PRÉSENCE DE LUMIÈRES
L’ÉLÉPHANT DE JADE: un conte pour ma petite fille
Devant moi s’étalait une verdoyante prairie tapissée de coquelicots et de marguerites. Dans le ciel saupoudré de ouates blanches, le soleil resplendissait de tous ses feux. Des oiseaux de toutes les couleurs voltigeaient. Tout y était lumineux, tout . . . sauf un bout de terrain sombre recouvert d’un épais nuage gris. J’étais en train de m’interroger sur cet étrange paysage lorsque j’entendis derrière moi un froissement de feuilles. Je me retournai et restai pétrifié de surprise. Un très gros éléphant vert venait vers moi. Pas rassuré du tout, je reculai d’un pas.
— Ne crains rien : c’est mon ami.
Cette voix pleine de sourires appartenait à une petite fille rieuse qui sautillait à côté du pachyderme. Ce qu’elle était belle! Âgée de huit ou neuf ans, elle arborait un visage souriant, illuminé d’un regard pétillant. Ses cheveux couleur de blé ondulaient dans la brise. Gracieuse comme une sylphide, elle portait une robe d’or et des souliers vermeils. Sa jolie tête s’ornait d’un diadème serti d’émeraudes qui lançaient des éclats verts, mais des éclats plus verts que le vert de l’immense bête. Sans contredit, c’était une princesse venue d’un pays heureux.
— Bonjour, me dit-elle.
— Bonjour, je réussis à répondre.
— Tu peux m’aider? me demanda-t-elle.
Je l’interrogeai du regard.
— Je dois grimper sur l’éléphant, expliqua-t-elle. Hisse-moi sur le premier barreau de l’échelle.
— Mais pourquoi? je m’étonnai.
En plus je ne voyais aucune échelle.
— Parce que ce gros toutou m’amènera là-bas.
Sans doute parlait-elle de l’éléphant.
— Où ça, là-bas?
Elle fit un grand geste circulaire de la main, un geste qui voulait dire partout où il faisait bon explorer. Et moi, je ne voyais toujours pas l’échelle.
— Comment vas-tu monter? Tu es si petite, et lui, si gros.
Sans doute vexé de ma question, l’éléphant brandit sa trompe au dessus de ma tête et pivota.
— Par cette échelle, je te dis, me répondit la princesse sur un ton qui signifiait : ah, les adultes, il faut toujours tout leur expliquer.
En effet, une échelle de bambou s’accrochait au flanc gauche de la bête.
Je soulevai la princesse qui posa pied sur le premier barreau et qui se mit à grimper. Elle montait sans hésiter, un peu comme une petite fille qui monte dans son lit. Maintenant elle était presque rendue sur le dos de l’éléphant qui restait immobile comme un sphinx. Elle semblait si petite sur l’énorme échine verte! Je pris peur.
— Attention de ne pas glisser, criai-je.
Parce que l’éléphant était en jade et tout le monde sait que le jade est lisse comme un glaçon.
— Il n’y a pas de danger, me répondit-elle en riant.
— Mais si tu tombes, tu te casses le cou.
— Mais non, je ne peux pas tomber.
— Pourquoi?
— Parce que j’ai des crochets sous mes semelles. Si je glisse, un crochet s’agrippera à un barreau de l’échelle et me retiendra.
Effectivement, maintenant que je la voyais par en dessous, je remarquai des crochets de métal sous ses souliers. C’étaient sans doute ces appareils qui expliquaient tout à l’heure sa démarche sautillante.
— Malheureuse!, je lui répondis. Si tu tombes, tu resteras suspendue la tête en bas. Ce ne sera pas mieux que t’écraser sur le sol.
Pendant un moment, la princesse sembla réfléchir à mon argument.
— Tu as raison, s’écria-t-elle, en enlevant ses souliers à crochet et me les lançant, on est beaucoup mieux pieds nus, ajouta-t-elle en lançant un grand éclat de rire.
Elle enfourcha l’encolure de l’éléphant vert. Sentant qu’on le chatouillait derrière les oreilles, la bête balança sa trompe et lança un gigantesque barrissement qui dispersa les oiseaux.
— Tout doux, mon gros, lui souffla la princesse, ce n’est que moi, la fée aux émeraudes, que tu attends depuis des siècles . . . Allez, en avant, tu roupilles ou quoi? en avant.
Le gros éléphant vert se mit à marcher en direction de l’horizon, je veux dire, à marcher comme le font les éléphants, d’un pas encore plus léger que celui d’une chenille. Et moi, je me mis à courir derrière cette petite fille qui chevauchait l’éléphant de sa vie.
— Où vas-tu? lui criai-je.
La princesse pointa l’horizon du doigt.
— Tu vois ce nuage gris là-bas, et ce pays tout noir? Ils ont besoin de moi. Je m’en vais y lancer des gouttes de vie. Pour qu’il reverdisse. À ce soir.
J’étais rassuré. Rien n’arrêtera ce splendide équipage de lumière.