BOUQUET DE LUMIÈRES

Laïcité

LAÏCITÉ

Notes pour une causerie à l’université de Sherbrooke

Le 13 octobre 2016, en compagnie de Bernard Andrès et de Lucie Jobin, je participe à une causerie à l’Université de Sherbrooke. Cet événement est organisé conjointement par des collègues de l’Université de Sherbrooke et le Mouvement laïque québécois. Voici mes notes qui appuyaient mon intervention.

1.Définition

D’emblée, il convient de proposer une définition de laïcité.

La laïcité est la séparation entre l’État et les religions.C’est un principe de gouvernance de l’État.Se situant en dehors des croyances religieuses, l’État laïque protège la libre pratique des religions, y compris celle de n’en pratiquer aucune. Ne favorisant aucune religion, l’État se refuse d’intervenir dans les questions de doctrine confessionnelle et dans les activités religieuses. En retour, les religions ne se mêlent pas des affaires de l’État.

2.Origine de l’idée de laïcité

C’est au philosophe anglais John Locke (1632-1704) que l’on attribue la pre­mière expression de l’idée moderne de laïcité.En exil à Amsterdam, Locke publie en 1689, en latin et sans nom d’auteur, sa Lettre sur la tolérance.Quelques mois plus tard, le pamphlet est publié en anglais, à Londres, toujours sans nom d’auteur, sous le titre de A Letter Concerning Toleration.Préoccupé par les guerres de religion, Locke propose un principe gouvernemental qui, espère-t-il, serait susceptible d’amener la paix en Europe.Il affirme ceci: « . . . I esteem it above all things necessary to distinguish exactly the business of civil government from that of religion and to settle the just bounds that lie between the one and the other. »

3.Principes qui sous-tendent la laïcité

La laïcité se fonde sur trois principes:

a.La liberté de conscience.C’est le choix fait par un individu des valeurs ou des principes qui vont conduire son existence.Ce choix implique la liberté de croire ou de ne pas croire, et celle de pratiquer la religion de son choix ou de n’en pratiquer aucune.La laïcité protège cette liberté fondamentale. Cette liberté repose sur le principe de la dignité humaine.

b.L’égalité des citoyens.Tous les citoyens, femmes et hommes, et de quelque conviction confessionnelle que ce soit, sont égaux en droit.La laïcité stipule qu’aucun privilège n’est accordé à qui que ce soit pour quelque motif que ce soit, notamment les motifs religieux. Un État laïque n’est ni athée ni anticlérical.Il protège de la même façon ceux qui croient en Dieu et ceux qui n’y croient pas.Il protège autant ceux qui pratiquent une religion que ceux qui n’en pratiquent aucune. En même temps, il n’encourage ni ne soutient les uns ou les autres.Cela signifie aussi que tous les citoyens, qu’ils soient de sexe féminin ou masculin, croyants ou non, homosexuels ou hétérosexuels, blancs, noirs, jaunes ou arc-en-ciel, qu’ils soient de souche ou nouvellement arrivés, tous les citoyens, disons-nous, ont droit au même accès aux services gouvernementaux, au même traitement devant les tribunaux, et à l’exercice sans entrave des mêmes libertés fondamentales. La rigoureuse observance de cette égalité citoyenne est la condition nécessaire de la justice sociale.

c.L’universalité de la sphère publique. La laïcité implique que tous les citoyens partagent un ‘bien commun’, à savoir les mêmes lois, les mêmes droits, les mêmes institutions et les mêmes lieux publiques. C’est la condition nécessaire de la cohésion sociale.

4.Laïcité sans qualificatif

La laïcité ne souffre d’aucun qualificatif.Depuis toujours, dans les débats sur la laïcité, il n’y a que la laïcité, point, sans adjectif. Mais depuis quelques années, certains groupes religieux s’autoproclament parangons de tolérance et se servent de l’expression ‘laïcité ouverte’ pour délégitimer la laïcité.Ils laissent entendre que la laïcité sans qualificatif serait en fait une laïcité rigide, fermée, voire même intolérante. Cette accusation est sans fondement.En fait, c’est la laïcité ouverte qui génère privilèges, c’est à dire injustices.La laïcité ouverte est contradictoire dans sa définition même.En effet, si l’on pose la question : laïcité ouverte à quoi ? Inévitablement, on répond : laïcité ouverte aux accommodements religieux.Ce qui engendre le concept absurde de «laïcité religieuse».

5.Laïcité versus neutralité

En vertu du principe de laïcité, l’État est non confessionnel et non pas pluri­confessionnel.Il n’accommode aucune religion. Par exemple, à l’ouverture d’une séance d’une assemblée d’élus, on ne récite aucune prière (plutôt que d’en réciter huit comme à l’Assemblée législative de l’Ontario).

6.Laïcité et chartes des droits

Actuellement, le principe de laïcité n’est inscrit ni dans la charte canadienne des droits ni dans celle du Québec.Cette omission est source de beaucoup de confusion.L’enchâssement de la laïcité dans les chartes permettra à l’État de résister aux requêtes intempestives faites par les religions.À juste titre, la laïcité peut être considérée comme le meilleur rempart contre l’intégrisme qui fragilise la cohésion sociale et nourrit la zizanie entre les citoyens.

7.Agents de l’État et signes religieux

Les agents de l’État sont l’incarnation de l’État.L’idée que l’État / institution serait laïque tandis que les agents de ce même État pourraient ne pas l’être ne résiste pas à l’analyse.C’est comme la justice : il serait absurde de dire que la justice / institution doit être impartiale mais les juges pourraient ne pas l’être.En conséquence, en vertu du principe de laïcité, les agents de l’État ne doivent se livrer à aucune activité de propagande religieuse ou de prosélytisme.

De même, les agents de l’État ne doivent porter aucun signe religieux ostentatoire qui pourrait s’apparenter à une activité (réelle ou perçue) de prosélytisme.

8.Droits des femmes

Les religions sont notoirement misogynes.In instaurant la laïcité, on établit le principe de l’égalité de tous les citoyens et on empêche les religions de dicter des lois civiles qui auraient pour effet de persécuter les femmes.La laïcité est le meilleur rempart pour protéger les droits des femmes.

9.Islamophobie

C’est la mode actuelle.Pas une journée ne se passe que quelqu’un, quelque part, accuse la laïcité, ou le MLQ, d’islamophobie.Cette accusation n’est qu’une fumisterie.C’est comme accuser quelqu’un d’impureté.En fait, la laïcité ne critique aucune religion, pas plus l’islam que les autres.Elle dit tout simplement que les religions ne doivent pas s’immiscer dans les affaires de l’État.Ceci dit, force est de constater que les attaques, les injures, les insinuations viennent toujours des adversaires de la laïcité. Les accusations d’islamophobie ne sont qu’inventions.

10.Accommodements

Bien sûr, on doit encourager les accommodements raisonnables pour des motifs humanitaires. Mais au nom de la laïcité, on doit mettre fin aux accommodements à motif religieux, en particulier ceux qui affectent la prestation des services publics. Ces accommodements absolument arbitraires créent des privilèges et deux classes de citoyens : les bénéficiaires d’accommodements et les autres. Il faut une règle uniforme pour tous.

Ou à défaut de les éliminer complètement, on doit les encadrer avec beaucoup de rigueur.

11.Éducation

En vertu du principe de laïcité, il faut éliminer les subventions aux écoles privées religieuses. Au Québec, toutes les écoles, publiques ou privées, doivent offrir à leurs élèves le programme scolaire prescrit par le ministère de l’Éducation.Or il est de notoriété publique que des écoles privées religieuses dont certaines bénéficient de subventions ne respectent pas la loi à cet égard.Souvent, les pouvoirs publics ferment les yeux sur cette dérive.La consé­quence de ce laxisme est déplorable : des enfants sont à la fois victimes d’un endoctrinement religieux qui atrophie leur jugement rationnel sur les choses de la vie, et ne reçoivent pas l’instruction qui leur est due.

En plus, il faut éliminer le Comité et le Secrétariat des affaires religieuses au sein du Ministère de l’Éducation.Il s’agit là d’un anachronisme incongru.

Il faut aussi éliminer le cours d’Éthique et culture religieuse (cours ECR) parce que ce cours obligatoire n’est rien d’autre qu’un endoctrinement religieux qui se dissimule sous un emballage culturel.Conçu par le Comité des affaires religieuses du ministère de l’Éducation, il réduit la spiritualité à une religiosité superficielle et évacue toutes références à la rationalité, à la philosophie des Lumières, au déisme, au théisme, à l’athéisme, et à l’agnosti­cisme (par exemple).Ce cours pourrait être remplacé par un enseignement de morale naturelle, accompagné d’un cours de citoyenneté et de civisme.Quant au chapitre du cours qui traite de l’histoire des religions, il devrait être intégré aux cours d’histoire.

12.Fiscalité

L’adoption par le gouvernement du principe de laïcité entraînera l’élimination d’exemptions consenties à des organismes religieux ou prétendument religieux.Par exemple, on éliminera les privilèges reliés à la fiscalité foncière actuellement consentis aux lieux de culte et autres lieux dédiés à des activités parareligieuses.

Autre exemple : on éliminera l’exemption fiscale consentie à l’importation du chocolat casher.Autre exemple encore : on éliminera l’exemption fiscale sur le logement consentie aux ministres du culte.

Ceci dit, il n’est pas question de s’opposer systématiquement à toute forme d’arrangement fiscal pour les organismes religieux qui accomplissent une mission sociale, mais il est question de mettre en place une réglementation appropriée pour éliminer les abus.Il serait bon aussi que des associations de bienfaisance ou culturelles qui se réclament d’une conviction laïque ou huma­niste puissent avoir accès aux mêmes privilèges fiscaux que les organismes religieux, lorsque, bien sûr, elles remplissent des missions sociales similaires.

13.Normes alimentaires

Aussi longtemps que la pratique des nourritures casher ou halal ne concerne que les pratiquants de ces religions, l’État n’a pas à s’y intéresser.Mais lorsque l’on constate que 70% des produits offerts dans les grandes surfaces alimentaires portent le label casher ou halal (ou les deux), alors cette pratique touche des millions de personnes qui n’adhèrent pas à ces religions et c’est l’ensemble de la population qui, à son insu, paie pour cette pratique.Les frais reliés à l’accréditation casher ou halal deviennent une espèce de taxe cachée.Du coup, cette pratique intéresse les pouvoirs publics et doit être réglementée.

 

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Annexes

Les ‘considérants’.

Nous n’hésitons pas à affirmer que la laïcité s’inscrit dans le droit fil des valeurs sociétales des Québécoises et des Québécois.Dans le libellé d’une loi, les liens qui relient la laïcité aux valeurs de la société s’expriment sous la forme de « considérants ». Voici donc, selon nous, les considérants qui appuient, justifient et expliquent l’insertion de la laïcité dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et la mise en place de la Charte de la laïcité.