BOUQUET DE LUMIÈRES

Écoles religieuses ?

 

Écoliers du monde la main dans la main

Qu’en est-il aujourd’hui du fait religieux dans les écoles québécoises?

C’est la question que je me suis posée. Et voici ma réponse.

Réseau scolaire

Au Québec comme à peu près partout dans le monde, le parcours scolaire commence à la maternelle et finit à l’université ou à l’éducation permanente.

Ma petite réflexion sur la religion à l’école s’est concentrée sur la première moitié du parcours, c’est-à-dire l’éducation des enfants mineurs, à l’âge où ils sont les plus vulnérables à l’endoctrinement. Plus précisément, j’ai examiné les garderies et les centres de la petite enfance (durée de trois ans; bambins âgés de 2 à 4 ans et demi, plus ou moins), les maternelles (durée d’un an; enfants de 5 ans), les écoles primaires (durée de six ans; écoliers de 6 à 12 ans) et les écoles secondaires (durée de cinq ans; adolescents de 13 à 18 ans).

L’école est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans.

Le réseau scolaire québécois comporte des établissements publics et des établissements privés. La totalité des établissements publics sont financés par l’État et environ la moitié des établissements privés reçoivent une subvention annuelle de l’État. Pour 2011-2012, le budget pour l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire est de l’ordre de 11 milliards $.

Faut-il rappeler que les établissements scolaires doivent respecter à loi? Cela signifie notamment qu’ils doivent appliquer le programme pédagogique du Ministère de l’Éducation du Québec.

Officiellement, depuis la déconfessionnalisation du réseau scolaire québécois, les écoles publiques sont laïques. Quant à la législation concernant les écoles privées, elle est moins limpide.

Déconfessionnalisation

Au Québec, la déconfessionnalisation est le processus politique et social qui avait pour objectif d’éliminer le statut religieux – ou confessionnel – des écoles. Ce mouvement démarra au milieu des années 1980. À cette époque, les écoles et les commissions scolaires étaient confessionnelles, c’est-à-dire catholiques ou protestantes. On y enseignait la religion et on y offrait des services de pastorale. La Constitution canadienne, à l’article 93, protégeait la confessionnalité de nos écoles.

En 1988, Claude Ryan, alors ministre de l’Éducation, fit adopter la Loi 107 qui permettait aux élèves (ou leurs parents) qui le souhaitaient de se soustraire à l’enseignement religieux. Pour la première fois dans l’histoire du Québec, un cours de morale naturelle pouvait remplacer le cours de religion. Mais le statut constitutionnel des écoles demeurait.

Ce fut dix ans plus tard que les écoles furent déconfessionnalisées. Après un long débat public, le Gouvernement du Québec sous Lucien Bouchard et le Gouvernement canadien sous Jean Chrétien conclurent une entente et modifièrent l’article 93 de la constitution. Du coup, de religieuses, les commissions scolaires devinrent linguistiques – françaises ou anglaises.

Dans la foulée de cette évolution historique, le Gouvernement du Québec créa un groupe de travail présidé par l’universitaire Jean-Pierre Proulx afin d’étudier « la place de la religion à l’École ». Publié le 29 mars 1999, le Rapport Proulx formulait un certain nombre de recommandations. Par exemple, il insistait pour subordonner l’enseignement de la morale au principe de la liberté de conscience. Pour le préscolaire, l’élémentaire et le secondaire, il proposait d’instaurer « un système scolaire public laïc ». Pour qu’il n’y ait aucune confusion, il soulignait qu’il fallait « abroger le statut confessionnel des écoles publiques ». Allant dans le détail, il soulignait que la Loi sur l’instruction publique devait préciser que « les valeurs et les croyances propres aux confessions religieuses ne pouvaient servir de critères pour l’établissement d’une école à projet particulier ». Enfin, il recommandait de « remplacer l’enseignement religieux par un enseignement culturel des religions, obligatoire pour tous ».

La plupart de ces recommandations furent retenues par le Gouvernement du Québec et, en 2000, l’Assemblée nationale adopta la Loi 118 qui abrogeait le statut confessionnel des écoles québécoises publiques. Cependant, invoquant la clause dérogatoire de la Constitution canadienne, il maintenait pour cinq ans l’enseignement religieux.

La Loi sur l’enseignement privé, quant à elle, cessa de faire référence à la religion. Il en résultat que les écoles privées perdirent leur statut confessionnel protégé par la constitution. Mais beaucoup d’entre elles ignorèrent cette restriction et continuèrent d’être religieuses.

L’année 2005 vit l’adoption de la Loi 95 qui complétait la déconfessionnalisation du système scolaire public. Cependant, on reconduisait encore pour trois ans la disposition dérogatoire concernant les cours de religion. Les écoles privées religieuses ne furent pas affectées.

À la fin de ce second délai, en septembre 2008, dans toutes les écoles élémentaires et secondaires, publiques et privées, on inaugura le cours obligatoire d’Éthique et de Culture religieuse (cours ECR) qui remplaçait à la fois le cours de religion et celui de morale naturelle.

Aussitôt, des groupes de parents religieux, catholiques notamment, contestèrent cet enseignement obligatoire. Devant les tribunaux, ils alléguèrent que cet enseignement brimait leur liberté de religion. L’affaire remonta jusqu’en Cour Suprême. Le 12 février 2012, le plus haut tribunal canadien rejeta leurs prétentions. Ce fut un jugement unanime. Déclarant que le cours ECR ne heurtait pas la liberté de conscience et de religion des parents et des enfants qui le contestaient, le tribunal statua que le cours devait rester obligatoire. Il argua que les parents étaient libres de transmettre à leurs enfants leurs croyances personnelles, mais que leur exposition précoce à d’autres réalités que celle vécue dans leur milieu familial immédiat constituait simplement un fait de la vie en société. Les juges y voyaient même le reflet de la réalité multiculturelle du pays. Par ailleurs, le tribunal fut d’avis que l’adoption de la politique de neutralité de l’État québécois faisait en sorte qu’il ne pourrait établir un système d’éducation qui favoriserait ou défavoriserait une religion donnée ou une vision particulière de la religion.

Telle est la situation aujourd’hui. Le débat sur la déconfessionnalisation des écoles dura 27 ans. La laïcité scolaire fut un projet de société longuement mûri. Aujourd’hui, il fait consensus. L’immense majorité des Québécois est fière de son système d’éducation affranchi de tout endoctrinement religieux. Mais cette laïcité des écoles, est-elle réelle ? Ou n’est-elle qu’une illusion ?

Accès à l’information

Deux événements récents m’incitèrent à creuser la question de la religion à l’école.

Le premier fut le procès intenté par le Loyola High School à la Ministre de l’Éducation afin que celle-ci (madame Michèle Courchesne) fasse en sorte que le cours ECR y soit enseigné non pas à la façon ‘culturelle’ stipulée par le ministère mais selon la doctrine catholique de l’école. En somme, on demandait à la ministre de détourner le cours ECR de ses objectifs pluralistes pour en faire un cours de religion orienté vers l’objectif particulier de l’Église catholique. Le juge Gérard Dugré de la Cour supérieure du Québec donna raison à Loyola. Dans son jugement, le magistrat affirmait que le Loyola High School était un « collège privé confessionnel catholique ».

Le second événement concernait les Services de garde subventionnés et les Centres de la petite enfance. En décembre 2010, la ministre de la FamilleYolande James réagissait à de nombreuses plaintes et émettait une directive pour bannir l’endoctrinement religieux des garderies. Le site catholique.org précisa alors « qu’environ une centaine de services de garde de différentes confessions – chrétiens, islamiques et juifs dont certains ultra-orthodoxes et ouvertement dédiés à initier les tout-petits à leurs dogmes et leurs croyances – sont directement visés par la directive gouvernementale [du Québec] ».

Donc, me dis-je dans ma naïveté, non seulement y a-t-il encore au Québec des écoles religieuses, comme Loyola, mais on y pratique aussi l’endoctrinement religieux, comme dans ces CPE. Et tout ça, en dépit du contrat social québécois sur la laïcité scolaire issu de la déconfessionnalisation.

Creusant un peu ce phénomène, je découvris que plusieurs écoles religieuses s’affichaient comme telles sur la place publique. Y en a-t-il beaucoup ? Pour en avoir le cœur net, je contactai le Ministère de l’Éducation et lui demandai de me transmettre cette information. Je lui expliquai qu’il serait préférable que tout débat public sur cette question s’appuyât sur des faits vérifiables plutôt que sur des approximations. J’arguai qu’il serait dans l’intérêt de tous que la vérité sur ce phénomène fut connue. Malgré tout, le ministère refusa de me répondre. Non découragé, je fis une demande en vertu de la Loi d’accès à l’information : s’il vous plait, transmettez-moi la liste des écoles religieuses (maternelles, élémentaires et secondaires), et la subvention donnée à chacune pour l’année 2010. On me répondit que, depuis la déconfessionnalisation, de telles listes n’existaient plus. On me transmit cependant la liste des établissements privés (élémentaires et secondaires) et celle des subventions. À moi de faire le tri entre les écoles religieuses et les autres. Quant aux écoles publiques, me dit-on, aucune n’est religieuse. Et les maternelles ? Adressez-vous au Ministère de la Famille. Nouvelle demande. Ce ministère me fit la même réponse négative.

Pourquoi un tel mystère à propos d’informations publiques qui m’apparaissaient alors anodines. Je contestai ces deux refus devant la Commission d’accès à l’information. En vain. Le tribunal me répéta que, puisque la liste des écoles religieuses n’existait pas, on ne pouvait me la transmettre. Néanmoins, on ne niait pas l’existence d’écoles religieuses privées. Mais il me fut impossible de savoir combien il y en avait.

École souriante et inclusive

Qu’est-ce qu’une école religieuse ?

Une école religieuse est un établissement scolaire dont le projet pédagogique se réfère à une religion. Inféodée à la religion, cette école oriente la totalité du discours pédagogique dans le sens de la doctrine religieuse concernée. Elle organise des activités de pastorales, des prêches ou des offices religieux. Elle élève des restrictions dans le recrutement et l’admission des élèves, dans l’embauche des enseignants et du personnel d’encadrement. Elle censure les textes scolaires et les enseignements contraires à sa doctrine. En somme, elle pratique l’endoctrinement des enfants au profit de sa religion.

Par exemple, dirigé par des jésuites, le Loyola High School est une école confessionnelle catholique. Sur son site Web, elle n’hésite pas à proclamer que sa mission est d’offrir « a rigorous and comprehensive educational experience intertwined with a spiritual and religious formation. »

Le terme « religieux » est synonyme de « confessionnel ».

J’ajoute que la définition d’une école religieuse est plus complexe qu’il n’y parait à première vue. En effet, on trouve au Québec des écoles appartenant à des communautés religieuses, ou issues d’une tradition religieuse, ou encore dirigées (en partie) par des clercs qui offrent le programme pédagogique du Ministère de l’Éducation, lequel, sauf le cous ECR, est totalement laïc. Par exemple, le Séminaire de Sherbrooke appartient à cette catégorie.

Parfois, il ne fut pas aisé de décider d’inclure ou pas une école sur ma liste. Par exemple, j’ai inclu l’École des Ursulines, et je n’ai pas inclu Villa-Maria, la première parce qu’elle offre, en sus de son programme pédagogique, une demi-heure d’enseignement religieux par semaine ; ce ne semble pas être le cas pour la seconde.

La religion au préscolaire

Au Québec, on trouve une grande diversité d’établissements préscolaires, à savoir quelques 1 000 Centres de la petite enfance, de nombreux services de garde subventionnés, des garderies et des maternelles dont certaines sont rattachées à des écoles.

La plupart de ces établissements offrent un service laïc, c’est-à-dire libre de tout endoctrinement religieux. Mais on trouve aussi une centaine d’établissements qui sont dans le giron d’une religion. Ce sont ceux-là qui furent rappelés à l’ordre par la Ministre de la Famille en 2010.

La directive de la ministre stipulait que les services de garde subventionnés par l’État devaient être exempts d’activités ayant pour objectif l’apprentissage d’une croyance, d’un dogme ou de la pratique d’une religion spécifique. La présence dans les garderies de rabbins, d’imams, de prêtres ou d’autres ministres du culte était fortement découragée, pour ne pas dire interdite.

Comme on le voit, cette directive ne souffre d’aucune ambiguïté. Mais est-ce un coup de couteau dans l’eau ?

Je n’ai pas poussé plus loin mon investigation sur les garderies religieuses. Mais je doute fort que l’admonestation de la ministre ait changé la réalité des établissements délictueux. Par exemple, je serais très surpris d’apprendre que le programme d’éducation préscolaire du Collège rabbinique du Canada, dédié exclusivement à une clientèle de confession juive orthodoxe, ait adopté une politique pédagogique laïque. J’ai le même doute en ce qui concerne la maternelle de la Greaves Adventist Academy qui offre « a Christ-centered education ».

Je me suis déjà exprimé sur la question de l’endoctrinement des tout-petits. En janvier et février 2011, j’ai publié dans la rubrique Blogue de ce site trois articles sur ce sujet. Ils complètent bien, je pense, le présent texte.

La religion à l’école publique élémentaire et secondaire

Officiellement, depuis la déconfessionnalisation, l’école publique est laïque. Mais la réalité est plus ambiguë.

Je suis d’avis que, dans une large mesure, les écoles publiques élémentaires et secondaires sont encore religieuses parce qu’on y oblige les élèves à suivre le cours d’Éthique et de Culture religieuse qui n’est rien d’autre qu’un endoctrinement religieux. Ce cours occupe une place très importante dans le cursus : une heure par semaine durant dix des onze années des programmes élémentaire et secondaire.

Je rappelle que le cours d’ÉCR propose d’aborder les enjeux éthiques, de comprendre le phénomène religieux et de pratiquer le dialogue entre les enfants issus de multiples traditions culturelles, religieuses ou ethniques. Mais sous de nobles prétentions, ce cours contrecarre le caractère laïc de l’école publique.

Au moins deux raisons appuient mon affirmation.

La première est que ce cours fut conçu et continue d’être encadré par une structure plus ou moins occulte du Ministère de l’Éducation qui est le Comité et le Secrétariat des affaires religieuses. Le rôle de cette structure est de conseiller le ministre de l’Éducation sur toutes questions relatives à la place de la religion à l’école. Rappelons-le : depuis la déconfessionnalisation, cette école est censée être laïque. Précisons aussi que ce fut dans la plus opaque discrétion que cette structure confessionnelle fut insérée dans la Loi sur l’instruction publique. Son mandat n’a jamais fait l’objet d’un débat public. Ses activités ne sont jamais examinées par l’opinion publique. En fait, elle ne constitue rien de moins qu’une Cinquième colonne du cléricalisme au sein de la laïcité scolaire. Aussitôt évacuée par la porte d’en avant, la religion a resurgi par la porte d’en arrière.

Que fait cette structure cléricale ? Dans la mesure où l’on peut le savoir, elle fait au moins deux tâches liées l’une à l’autre. D’abord, en dépit de la déconfessionnalisation et sans l’afficher, elle assure le caractère religieux de l’école. Ensuite, elle concocte un cours de religion qui se dissimulera sous l’étiquette d’un cours culturel. C’est ainsi que l’école publique continue l’endoctrinement religieux des gamins. À leur insu.

La deuxième raison touche le contenu même du cours ECR. Remarquez qu’il fusionne dans une même et seule entité formative les deux dimensions traditionnelles de l’endoctrinement religieux : inculquer la doctrine religieuse et imposer une morale découlant de cette doctrine. Ce que ce cours dit, c’est que la morale ne peut exister en dehors de la religion, qu’il n’y a de moral que la religion. Or, rien n’est plus faux. Il y a aussi la morale naturelle qui est l’assise de notre Code civil et de notre Code criminel. Avant la déconfessionnalisation, au moins, on pouvait se soustraire à l’endoctrinement religieux en suivant le cours de morale naturelle. Mais maintenant, on est assujetti à une seule propagande qui est insidieusement religieuse.

Examinez le contenu du cours ECR et vous verrez qu’il est révélateur de son caractère nettement religieux. Cet enseignement évacue toute référence au déisme, à l’athéisme et à l’agnosticisme. Il impose aux élèves un univers où seuls les adhérents d’une religion ont droit au chapitre. Dans ce cours, on demande aux enfants comment ils prient, on les encourage à confesser leurs péchés, etc. On leur dit que toutes les religions se valent mais que les religions chrétiennes valent plus que les autres. On raconte des légendes comme si elles étaient des faits historiques. On enfonce dans la tête des enfants l’idée que la morale issue de croyances arbitraires ne peut faire l’objet d’un examen critique appuyé sur la raison. Dans ce cours, la philosophie des Lumières qui a inspiré toutes nos institutions démocratiques y compris les chartes des droits est évacuée au profit de doctrines qui ont combattu et continuent de combattre bec et ongle la liberté de conscience, l’égalité entre les hommes et les femmes, voire la démocratie elle-même.

Malgré tout, les catholiques ultrareligieux et les jésuites de Loyola refusèrent cette solution multiconfessionnelle. On les comprend. Avant, dans l’immense majorité des établissements scolaires du Québec, l’Église catholique jouissait d’un monopole idéologique. Deux procès furent intentés. Les ultra-catholiques perdirent le leur devant la Cour Suprême ; les jésuites gagnèrent le leur en première instance. Cette bizarrerie juridique renforça l’ambiguïté concernant le cours ECR. Maintenant, dans l’esprit de plusieurs, dans celui du grand public aussi, on a l’impression que le cours ECR est laïc. Après tout, ayant été contesté par les ultrareligieux et les jésuites, il ne pouvait pas être religieux. Alors qu’en fait, il l’est totalement.

Mais tout n’est pas sombre dans l’école publique. On assiste actuellement à un double phénomène qui suscite un certain espoir. Il y a d’abord la profonde médiocrité du cours ECR qui réduit la spiritualité au niveau d’une mièvre religiosité vide de sens. Ensuite, il y a l’intelligence et le discernement de beaucoup d’enseignants qui savent faire la part des choses et qui introduisent une bonne dose de bon sens dans ce fatras d’inepties.

Beaucoup d’articles critiques sur le cours ECR ont été publiés, en particulier les textes de Marie-Michelle Poisson et ceux de Daniel Baril ; ces textes furent relayés sur plus d’une tribune, notamment sur les sites www.vigile.com et www.lpa.atheisme.ca. Le Mouvement Laïque Québécois s’est aussi prononcé contre le cours ECR : www.mlq.qc.ca. Personnellement, j’ai publié dans la rubrique Essais de ce site un long article sur cette question, intitulé Cours Éthique et Culture religieuse : endoctrinement ?

Donc, selon moi, l’école publique québécoise, en dépit de la déconfessionnalisation, continue en catimini son œuvre d’endoctrinement religieux.

La religion à l’école privée élémentaire et secondaire

C’est dans ces établissements que l’infiltration religieuse m’apparait la plus pernicieuse.

Voyons les faits. Dans la liste que m’a transmise le Ministère de l’Éducation, on compte 358 écoles privées. Ces écoles sont du niveau élémentaire, ou secondaire, ou les deux à la fois. Certaines offrent aussi un programme préscolaire. Et 174 d’entre elles (48%) reçoivent une subvention.

Devant le refus du ministère de m’indiquer lesquelles d’entre elles étaient religieuses, je dus me débrouiller pour colliger moi-même ces données. Deux sources d’information s’offraient à moi. D’abord, le site Web de chaque établissement. Je me suis dit que si l’école se proclamait elle-même religieuse, je pourrais conclure sans trop me tromper qu’elle le fut vraiment. La seconde source était les rapports de la Commission consultative de l’enseignement privé, du Ministère de l’Éducation du Québec. Il faut savoir que, chaque année, cette commission évalue une centaine d’écoles privées et recommande au ministère d’octroyer, de renouveler, de refuser ou de révoquer son permis d’enseignement. Pour chacune, la commission rédige un rapport d’une ou deux pages qui, parfois, indique le caractère religieux de son programme pédagogique. Donc, si le ministère écrit qu’une école est religieuse, je devrais le croire prima facie, comme disent les juristes.

La conclusion de cet examen est que, oui, il y a au Québec une centaine d’écoles privées religieuses. J’ai déjà mentionné le Loyola High School qui offre « a Catholic education », le Collège rabbinique du Canada qui, selon le ministère, « offre des services à la clientèle de confession juive orthodoxe », et la Greaves Adventist Academy, dont la mission est d’offrir « a Christ-centered education ».

Voici d’autres exemples.

L’Académie Ibn Sina, qui se présente comme une institution « islamique chiite ».

L’Assemblée chrétienne de Granby, qui est définie par le Ministère de l’Éducation comme une école élémentaire attachée « à une église protestante évangélique ».

L’Association islamique des projets charitables, qui affiche qu’elle « propage un enseignement islamique pour les musulmans et les non-musulmans ».

L’Académie Beth Esther, qui se définit comme un établissement scolaire juif « à caractère religieux orthodoxe ».

L’Église-École Académie chrétienne Cedar, dont le Ministère de l’Éducation dit qu’elle est en fait « une église protestante évangélique ».

L’École Chrétienne Emmanuel Christian School, qui, sur son site, explique ceci : « In a caring, Christ-centered environment, we equip students from Christian families to make a difference in the world by providing . . . an environment and Bible-based teaching that encourages our students to apply God’s truth in all areas of their lives, [and]opportunities to be the hands and feet of Jesus”.

L’École L’Eau-Vive . . .. Sur son site, cette école proclame « qu’avec Dieu, nous ferons des exploits » et présente « sa confession de foi », à savoir, « . . . la Bible . . . Dieu . . . Jésus . . . le Salut . . . nous croyons que le salut de l’humanité perdue et pécheresse ne s’obtient que par les vertus de la mort sanglante et expiatoire du Seigneur Jésus-Christ . . . nous croyons . . .   qu’à la fin des temps, Dieu jugera les vivants et les morts, ceux qui sont sauvés ressusciteront pour la vie éternelle, ceux qui sont perdus ressusciteront pour la damnation avec Satan et ses anges déchus dans l’étang de feu et de souffre pour l’éternité ».

L’École Dar Al-Iman, qui écrit sur son site que sa vision est « d’enseigner des programmes locaux de langue arabe, de morale et de religion musulmane . . . ».

L’École Augustin-Roscelli, qui met sur son site que sa mission est, entre autres, « le développement spirituel des élèves est assuré par l’enseignement religieux catholique dispensé par les titulaires et enrichi par la présence des religieuses ainsi que la visite régulière de deux prêtres».

L’Académie culturelle de Laval, dont le ministère nous informe qu’elle est une corporation qui offre « des services scolaires au préscolaire et à l’élémentaire et, sous d’autres noms, des services de garde, la Garderie l’Oasis Bout’chou, la Garderie Éducative La Tendresse, et l’École Culturelle An Nour . . . pour l’enseignement du Coran . . . ».

Enfin, mentionnons l’École le Savoir, associée à l’Association musulmane du Canada. Au printemps 2011, le site web de cette école informe les parents de ses élèves qu’il se tiendra, le vendredi 15 avril, en après-midi, une activité parascolaire intitulée Célébration du Hijab : au programme, la Prière du vendredi, une lecture du Coran, des anasheed (chants religieux), une projection et des témoignages de sœurs.

Voilà !

Il y a au Québec quelque 106 écoles privées religieuses qui engrangent chaque année plus de 106 millions $ en subventions de l’État québécois. Environ 27% des écoles privées sont religieuses.

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Liste indicative des écoles privées religieuses au Québec
et le cas échant sa subvention pour 2010

(à partir de la liste fournie par le Ministère de l’Éducation)

1. Académie Adventiste Greaves, xxx
2. Académie Adventiste Sartigan, xxx
3. Académie Beth Esther, xxx
4. Académie chrétienne Rive-Nord, 216 099.$
5. Académie hébraïque / anglais, 1 887 605.$
6. Académie hébraïque / français, inclus
7. Académie Ibn Sina, 712 771.$
8. Académie Ibn Sina, inclus
9. Académie Solomon Schechter / français, 2 012 328.$
10. Académie Solomon Schechter / anglais, inclus
11. Académie Taryag d’Arizal, xxx
12. Académie Yéshiva Yavné, 1 065 675.$
13. Centre de développement Yaldei Shashui xxx
14. Collège de Montréal, 4 626 483.$
15. Collège du Mont Sainte-Anne, 1 573 805.$
16. Collège de l’Assomption, 5 687 843.$
17. Collège rabbinique du Canada, 162 773.$
18. Collège Villa Sainte-Marcelline, 1 984 841.$
19. École Al-Houda, xxx
20. École apostolique de Chicoutimi, 698 110.$
21. École Augustin Roscelli, 1 283 775.$
22. École Beth Jacob de Rav Hirschprung / anglais, 1 560 128.$
23. École Beth Jacob de Rav Hirschprung / franças, inclus
24. École chrétienne Emmanuel / anglais, 535 699.$
25. École chrétienne Emmanuel / français, inclus
26. École communautaire Belz / Ducharme anglais, 2 513 772.$
27. École communautaire Belz / Ducharme français, inclus
28. École communautaire Belz / Durocher anglais, inclus
29. École communautaire Belz / Durocher français, inclus
30 École Dar Al Iman, 658 120.$
31. École hébraïque Beth Tikvah / anglais, 1 105 398.$
32. École hébraïque Beth Tikvah / français, inclus
33. École Maïmonide / Jacob Safra, 2 002 180.$
34. École Maïmonide / Parkhaven, inclus
35. École première Mesifla du Canada, 474 900.$
36. École Sainte-Famille / Fraternité Saint Pie-X, xxx
27. École secondaire du Verbe divin, 2 087 802.$
38. Écoles musulmanes de Montréal / Primaire, 434 137.$
39. Écoles musulmanes de Montréal / Secondaire, inclus
40. École Sogut, xxx
41. Église-école Académie chrétienne Cedar / Fairview, xxx
42. Église-école Académie chrétienne Cedar / Nazaréen, xxx
43. Église-école Académie chrétienne dela Foi, xxx
44. Église-école Académie chrétienne Maison du Serviteur, xxx
45. Église-école Académie chrétienne Logos, xxx
46. Église-école Alpha Oméga, xxx
47. Église-école Centre académique de l’Outaouais, xxx
48. Institut Saint-Joseph / Saint-Louis, xxx
49. Institut Saint-Joseph / Saint-Vallier, xxx
50. Juvénat Notre-Dame du Saint-Laurent, 2 917 570.$
51. Juvénat Saint-Jean, 673 504.$
52. Juvénat Saint-Louis Marie, 384 686.$
53. Académie Beth Rivkah pour filles, xxx
54. Académie des jeunes filles Beth Tziril, 684 963.$
55. École Akiva / anglais, xxx
56, École Akiva / français, xxx
57. École Ali Ibn Abi Talib, 554 110.$
58. École arménienne Sourp Hagop, 2 422 773.$
59. École des Ursulines / Québec , 1 811 665.$
60. École des Ursulines / Loretteville, inclus
61. École l’Eau vive, 1 071 094.$
62. Écoles communautaires Skver / Ducharme, 1 067 768.$
63. Écoles communautaires Skver / Outremont anglais, inclus
64. Écoles communautaires Skver / Outremont français, inclus
65. Écoles juives Peretz / van Horne, français, 2 026 378.$
66. Écoles juives Peretz / Bialik anglais, inclus
67. Écoles juives Peretz / Bialik français, inclus
68. Écoles juives Peretz / van Horne anglais, inclus
69. Séminaire Marie-Reine du Clergé, 2 026 378.$
70. Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, 3 969 846.$
71. Séminaire Sainte-Marie de Shawinigan, 2 436 893.$
72. Filles de Sainte-Marie de Leuca, xxx
73. Loyola High School, 3 160 365.$
74. Pensionnat des Sacrés-Cœurs, 2 465 913.$
75. Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, 4 416 751.$
76. Pensionnat Notre-Dame-des-Anges, 1 992 038.$
77. Séminaire de Chicoutimi, 3 642 945.$
78. Séminaire de Sherbrooke, 4 298 540.$
79. Séminaire des Pères Maristes, 2 757 877.$
80. Séminaire du Sacré-Cœur, 2 006 506.$
81. Séminaire Sainte-Trinité, 3 525 404.$
82. Séminaire Saint-François, 5 482 404.$
83. Séminaire Salésien (Dom Bosco), xxx
84. Talmud Torahs Unis / Snowdon anglais, 3 162 458.$
85. Talmud Torahs Unis / Snowdon français, inclus
86. Talmud Torahs Unis / Beutel anglais, inclus
87. Talmud Torahs Unis / Beutel français, inclus
88. Talmud Torahs Unis / Snowdon primaire, inclus
89. Talmud Torahs Unis / Saint-Laurent, inclus
90. Yeshiva Gedola-Merkaz Hatorah / anglais, 912 745.$
91. Yeshiva Gedola-Merkaz Hatorah / français, inclus
92. École Notre-Dame de Nareg (arménienne), 713 498.$
93. École Notre-Dame de Nareg (arménienne), inclus
94. École Démosthène / Saint-Martin, 907 134.$
95. École primaire Socrates / Laval, 4 949 398.$
96. École primaire Socrates / Laval, inclus
97. École primaire Socrates / Roxboro, inclus
98. École primaire Socrates / Saint-Hubert, inclus
99. École primaire Socrates / Wilderton, inclus
100. Académie culturelle de Laval (musulmane), xxx
101. École de l’Excellence (musulmane), xxx
102. École JMC (musulmane), xxx
103. École Le Savoir (musulmane), xxx
104. École Jésus-Marie de Beauceville, 1 722 353.$
105. SacredHeartSchoolof Montréal, 1 223 930.$
106. Queen of Angels Academy, 1 796 115.$
Total des subventions: 106 416 991.$

Note: 80 écoles subventionnées sur 106, ou 75,5% L’indication xxx signifie que l’école ne reçut aucune subvention en 2010.

Nuances

Ici, j’aimerais apporter quelques nuances.

Mon article ne doit pas être interprété comme un réquisitoire contre l’école privée. Je ne formule aucune opinion sur l’école privée ; ce n’est pas l’objet de mon propos. Je répète que mon propos ne concerne que la religion dans les écoles.

Je ne passe pas non plus de jugement sur la qualité pédagogique des écoles. Tout ce que je puis dire à propos des écoles privées dont le nom apparaît sur ma liste, c’est que certaines jouissent d’une excellente réputation ; mais que d’autres, par contre, aux dires de la Commission consultative de l’enseignement privé, sont carrément médiocres ou ne respectent pas le programme pédagogique du Ministère de l’Éducation.

Enfin, l’intensité du zèle religieux varie beaucoup d’une école à une autre. Par exemple, le CPE Beth Rivkah, à Montréal, est résolument religieux. En effet, son directeur n’hésite pas à affirmer que « toutes les activités journalières [de son CPE] sont pénétrées de l’esprit de la Torah et de la tradition juive ». De même, l’École Augustin-Roscelli et l’École Eau-vive sont manifestement des écoles chrétiennes « agressives ». L’École musulmane Le Savoir et l’École juive Beth Esther appartiennent à la même catégorie.

En revanche, l’École élémentaire des Ursulines à Québec, par exemple, qui offre un Programme International, pratique une confessionnalité discrète et respectueuse de la liberté de conscience. Elle applique intégralement le programme du Ministère de l’Éducation. Les valeurs qu’elle transmet à ses élèves sont plus humanistes que religieuses. La religion n’intervient pas dans l’enseignement des matières scolaires. On y met l’accent plutôt sur la qualité du français, la musique, le théâtre, l’acquisition large des sciences et autres connaissances, la maîtrise de l’anglais, la pratiques des sports dont le taekwondo, etc. Cette école mixte organise de multiples activités parascolaires laïques qui comprennent des concerts, des productions théâtrales, des mascarades de l’Halloween et des voyages à New York. Et son cours de religion est facultatif.

Religion et connaissance

Pourquoi doit-on s’inquiéter de la présence de la religion à l’école ? Tout simplement parce que la connaissance et la religion sont largement incompatibles.

La connaissance est universelle tandis que la religion est particulière. La connaissance implique le doute ; la religion s’appuie sur des certitudes non fondées.

Dans son jugement sur l’affaire Loyola, le juge Dugré écrit que « Loyola, comme école catholique, tout comme les Jésuites qui l’administrent, est soumis au Magistère de l’Église catholique . . . que Dieu doit occuper la place centrale, la fin suprême, que l’aspiration au vrai et au juste consacre nécessairement, dans la perspective catholique, une place centrale à Dieu et à la Foi . . . Foi et raison travaillant nécessairement ensemble dans la recherche du vrai et du juste. »

La dernière phrase de cette citation ne résiste pas à une analyse un tant soit peu objective. Voici quelques exemples qui démontrent l’incompatibilité entre foi et raison.

La religion affirme avec certitude que Dieu existe; or jamais personne n’a réussi à apporter une preuve scientifique de l’existence de Dieu. En plus, de quel dieu s’agit-il? En décembre 1649, la jeune reine Christine de Suède posait cette question à René Descartes, son mentor : « Monsieur Descartes, vous qui êtes sage et savant, dites-moi : les Chrétiens prétendent que le Dieu qu’ils vénèrent est le seul vrai Dieu; les Mahométans prétendent que le Dieu qu’ils vénèrent est le seul vrai Dieu; et les Israélites prétendent que le Dieu qu’ils vénèrent est le seul vrai Dieu; chacun dit aussi que son Dieu n’est pas celui des deux autres; de toute évidence, il y en au moins deux qui errent. Qu’en pensez-vous? Quelques semaines plus tard, le 11 février 1650, le bon philosophe mourrait avant d’avoir répondu.

De quatre choses l’une : Ou Dieu n’existe pas et les trois religions nous induisent en erreur. Ou il y a trois dieux différents qui s’affrontent, et alors ces dieux imparfaits sont en contradiction avec la foi en un Dieu unique, fondement de chacune des religions monothéistes. Ou encore, un seul des ces trois dieux est le vrai Dieu unique, mais lequel? Aussi longtemps qu’il refuse de se manifester, on est réduit à douter, ce qui torpille l’idée même de la Foi, encore le fondement de la religion dite révélée. Ou enfin, il y a un seul Dieu avec trois religions qui émanent de lui sans cesser de s’affronter (dans cette hypothèse, malgré les démentis, le dieu des Chrétiens serait le même que celui des Juifs et celui des Musulmans). Mais alors, ce dieu unique qui laisserait ses adeptes s’entretuer serait un dieu plutôt pervers, donc peu digne d’être vénéré.

Comme on le voit, ce genre l’élucubration nous éloigne de l’idée même de la connaissance rationnelle qui doit primer dans une école.

La religion prétend que le monde a été créé par Dieu en sept jours; or, la science nous enseigne que le monde a évolué sur des millions d’années, et sans l’intervention d’un quelconque créateur. Il n’y a pas si longtemps, du temps de Descartes d’ailleurs, en 1616, l’Église a condamné Galilée qui enseignait l’héliocentrisme alors que nous savons que tel est notre système solaire. Aujourd’hui, les fondamentalistes religieux rejettent la théorie de l’évolution alors que c’est une science fondée sur d’innombrables preuves.

Parlant de science, il faut souligner qu’une théorie se qualifie comme une bona fide théorie scientifique si elle est falsifiable; par définition, la doctrine religieuse ne l’est jamais. Celle-ci s’appuie plutôt sur des prescriptions despotiques que l’on dit révélées par Dieu, donc des assertions dont la vérité n’est pas démontrée, et ne peut pas l’être.

La vérité professée par la religion est présentée comme absolue; celle, par contre, enseignée par la science est relative.

Le juge Dugré écrit que la foi et la raison travaillent nécessairement ensemble. C’est là une affirmation fausse. Cette nécessité n’existe pas. Par exemple, la doctrine chrétienne nous dit que Jésus est né d’une vierge soi-disant fécondée par un pur esprit; la science, au contraire, nous démontre l’impossibilité de ce phénomène, (oui, je sais, aujourd’hui, on peut faire une fertilisation in vitro, mais cette technique n’existait pas du temps de Tibère; et le sperme dans l’éprouvette provient d’un vrai mâle, en chair et en os, non d’un pur esprit). Donc, il y a une contradiction entre la foi et la connaissance rationnelle.

Autre exemple : la transsubstantiation. Les chrétiens catholiques, arméniens et maronites affirment que, dans l’Eucharistie, le pain et le vin, par la consécration de la messe, sont « réellement, vraiment et substantiellement » transformés en corps et sang du Christ, tout en conservant leurs caractéristiques physiques initiales. La science basée sur la raison nous démontre facilement l’impossibilité de ce phénomène. De toute évidence, ici aussi, on constate un conflit entre la foi et la raison, Contrairement à l’affirmation gratuite du juge Dugré, la foi et la raison ne travaillent pas nécessairement ensemble, en fait elles sont habituellement antinomiques.

Pour justifier sa présence à l’école, la religion avance souvent l’argument de la morale. Cet argument s’énonce comme suit : Dieu existe ; il est éternel, infiniment bon, infiniment sage, infiniment juste, omnipotent et omniscient ; il a crée le monde ; il a transmis aux Hommes sa loi et ses préceptes, qui sont consignés dans la Bible, la Torah, le Coran et autres textes qualifiés de sacrés ; et il revient aux prêtres, aux rabbins et aux imams d’interpréter le message de Dieu et de guider les Hommes. Donc, c’est Dieu qui décide du bien ou mal, et ces sont ses représentants sur Terre qui appliquent la Loi. Pour les religieux, le Droit canonique, la Sharia ou le Talmud priment la loi laïque. D’où la légitimité de leur présence à l’école.

D’abord, disons que cette prétention s’appuie sur un postulat qui échappe à toute évidence : l’existence de Dieu. Si Dieu n’existe pas, tout l’édifice idéologique religieux s’écroule.

Ensuite, l’examen des textes religieux nous révèle qu’ils contiennent des préceptes qui sont contraires à nos valeurs ou à nos lois, souvent carrément immoraux, voire criminels. En voici quelques exemples.

Les religions proclament la supériorité de l’homme sur la femme ; nos valeurs et nos lois, au contraire, décrètent l’égalité des sexes.

Dans la Genèse, on raconte que Dieu érigea au cœur du Paradis terrestre l’Arbre de la connaissance mais que, du même geste, il interdit à Adam et à Ève d’en manger les fruits ; en clair, il leur refusait la possibilité de s’instruire. Adam et Ève passèrent outre à cette interdiction, croquèrent le fruit défendu, furent chassés du Paradis et condamnés à une éternité de souffrance. Ève reçut une peine encore plus sévère qu’Adam, parce que c’était elle qui avait entraîné son compagnon dans le péché ; elle fut condamnée à enfanter dans la douleur et à être soumise à l’homme. Aujourd’hui, la société laïque, au contraire, valorise l’acquisition des connaissances et rejette la culpabilisation de la femme.

Dans la même histoire, la religion enseigne que tous les descendants d’Adam et d’Ève furent entachés de ce péché originel ; cela signifie que la morale chrétienne soutient que l’enfant doit être puni pour un crime perpétré par son géniteur. Notre sens de la justice et nos lois interdisent cette ignominie, et prescrivent que la condamnation s’attache uniquement à l’individu qui a commis le crime et à ses complices ; à personne d’autre. Et a fortiori pas aux descendants. Souvenons-nous qu’après la deuxième guerre mondiale, le tribunal de Nuremberg fit sien ce principe et refusa de déclarer coupable le peuple allemand pour les crimes commis par les criminels nazis. En droit, il n’y a jamais de culpabilité collective. Sur ce point, le précepte laïc est diamétralement opposé au précepte religieux. Il est plus juste aussi.

Toujours dans la Genèse, on apprend que Dieu envoya le feu du ciel pour raser les villes de Sodome et de Gomorrhe. Pourquoi ? Parce qu’elles logeaient des homosexuels. Aujourd’hui, quelqu’un qui commettrait un tel génocide serait emprisonné pour le restant de ses jours. Le récit de cette histoire d’horreur est plein d’enseignements révélateurs. Au dire de Dieu, les seuls habitants de Sodome dignes d’être épargnés furent Lot et sa famille. Souvenez-vous de l’histoire: arrivés le soir précédent l’hécatombe, les deux anges exterminateurs, messagers de Dieu, logeaient chez Lot. Apprenant la présence de ces beaux jeunes hommes, les habitants de Sodome – des gais n’est-ce pas – frappèrent à la porte de Lot et demandèrent à rencontrer les étrangers pour les « connaître ». Lot refusa, ses concitoyens rouspétèrent et Lot, pour les apaiser, leur dit : « J’ai deux filles encore vierges, je vous les offre, faites-en ce que vous voulez. » Les habitants de Sodome refusèrent ce marchandage : les femmes ne les intéressaient pas. Que déduire de cette édifiante histoire ? D’abord, que le seul personnage déclaré par Dieu suffisamment honnête pour être épargné de la tuerie était un ignoble personnage qui n’hésitait pas à offrir en pâture ses propres filles pour être violées par la racaille. Drôle de morale divine. Ensuite, l’assassinat collectif d’homosexuels perpétré par Dieu – assassinat de qui que ce soit, en fait – est un crime odieux. Nos valeurs laïques, nos lois et nos chartes des droits interdissent le meurtre. Les religions du Livre, sans exception, exècrent les homosexuels ; la morale naturelle traite tout le monde, les femmes et les hommes, les hétérosexuels et les homosexuels, et les bisexuels, et les transgenres, les croyants et les athées, et les agnostiques et les dévots, tout le monde, dis-je, sur le même pied. De ces deux positions, laquelle est la plus éthique ?

Dans l’Exode, on nous dit que le dernier argument de Dieu pour convaincre le pharaon de laisser sortir les Juifs d’Égypte fut d’assassiner les premiers-nés mâles de toutes les familles égyptiennes. En somme, la religion nous propose de fonder notre morale sur un dieu infanticide.

Enfin, le Deutéronome nous enseigne que, pour conquérir la Terre Promise, Dieu se mit à la tête de son peuple, chassa de leurs terres sept nations, ordonna à son peuple de « ne point leur faire grâce », lui rappelant que « l’Éternel, ton Dieu, enverra même les frelons contre eux [tes ennemis] jusqu’à leur destruction . . . » En somme, la morale religieuse valorise la guerre de conquête, le génocide et l’extermination d’innocents.

Voilà donc quelques-unes des raisons qui devraient nous inciter à sortir une fois pour toutes l’endoctrinement religieux de nos écoles.

Morale naturelle

La morale naturelle s’appuie sur la dignité humaine, fondement de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Son précepte-directeur est celui de la réciprocité des traitements: « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. » La morale naturelle est humaniste en ce sens qu’elle se préoccupe de la justice dans le monde et du bonheur des Humains sur Terre. Elle fait sienne la liberté, la responsabilité citoyenne, la tolérance, l’équilibre entre le bien collectif et le bien individuel, et la recherche de la vérité. Dans sa recherche de la distinction entre le bien et le mal, elle fait appel à la raison.

Rappelons aussi que les idées de morale, d’éthique, de compassion et de justice ne furent pas inventées par les religions monothéistes. Par exemple, 1750 ans avant Jésus-Christ, le législateur d’Hammurabi gravait sur sa stèle pour que tous puissent le voir son Code de justice comprenant notamment le message suivant: « . . . pour que le fort n’opprime pas le faible . . . pour faire justice à l’orphelin et à la veuve . . . pour faire justice à l’opprimé . . . »

Par exemple encore, le célèbre législateur grec Solon, en 640 avant Jésus-Christ, écrivait ceci: « . . . j’ai rédigé des lois égales pour les Nobles et les Roturiers, fixant pour chacun une justice droite . . . »

Suggestions

En conclusion de cette petite analyse, qu’il me soit permis de faire les propositions suivantes :

  1. Supprimer le Comité et le Secrétariat des Affaires religieuses du Ministère de l’Éducation, qui ne servent à rien, sinon à saboter le contrat social québécois sur la laïcité scolaire.
  2. Supprimer le très lourd cours ECR, et le remplacer par quatre cours plus légers, à savoir un cours de Citoyenneté, un cours de Morale naturelle fondé sur des valeurs humanistes et sur la philosophie des Lumières, un cours sur la Sexualité(qui avait été supprimé pour faire place au cours ECR) et un cours d’Initiation à l’économie.
  3. Intégrer l’étude du phénomène religieux aux cours d’Histoire et de Citoyenneté. Ces cours aborderaient les religions dans une perspective globale, historique, culturelle et sociologique, au même titre qu’ils traitent des courants de la pensée séculière. [1]
  4. Assurer que toutes les écoles, privées comme publiques, donnent intégralement le programme laïc du Ministère de l’Éducation et respectent ses exigeances de qualité, notamment sur la qualification des enseignants. Les écoles délictueuses verraient leur permis révoqué.
  5. Insister pour que la propagande religieuse soit évacuée de tous les cours du programme laîque du ministère. Par exemple, éliminer la censure des cours d’histoire ou de philosophie, censure par exemple qui fait en sorte que l’on passe sous silence la contribution de Diderot ou de Voltaire à l’édification de la civilisation.
  6. Si un cours de religion est offert, assurer qu’il soit donné en sus du programme laïc du ministère et qu’il soit financé par des fonds autres que ceux de l’État.
  7. En ce qui concerne les CPE et autres établissements préscolaires, assurer qu’ils soient exempts de toutes formes d’endoctrinement religieux. Sous peine de retrait du permis.

PS 1 Laïcité

La laïcité n’est pas l’anticléricalisme. Au contraire, la laïcité protège la liberté de conscience et la pratique de toutes les religions. Et la seule façon d’assurer cette liberté collective, c’est de faire en sorte que l’État s’élève au dessus des religions, n’en interdise aucune dans la mesure où celles-ci respectent la loi, et en même temps n’en favorise aucune. Cela signifie aussi que l’État s’interdisse de financer les activités religieuses dans les écoles ou ailleurs. Cela signifie encore que les enseignants se refusent de faire de l’endoctrinement religieux dans le cadre de leur mission éducative.

Tel est le sens profond de la déconfessionnalisation scolaire.

PS 2 Anecdote

J’ai sous les yeux une enveloppe de plastique transparent, de forme carrée, de six centimètres de côté. Dans l’enveloppe, il y a un papier carré de 4,5 cmde côté ; en fait, il s’agit de deux feuillets de même taille collés dos à dos, Au recto de ce document, on voit l’image du Frère André ; au verso, on découvre une fenêtre circulaire de 5 millimètres de diamètre qui laisse voir un fragment d’étoffe noire qui est emprisonné entre les feuillets. Au dessus de la relique, on y lit l’inscription suivante : « Étoffe ayant touchée au corps du Frère André, c.s.c. / Cloth which has touched the body of Brother André, c.s.c. »

Il y a quelques semaines, cette image ‘sainte’ a été remise à des gamines de huit ou neuf ans, élèves d’une école privée catholique de Montréal, dont le nom apparaît sur ma liste d’établissements religieux. L’institutrice qui a fait cette distribution a recommandé aux enfants de toujours garder la relique sur elles, parce que le bon Frère André, ancien portier de l’Oratoire Saint-Joseph, allait les protéger et protéger leur maison des voleurs. Il est inutile, je pense, de commenter l’abyssale bêtise de cette pratique.


[1] Cette suggestion est conforme à la recommandation du Conseil du statut de la femme, Avis. Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, mars 2011, p.

4 Responses à “Écoles religieuses ?”

  1. André Loiselle dit:

    12 Jan, 13 a 17 h 38 min

    Bien d’accord avec tout cela. C’est un peu long à lire, j’aurais mis parfois quelques nuances, mais l’ensemble fait du sens.

    Amicalement.

    André Loiselle

  2. Deborah dit:

    15 Jan, 13 a 14 h 36 min

    Bonjour,

    J’ai lu l’ensemble de votre article…. Je l’ai trouvé pertinent et intéressant jusqu’à « religion et connaissance ».
    Le début, vous établissez des faits, vous donnez de l’information et chacun reste libre d’en faire la conclusion qui lui convient et les choix religieux ou non qui lui conviennent. Et je trouve ça correct et j’apprécie le discourt…. Pour ma part, la religions devrait être un cours de connaissance général, cela tiens une part importante dans l’existence humaine quoi qu’on en dise. Et rester un choix privé de croire ou non. Chacun est libre de développer SA foi dans le respect de valeurs humaine. ( Qui quoi qu’on en dise également ont quand même une origine religieuse: le bien, le mal est un précepte du judéochristianismes) Donc l’école d’aujourd’hui ne peut plus être conduite par la religion mais la religion fait partie de notre histoire.
    En seconde partie, a mon sens, il s’agit de votre avis certe mais qui pour moi va dans le même sens que l’endoctrinement religieux. Vous vous basez sur des extraits de textes en donnant des contres exemples virulants. Vous en faites votre propre analyse comme chaque religion le fait depuis des siècles…. Elle prend des bribes de textes et les arrange à sa sauce quand bon lui semble. C’est dommage, j’ai l’impression de m’éloigner du sujet de départ… Et d’entendre un discourt vraiment autre et finalement très religieux ( à mon sens) je suis déçu de la conclusion qui n’est plus neutre. Cela reste bien sur du dialogue, je ne fait que m’exprimer sur votre article qui est libre d’accès, en toute sympathie et sans colère.
    Je sais que l’article date de septembre mais je voulais vous exprimer mon avis. Merci a vous.

  3. René dit:

    11 Fév, 13 a 17 h 24 min

    Bonjour M. Lincourt.
    J’ai lu avec intérêt votre exposé ou enquête digne d’une véritable croisade laïque moderne sur la déconfessionnalisation des écoles Québécoises et contre l’endoctrinement religieux dans les écoles Québécoises. J’ai aussi pu apprécie votre ferveur pour la défense d’une loi anti confessionnelle qui sans doute, et connaissant le grand intérêt de la majorité silencieuse pour les décisions du gouvernement, ne fût approuvée que par une minorité avide de laïcité. Jusque là ça va, nous vivons dans un monde démocratique et la libre expression est de mise. Il est aussi clair que la suite de votre article n’a que pour seul intérêt appuyé votre ferveur antireligieuse et n’apporte qu’une suite d’arguments en faveur d’une idéologie politique que je ne pourrais pas considérer comme loi d’intérêt pour le bien-être sociale de la population.
    En ce qui concerne votre affirmation que la connaissance et la religion sont largement incompatibles, je dois exprimer mon total désaccord. Mes enfants ont été éduqués en Europe dans des écoles semi-privées catholiques des Frères Augustin et Maristes. Je peux vous garantir que mes enfants sont brillants et n’ont aucuns conflits d’intérêt entre la réalité des bases scientifiques sur notre existence et les aspects spirituels de l’homme qui leur furent conférés durant toutes ces années par l’éducation catholique. Les valeurs que mes enfants ont reçues dans leur enseignement scolaire prônent le respect d’autrui et de la coexistence. Ces mêmes valeurs qui nous furent transmises par nos parents et qui nous permettent aujourd’hui d’appliquer le respect d’autrui et de maintenir un certain niveau de cohérence sociale face aux rapides changements de notre société. A ce que je sache, ni mes enfants ni leurs parents ne sont victimes d’endoctrinement religieux. Allez donc voir M. Lincourt comment ça se passe dans les cours et dans les couloirs des écoles laïques d’aujourd’hui et apprécié les succès d’une loi anti confessionnelle sur le respect d’autrui.
    Pour terminer sur ce triste chapitre de l’histoire récente Québécoise, je vous inviterais à ne pas négliger la croissance des autres religions dans la société actuelle. Pour vous donner quelques informations sociodémographiques, sachez que certaines rues de Paris se paralysent à certaines heures de la journée dû à la prière à Mohamed et qu’il est dans votre intérêt de ne pas déranger ces « endoctrinés » qui n’hésiteront pas le moment venu (environ 30 ans selon le taux actuel des naissances des familles musulmanes versus la famille française) a vous envoyer vous et votre loi laïque faire une petite retraite pour repenser à votre loi anti-confessionnelle contre la religion de vos parents et ancêtres. Cette réalité M. Lincourt n’est pas une expression xénophobe en appui d’une religion que tous et toutes connaissons les exploits sanglants des siècles passés, mais une réalité que d’autre religion ne questionne et ne questionneront jamais. Allez donc y voir, l’extension du El Ándalus Ibérique vers la France du VIII siècles aura sa revanche bientôt.
    Laissez-donc les écoles confessionnelles qui se résistent à l’extinction de leur raison d’être continuer leur travail qui n’a rien a voir avec votre cheval de bataille et permettre à une partie de la population qui ne partagent pas votre opinion pouvoir continuer à éduquer leurs enfants selon leurs croyances et convictions. Ce droit M. Lincourt, est très bien défini dans la Charte des Droits de l’Homme. Comment pourrions-nous juger votre liste de propositions en sept points pour renforcir l’abolition du droit à la bonne éducation catholique et des valeur et principes du respect d’autrui et de la coexistence ? Et vive la bonne vieille droite intellectuelle et nationaliste du Québec !
    La laïcité n’est pas l’anticléricalisme mais peu le devenir par l’application vicieuse des lois en vigueur et de l’insistance d’individus qui ont sans doute eu des mauvaises expériences avec l’église catholique. SI tel n’est pas votre cas, j’aimerais connaître les raisons qui vous entrainent dans cette croisade.
    Laissez donc courir M. Lincourt, le Québec a d’autres batailles plus importantes à gagner, en commençant par la récupération du respect du reste du pays après un véritable endoctrinement politique de plus de trente ans, ainsi qu’une récupération économique qui se fait attendre.
    Cordialement.
    René

  4. Argent et epargne dit:

    24 Mai, 13 a 12 h 57 min

    Salut votre article est a suivre c’est a enregistrer; je pense revenir.