communication, et les réseaux énergétiques pour alimenter tout ça. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, partout sur la planète, la Toile crache un ouragan de messages, dont quelques-uns sont utiles, d’autres, nocifs, la plupart, frivoles. Cette clameur provoque une conséquence grave : isolé derrière son écran, chaque citoyen ingurgite sans trop sans rendre compte une idéologie qui l’aliène ; c’est celle du mercantilisme. Dans son isoloir, le consommateur compulsif se fait dire à répétition que son bonheur réside dans la consommation sans fin de babioles ou de divertissements.
Et alors? Alors, ce matraquage publicitaire n’est rien de moins que de la propagande au service des vendeurs. Je cite Noam Chomsky dans Who rules the World : « … la tâche consiste à orienter les gens vers les choses superficielles de la vie, comme la mode. De cette façon, ils peuvent être atomisés, séparés les uns des autres, mis à la recherche de leur seul gain personnel, détournés du danger que représente pour les leaders le fait que les gens réfléchissent par eux-mêmes et questionnent l’autorité. La démarche de façonner les opinions, les attitudes et les perceptions a été baptisée ‘l’ingénierie du consentement’ ».
Devant l’évidence d’un lavage de cerveau à l’échelle planétaire, je me suis posé quelques questions additionnelles : Qui sont ces gens qui nous répètent jusqu’à plus soif de telles incantations publicitaires ? Qui tirent les ficelles derrière les publicitaires? Qui dictent les messages? Qui contrôlent les réseaux de communication ? Quels sont leurs buts? Me disent-ils la vérité ou, comme Trump, me mentent-ils sans arrêt ? Le mensonge dans le discours public, est-il une invention récente ? Ou au contraire, avant la Toile, est-ce qu’on nous mentait ?
Les trois chapitres qui suivent apportent un survol historique des mensonges dans le discours public. Je commence par le récit de la Genèse, puis je m’attarde à ceux du monde gréco-latin, du Moyen-Âge et de l’Inquisition, je mentionne Machiavel et l’Anti-Machiavel et montre que le menteur n’est peut-être pas celui qu’on pense, et je n’oublie pas la mascotte des menteurs, l’illustre Pinocchio. Avec l’arrivée du XXe siècle, je montre que le mensonge devient ‘scientifique’, devient propagande. Je parle longuement du chef-d’œuvre de Gustave Le Bon, Psychologie des foules, qui enseigne à tous les potentats comment duper les peuples : Hitler notamment en fera grand usage. Je parle de la propagande nazie, de la propagande soviétique et des discours de la Guerre froide. Je montre aussi que Walter Lippmann, l’intellectuel par excellence des USA au XXe siècle, et Edward Bernays, le père-fondateur de la profession des consultants en relations publiques, glorifient sans pudeur la manipulation de l’opinion publique ; ils écrivent que seuls les initiés comme eux possèdent la connaissance nécessaire pour exercer une influence significative sur les politiques publiques, et que le bon peuple, lui, trop ignorant, doit de contenter du rôle de spectateur. En somme, laissent-ils entendre, la démocratie parlementaire n’est qu’un leurre.
Au chapitre suivant, je montre que le mensonge dans le discours public peut avoir des conséquences désastreuses. Je raconte les sept principaux faux qui ont ensanglanté l’humanité. Le premier est le récit biblique de la Genèse : cette histoire n’est qu’un vulgaire plagiat d’une légende sumérienne antérieure de mille ans, où le dieu créateur du monde était une déesse ; contrairement au récit biblique, la légende sumérienne se termine bien ; le rédacteur biblique, lui, pervertit cette belle histoire, culpabilise la femme entraînant dans la foulée trois mille ans de misogynie. Le second faux remonte au Moyen-Âge : ce sont les Fausses décrétales ; en 840, des moines inventent des documents qui appuient les prétentions hégémoniques de la Papauté et servent d’assise juridique à de nombreux conflits religieux. Le troisième faux date du XVIIe siècle : c’est le soi-disant complot papiste de Titus le Menteur qui, en Angleterre, mène des innocents à la potence et exacerbe les conflits religieux. Le quatrième faux est la dépêche d’Ems ; c’est un incident diplomatique concocté de toute pièce par Bismarck pour provoquer la guerre franco-prussienne de 1870 ; on sait qu’il a réussi au-delà de toute espérance. Le cinquième faux est l’immonde brûlot Les Protocoles des Sages de Sion ; sans contredit, c’est le document le plus sanguinaire de l’histoire du monde. En 1900, pour combattre les révolutionnaires bolchéviques, des espions du tsar basés à Paris inventent un complot juif pour conquérir le monde. Ce faux alimentera l’antisémitisme du XXe siècle et servira d’argument idéologique aux nazis pour assassiner six millions de Juifs et aux arabes pour inspirer les guerres contre Israel. Le supposé incident du Golfe du Tonkin est le sixième faux : celui-là est inventé par les Américains pour justifier la guerre du Vietnam. Enfin l’ahurissant discours du Général Powell au Conseil de sécurité est le septième faux qui, lui, provoque une autre guerre, celle de l’Irak.
Que de meurtres, que de destructions, que de malheurs causés par tous ces mensonges !
À ce moment de ma dissertation, je sens le besoin de justifier ma prétention : qui suis-je, moi, pour donner une leçon de choses à mes contemporains? Alors, j’esquisse l’histoire de ma vie. Il en ressort que je n’ai qu’un seul mérite qui soit pertinent – mais celui-là je suis sûr de l’avoir – c’est que pendant un demi-siècle, j’ai observé de près les politiciens en action. Parfois ils suscitèrent en moi une admiration sincère, d’autres fois, le plus souvent malheureusement, ils me désolèrent par leur pleutrerie, leur ignorance ou leur insensibilité.
Ce court récit de ma vie me permet de raconter un petit débat surréaliste qui se déroule au Parlement canadien le 21 octobre 1971. À l’époque, Pierre Trudeau est premier ministre, Robert Stanfield, chef de l’Opposition et Edgar Benson, ministre des finances. Voici l’histoire : avec ahurissement, les Parlementaires apprennent qu’un obscur fonctionnaire canadien, sans mandat, réuni avec d’autres technocrates comme lui, a pris l’initiative de modifier le système économique mondial issu de Bretton Woods. Du coup, les monnaies se mettent à flotter les unes par rapport aux autres et la spéculation sur les devises explose. Les élus canadiens sont mis devant un fait accompli. Ils rouspètent pour la forme, rien de plus. La même comédie se répète en France, au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde ; seul le Président américain de l’époque, Richard Nixon, est au courant des discussions. À mon sens, là se situe le début de la dégringolade de la démocratie occidentale. Le peuple par ses représentants élus n’est plus au pouvoir, ce sont les technocrates et les banquiers qui mènent. Deux ans plus tard, on remet ça : à l’instigation de la Banque des règlements internationaux, sans débat démocratique, on ‘privatise’ le système de la dette étatique : plutôt que de laisser les banques souveraines financer les travaux publics à taux d’intérêt nul, on décrète que les banques souveraines financeraient plutôt à bas taux d’intérêt les banques privées qui, elles, financeraient les travaux public à taux d’intérêt élevé. Du coup, la dette des pays explose. Dans la foulée explose aussi celle des institutions, des entreprises et des particuliers.
Je profite de cette courte biographie pour apporter cinq exemples de la dérive anti-démocratique, je veux dire cinq démissions des élus qui s’ajoutent à la mainmise des banques privées sur la finance mondiale. Ce sont là des enjeux fondamentaux pour la marche du monde qui n’ont jamais fait l’objet de débats démocratiques, ou des politiques qui nous sont imposées comme des réalités incontournables. Le premier est le néolibéralisme : on ne nous a jamais demandé si c’était la doctrine économique que nous voulions et pourtant on nous la prescrit. Le deuxième est la mondialisation : elle aussi on nous l’enfonce dans la gorge sans nous demander notre avis, avec la destruction de notre industrie et le cortège insensé de chômeurs. Le troisième est la Toile informationnelle : on y voit beaucoup d’avantages mais aucun encadrement réglementaire ne vient en atténuer les abus ; les profiteurs de la Toile préfèrent le laisser-faire, qui leur permet d’engranger le magot là ils ne paient pas d’impôts. Le quatrième exemple est justement l’évasion fiscale : à hauteur de plusieurs milliards $ par année ; face à ce scandale permanent, nos parlementaires restent assis sur leurs pouces. Et, cinquième exemple, on assiste avec effroi au dérèglement climatique : que font nos élus à ce propos ? Le dernier sondage montre que 79% des Canadiens demandent au Gouvernement de résoudre ce problème de toute urgence ; que font nos élus ? Bien peu.
Aujourd’hui, nous voyons que les mensonges prolifèrent partout. Ils abondent dans les discours frivoles et dans les discours sérieux. On ment dans la publicité. On triche dans le sport. On ment dans les prêches religieux : tout prédicateur qui prétend parler au nom de son dieu ment parce qu’il est incapable de démontrer l’existence de ce dieu dont il se réclame. La réalité alternative et les complots de QAnon ressemblent étrangement aux récits insensés des prêtres catholiques notamment, l’immaculée conception, la transsubstantiation, le feu du ciel qui anéantit Sodome et Gomorrhe, les trompettes de Jéricho, et la résurrection des morts de l’Apocalypse, tout ça, ce sont des affirmations aussi crédibles que le massacre d’enfants dans une pizzéria de Washington. À ce propos, Diderot aimait raconter une petite histoire : Un jour, disait-il, un jeune homme portant une colombe sur son épaule est accueilli chez une belle jeune femme ; quelques mois plus tard, la jeune femme est enceinte : qui croyez-vous est responsable de ce travail ? Mais, voyons, la chose est entendue, c’est l’oiseau.
La liste des mensonges n’a pas de fin. Depuis des années, la journaliste Élise Lucet dénonce les mensonges de ce qu’elle appelle le monde merveilleux des affaires ; les scandales des pharmaceutiques qui font régulièrement les manchettes en apportent de remarquables démonstrations. Dans le monde politique, où une menterie n’attend pas l’autre, c’est peut-être le Washington Post qui dévoile la meilleure illustration : en décembre 2019, le journal américain publie les Afghanistan Papers, c’est-à-dire une liasse impressionnante de documents qui disent que pendant vingt ans les autorités américaines ont systématiquement menti à propos de la guerre en Afghanistan.
Je conclus cette singulière litanie par les mensonges du monde de la finance. Pourquoi la feuille de route du néolibéralisme, le Consensus de Washington, peut-elle prétendre être consensuelle puisqu’elle n’a jamais fait l’objet de débats démocratiques. Les mensonges des financiers sont particulièrement intéressants : on les répète au grand jour mais personne ne les questionne. Par exemple, qui connait la BRI, la Banque des règlements internationaux, la banque des banques, celle qui gère les accords internationaux de Bâle ? Pourtant, elle est là, en Suisse, à distance de marche des frontières française et allemande. J’en parle longuement parce qu’elle est l’organisme qui trône au sommet du pouvoir mondial.
Force est de conclure que nous ne vivons plus en démocratie mais plutôt, comme le dit la journaliste française Natacha Polony, dans un régime soft-totalitaire géré par des menteurs compulsifs. Je donne un nom à ce régime : la cacocratie. Je ne suis pas seul à penser ainsi. Il y a quelques intellectuels de renom qui, comme Natacha Polony, mettent le monde en garde contre le pourrissement de la démocratie ; je peux mentionner Noam Chomsky, Giuliano da Empoli, Jean-François Kahn, Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, Yasha Mounk, Yanis Varoufakis, Tim Wu et Thomas Piketty. Je me sens conforté dans ma démarche.
Nous savons que les élections constituent le moment fort de la démocratie. Si le mensonge prolifère dans les discours pré-électoraux, et si les élections sont truquées, alors la démocratie expire. J’apporte trois exemples qui illustrent la manipulation électorale : la montée au pouvoir du Movimento Cinque Stelle en Italie, le référendum du Brexit et l’élection de Trump en 2016. Les deux derniers scrutins mettent en scène des faiseurs d’élections, notamment Strategic Communication Laboratories et Cambridge Analytica, qui harnachent les réseaux sociaux et abusent des manipulations psychométriques. Ces jours-ci, Trump crie sur tous les toits que l’élection de 2020 a été truquée : il sait de quoi il parle parce que celle de 2016 l’a été par les cracks informatiques de Cambridge Analytica qui travaillaient pour lui. En 2020 cependant, les mêmes manipulations n’eurent pas eu les mêmes effets.
Si le peuple, par ses structures démocratiques, n’est plus au pouvoir, alors qui nous gouverne ? Ce que je perçois, c’est une oligarchie flasque mais éminemment efficace. Son idéologie est le néolibéralisme et son terrain de jeu, le planète entière. Son modus operandi est d’exploiter à peu près tout le monde, d’accaparer à son profit les ressources de la planète, et d’accumuler dans son gousset le plus clair des richesses. La seule valeur qui compte chez elle est l’argent ; pour elle, le seul geste citoyen significatif est l’achat de quelque chose. Ses officines intellectuelles sont les quelque cinq cents think tanks ou clubs d’influence à travers le monde, les Group of Thirty, Société du Mont-Pèlerin, Club de Bilderberg, Tri-Lateral Commission, et autres Brookings Institution. Par exemple, au Group of Thirty qui a pignon sur rue à Washington siègent les représentants de la BRI, de la Réserve Fédérale américaine, de la Banque d’Angleterre, de la Banque du Canada, de la Banque de France, de la Banque de Chine, des grands fonds spéculatifs, de quelques universités américaines et du New York Times.
Au sein de ce pouvoir cacocratique on retrouve les grandes institutions financières, la Banque des règlements internationaux, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, les banques souveraines, les banques privées, les fonds spéculatifs, les banques du shadow banking, les multinationales industrielles et celles du commerce comme Amazon. Il y a aussi les multinationales de communication, les Microsoft, Apple, Google, Facebook, YouTube, etc. ; ce sont ces entreprises multimilliardaires qui charrient la propagande de l’oligarchie, qui intoxiquent le bon peuple atomisé, qui transforment chaque citoyen en un zombie consumériste. Une fois par année, tout ce beau monde se réunit à Davos. En 2021, pandémie oblige, Davos déménagera à Singapore.
Deux petites observations illustrent la mainmise de ce pouvoir sur nos vies.
La première est celle-ci : je l’ai dit, le temps fort de la démocratie est l’élection ; j’ajoute que le temps fort de l’élection est la soirée électorale à la télévision, où l’on divulgue les résultat. Avez-vous remarqué que l’on interrompt ce reportage citoyen pour diffuser des messages commerciaux ? D’ailleurs, on interrompt toutes les émissions de télévision à hauteur de presque 25% du temps d’antenne. Le message commercial est omniprésent.
La seconde est la suivante : Pour aider les Canadiens à passer à travers la pandémie du coronavirus, le Gouvernement canadien a emprunté quelque 400 milliards $. Avez-vous remarqué que dans les rares communications gouvernementales et dans les rares reportages médiatiques à propos de la dette, on ne mentionne jamais le nom des prêteurs ? On n’explique jamais non plus d’où viennent ces milliards qui atterrissent si généreusement dans l’escarcelle des entreprises et des citoyens canadiens. Ne nous trompons pas : le vrai pouvoir appartient à ceux qui ont de l’argent à prêter, le véritable esclavage est le lot de ceux qui doivent emprunter pour survivre. Le spectaculaire génie du système économique actuel est ne nous avoir convaincu qu’il nous est inutile de connaitre le nom de ceux qui nous avancent de telles sommes. D’ailleurs, nous sommes tellement endettés que nous ne pourrons jamais nous acquitter de nos dettes. D’ailleurs encore, le système est ainsi fait qu’il imploserait si l’on avait l’ambition bizarre de rembourser toutes nos dettes. D’ailleurs encore et encore, on nous a convaincu que la gestion de l’argent était un affaire tellement importante, tellement complexe qu’il valait mieux la retirer de la responsabilité de nos élus pour la confier à des banquiers. À qui ces valeureux financiers sont-ils imputables ? Allons donc, voilà une question intempestive, à la limite de l’inconvenance.
Soyons précis : nous vivons en cacocratie mais pour autant la démocratie n’a pas disparu. Elle est toujours là mais elle a démissionné. Elle est devenue insignifiante, au sens premier du terme. Elle peut revivre pour peu que les parlementaires s’en donnent la peine, pour peu que nous, citoyens, le réclamions.
Pour nous extirper de ce bourbier, je propose un plan d’action en trois volets.
Le premier volet est d’exiger de nous tous un changement d’attitude. Nous devons apprendre à dire la vérité, notamment dans les discours publics. C’est l’une des leçons de la pandémie : Trump, les curés et les publicitaires peuvent nous conter des sornettes mais les fabricants de vaccins doivent absolument nous dire la vérité. Cette exigence doit s’accompagner d’une nécessaire évolution de nos mentalités. Nous devons réaliser que nous sommes la raison d’être des institutions et qu’en même temps, nous ne sommes pas nécessaires à la survie de la planète. Donc, prudence et humilité sont requises.
Nous devons exiger de nos élus qu’ils reprennent la place qui est la leur. En démocratie parlementaire, en principe, le pouvoir appartient au peuple. Par le jeu des élections, le peuple désigne ses représentants, lesquels, en corps constitué, exercent le pouvoir. L’exécutif est l’émanation du Parlement. Il revient au parlement de contrôler le gouvernement. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui prévaut. Notre système est cul par-dessus tête. Il est urgent de le remettre à l’endroit.
Deux autres réformes s’ajoutent à cet indispensable changement d’attitude. La première concerne notre idéologie du quotidien. La philosophie capable d’éradiquer la cupidité pathologique et le mensonge à tout vent de la cacocratie est celle de l’humanisme. Issue de la philosophie des Lumières, l’humanisme est le système de pensées qui met l’être humain au centre de nos préoccupations politiques, économiques, sociales, culturelles et environnementales. Dans mon livre, j’en énumère les principaux principes. Je ne les répéterai pas ici. Je me contenterai de n’en citer qu’un : L’humanisme affirme que si des hommes et des femmes de bonne volonté mobilisent leur intelligence et appliquent leur raison aux problèmes qui les confrontent, ils trouveront les solutions à ces problèmes et amélioreront leur sort. Le vaccin pour contrer le COVID-19 est une bonne illustration de ce principe.
En plus, je propose d’instaurer la laïcité comme principal principe de gouvernance d’une société qui veut s’extirper de la cacocratie. On le sait, la laïcité est la séparation entre l’État et les religions. Comme l’explique le philosophe français Henri Pena-Ruiz, la laïcité se fonde sur la liberté de conscience, l’égalité des citoyens et l’universalité de la sphère publique. Une société humaniste en bonne santé, démocratique et écologiste, ne peut être autre que laïque, car autrement elle retomberait dans le même bourbier où elle patauge actuellement, celui de l’arbitraire et de la justification de l’insoutenable.
Le second volet des initiatives post-cacocratiques comporte l’ensemble des mesures que nous connaissons déjà pour sauver la planète. Je propose trois chantiers à entreprendre de toute urgence ou à intensifier si des mesures partielles sont en cours. Il faut une règlementation planétaire et des mesures coercitives sévères pour ramener l’exploitation de nos ressources à un niveau acceptable. Par acceptable, je veux dire stopper l’exploitation des ressources non renouvelables et ramener l’exploitation des ressources renouvelables au rythme du renouvellement. Il faut contrer le dérèglement climatique en conformité avec l’accord de la COP 21, de Paris en 2015. Enfin, il faut éradiquer la pollution de l’air, du sol et de l’eau. Il faut ramasser les débris qui flottent en orbite ; si nous avons le génie d’envoyer là-haut de magnifiques satellites, nous devons avoir la civilité de ramasser nos débris. Il faut cesser les émanations qui empoisonnent l’air que nous respirons. Il faut cesser de déverser nos déchets en plastique dans les cours d’eau, et vider les dépotoirs larges comme des pays qui flottent déjà au centre des océans. Si les parlementaires reflétaient véritablement la volonté exprimée des peuples, ils agiraient de toute urgence, et avec une volonté sans faille, pour sauver la planète.
Le troisième volet du plan d’action est un train de neuf réformes institutionnelles. Il faut mater le néolibéralisme et le remplacer par un libéralisme humaniste. Il faut casser le consumérisme à outrance. Il faut ralentir la mondialisation, en particulier pour assurer la sécurité alimentaire, et assurer la livraison de médicaments, de vaccins et de matériel médical. Il faut mettre en place un cadre réglementaire pour ramener la Toile à un comportement plus civilisé. Il faut stopper l’évasion fiscale. Il faut assainir le monde bancaire international ; plus précisément, il faut mettre fin à l’existence de la Banque des règlements internationaux. Ce geste aurait un immense impact symbolique. Il indiquerait que le peuple est en train de reconquérir le pouvoir qui lui appartient. Je rappelle qu’en 1944, à Bretton Woods, la Norvège avait proposé de supprimer la Banque des règlements internationaux ; on savait alors qu’elle était une banque d’allégeance nazie ; aucune délégation ne s’y était opposée ; en conséquence, les 730 délégués représentant 44 nations de la Conférence monétaire et financière des Nations-Unies votèrent unanimement pour la suppression de cette mauvaise institution. Puis, les lobbies ont joué et le président américain, sans débat public, a décidé de ne pas donner suite à cette décision. La BRI n’a aucune légitimité, la supprimer aujourd’hui ne ferait que réaliser une sage décision prise il y a 76 ans.
Il faut démocratiser les banques centrales. Aujourd’hui, en cacocratie, les banques centrales trônent au-dessus de tout contrôle démocratique, poursuivent des objectifs qui vont dans l’intérêt du système bancaire et non dans celui des citoyens qu’elles sont censées servir. Les banques centrales doivent recommencer à financer les travaux publics à taux d’intérêt nul.
Enfin, et c’est l’une des propositions phares de mon essai, pout nous extirper de l’esclavage cacocratique, nous devons instaurer le revenu universel. Le principe du revenu universel est simple : l’État verse à chaque citoyen un revenu qui lui permet de bien vivre ; en retour, celui-ci travaille au bien-être de la société. Il y a trois types de ‘travail’ : celui de ‘prospérité’ qui correspond peu ou prou à l’actuel monde du travail, celui de ‘formation’ qui inclut l’instruction des enfants et la formation continue des adultes, et celui de ‘partage’, plus ou moins l’actuel secteur de l’économie sociale. A-t-on les moyens de financer le revenu universel ? Oui, amplement. Il suffit de taxer la finance, taxer les transactions en bourse, taxer le high frequency trading, taxer la spéculation sur les devises, taxer le commerce des obligations, taxer les transactions interbancaires, etc. Le salaire universel signifie une meilleure distribution des richesses.
J’aimerais conclure en citant trois paragraphes du dernier chapitre de mon essai, qui s’intitule Pourquoi ?
Oui, pourquoi ai-je écrit ce livre ? Pour une raison simple et terrifiante : la démocratie agonise et je dois faire ma part pour inciter mes concitoyens à réagir. J’aimerais souhaiter que la fin de mon travail annonçât le commencement du dialogue, que la réflexion solitaire se mît au service d’échanges constructifs.
La pandémie a fait des perdants et des gagnants. Les perdants sont ceux qui doivent emprunter pour survivre ; les gagnants sont ceux qui possèdent un magot à prêter. Les perdants sont ceux qui ignorent tout des montages financiers qui plus que jamais conditionnent leur vie ; les gagnants sont ceux qui connaissent les secrets des prêts à intérêt composé. Les perdants sont infiniment plus nombreux que les gagnants ; les gagnants sont infiniment plus riches que les perdants.
Comment éradiquer cette déplorable engeance ? Je ne vois qu’une porte de sortie : que des intellectuels sensibles, des universitaires consciencieux et des citoyens éveillés prennent l’initiative de lancer un débat public sur les dérives de notre démocratie, et d’ouvrir quelques fenêtres pour que les Lumières nous inondent de leur radieuse vérité.
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