PRÉSENCE DE LUMIÈRES
Atalante et les pommes
Dans la première partie de cet article, je reprends l’article précédent, lequel apparaît aussi sur le site www.leslincourtaparis.wordpress.com
Le 25 février 2015, j’ai admiré au Louvre une statue d’Atalante, la légendaire athlète de la Grèce mythologique. Il s’agit d’un marbre représentant la jeune héroïne en pleine course, sculpté en 1703-05 par Pierre Lepautre : cette œuvre est la copie d’une sculpture grecque datant du IIe avant JC. À l’origine, le marbre de Lepautre devait orner le jardin du château de Marly, l’une des résidences royales de France.
Encore au Louvre, on trouve une autre remarquable sculpture intitulée La toilette d’Atalante, de James Pradier, exécutée en 1850. Au Musée du Vatican, il y a aussi une statue d’Atalante, celle-là datant du Ier siècle avant JC et attribuée à Pasitélès.
Je m’intéresse à Atalante parce que, en novembre dernier, lors d’une conférence sur la beauté au Centre humaniste de Montréal, je l’avais prise comme exemple pour démontrer que la beauté ne variait pas d’une civilisation à une autre. J’avais comparé la jeune femme des temps mythiques à de jeunes athlètes contemporaines.
Atalante appartient à la mythologie grecque. Je rappelle que dans le monde légendaire d’alors s’affrontaient dans une joyeuse pagaille des dieux et des déesses, des héros et des héroïnes, et des hommes et des femmes. Atalante est une héroïne, c’est-à-dire une demi-déesse.
La légende est celle-ci. Atalante est une princesse du Péloponnèse. Élevée à la dure dans la forêt, elle développe d’étonnantes habiletés physiques : elle tire à l’arc comme Artémis, chasse le sanglier aussi bien qu’Héraclès et est imbattable à la course à pied.
Ses exploits sont nombreux et spectaculaires. Elle tue le sanglier de Calydon, un monstre qui ravageait le pays. Elle tue aussi les centaures Hyléos et Rhoécos, qui voulaient la violer. Et elle est la seule femme à accompagner Jason dans l’expédition des Argonautes pour récupérer la toison d’or, une femme parmi 51 hommes.
Le père d’Atalante veut marier sa fille, Atalante refuse, le roi insiste. À bout d’argument, la jeune femme lui propose un marché : je vais épouser, dit-elle, l’homme qui me battra à la course à pied. Chiche! répond le père. Dans les mois qui suivent, plusieurs imprudents se présentent et mordent la poussière. La course se déroule sur une piste à travers la forêt. Le prétendant et Atalante prennent place sur la ligne de départ. Les trompettes sonnent le coup d’envoi. Atalante laisse le gars prendre quelques longueurs d’avance, puis, une pique à la main, se lance à sa poursuite, le dépasse et, lorsqu’il devient évident que l’infortuné n’a plus aucune chance de gagner, elle le transperce. C’est là une solution expéditive comme on savait le faire à l’époque.
Arrive Hyppomène, prince de Béotie, lui aussi de la race des héros. Dès qu’il voit Atalante, il en tombe follement amoureux. Sans réfléchir, il demande la main de la jeune femme. Du coup, il prend conscience de l’ampleur du défi : ses chances de battre Atalante sont minces. Il joue sa vie dans cette aventure. Un petit coup de pouce ne serait pas de trop. La veille de la course, il sollicite l’aide d’Aphrodite. La belle déesse se laisse attendrir – elle aime bien les histoires d’amour – et remet au jeune héros un petit colis : c’est pour ta course de demain, lui dit-elle avec un petit sourire coquin.
La course démarre. Comme à l’habitude, Atalante laisse son adversaire prendre les devants. Puis, armée de son javelot, elle se met à sa poursuite et, bientôt, sans forcer, le talonne, s’apprête à le dépasser. C’est alors que le prince sort de sa tunique une pomme d’or qu’il lance derrière lui, par-dessus la tête d’Atalante. Surprise, celle-ci s’arrête, revient sur ses pas et ramasse le précieux fruit, un temps d’arrêt qui permet à Hyppomène d’augmenter son avance. Deux autres fois, le prince utilise ce subterfuge pour ralentir sa concurrente et finalement pour la devancer au fil d’arrivée. Les trois pommes d’or étaient les présents qu’Aphrodite avait remis à Hyppomène pour lui assurer la victoire.
Malgré cette évidente tricherie, Atalante se dit qu’Hyppomène, finalement, n’est pas si mal de sa personne et qu’il fera un mari fort convenable. Elle avait promis à Artémis de rester vierge mais bon, ce n’est sa faute qui elle a été piégée par Aphrodite. Hyppomène, lui, fou d’amour, oublie de remercier sa divine bienfaitrice. Pour mieux se connaître, les jeunes gens s’isolent dans le temple de Cybèle, la mère des dieux, la gardienne des savoirs. Vexée du manque de savoir-vivre du jeune héros, Aphrodite lui jette un sort et inclut Atalante dans sa malédiction. Aussitôt, Atalante et Hyppomène se voient pris d’un désir irrésistible l’un pour l’autre et font l’amour, là, dans le temple de la déesse-mère.
Grosse colère de celle-ci. Mon temple doit servir au culte, pas au stupre, fulmine-t-elle. Pour punir les amants de ce sacrilège, elle les métamorphose en lions et les attèle à son char. Pour l’éternité.
Quelques remarques vaguement philosophiques sur les pommes
Cette histoire m’inspire quelques commentaires.
Atalante et Katniss
Il ne fait aucun doute que le personnage d’Atalante (sans oublier celui d’Artémis, le role model d’Atalante) a inspiré celui de Katniss Everdeen, de The Hunger Games, à la fois le roman de Suzanne Collins et les films à grand succès réalisés par Gary Ross et Francis Lawrence. Dans les deux cas, il s’agit d’une jeune femme élevée en forêt, qui y développe les qualités guerrières que l’on retrouve traditionnellement chez les hommes, une jeune femme qui tire à l’arc mieux que personne et qui excelle dans la course à pied. Dans les deux cas, c’est une héroïne qui, sans perdre sa féminité, triomphe dans le monde des hommes.
Les pommes interviennent dans l’histoire de Katniss Everdeen. Deux fois.
La première fois, c’est lors du concours préparatoire au grand jeu où 24 concurrents se livreront une lutte à mort. Les concurrents doivent faire étalage de leurs habiletés afin de mériter les bonnes grâces de commanditaires. Durant la chasse mortelle, le petit présent d’un commanditaire peut faire la différence entre la survie du concurrent ou de sa mort. Katniss est la dernière à s’exécuter devant les juges. Fatigués d’avoir observé les 23 concurrents précédents, gavés et ivres, ils regardent à peine Katniss qui multiplie les exploits avec son arc et ses flèches. Excédée, la jeune femme transperce une pomme tenue dans la gueule d’un cochon rôti, sur la table du festin, sous le nez des juges médusés. Katniss obtient une excellente note pour son audace et sa virtuosité.
Le second incident se produit durant le grand jeu. Le duel dure depuis quelques jours, la plupart des participants sont morts, Katniss est affamée et son compagnon, Peeta, blessé. Leurs opposants ont empilé toutes les provisions sur la rive d’un lac. Katniss arrive, voit le tas de victuailles et de médicaments, une résille pleine de pommes pend à une pique qui émerge de l’amoncellement. Mais elle flaire le piège. Pour en avoir le cœur net, elle tire une flèche qui coupe la ficelle qui retient le sac de pommes, lesquelles roulent sur le sol et déclenchent une gigantesque explosion.
Je ne suis pas le seul à avoir remarqué la filiation Artémis/Atalante/Katniss. Des groupes féministes (womensenews.org) suggèrent aux femmes d’aujourd’hui de prendre Katniss comme modèle. L’héroïne moderne est la digne réincarnation des héroïnes antiques. Elle est une femme autonome, courageuse, généreuse, altruiste, bien qu’elle ne soit pas toujours une gagnante en tout. Mais elle trouve le moyen de survivre. Il y a même un universitaire qui a produit un essai sur ce thème, un certain Dane Moreaux, d’University of Southern Mississippi. L’essai s’intitule ‘Mythical Hero versus the Modern Heroine: the Female Hero in Suzanne Collins’ The Hunger Games’.
La Pomme