PRÉSENCE DE LUMIÈRES
Dérive du multiculturalisme-prise 5 – Remarques additionnelles sur la révision de l’ombudsman de Radio-Canada

La parole appartient à tous
Monsieur Pierre Tourangeau,
Ombudsman, Radio-Canada
Encore bonjour.
Après réflexion, au moins trois autres remarques s’imposent.
Légitimité
Vous semblez mettre en doute ma légitimité parce que je défends le laïcisme. Vous écrivez ceci : « […] même en admettant qu’un point de vue divergent ait été nécessaire dans le cas qui nous occupe, il est loin d’être évident que ça aurait dû être celui du laïcisme, car je suis convaincu que l’interprétation de M. Lincourt à propos de la charia est loin de faire l’unanimité. Il me semble, par exemple, que les opinions d’un intervenant du milieu ou d’un travailleur communautaire musulman opposés à l’approche de Mme Rousseau auraient été plus pertinentes dans le contexte du sujet traité. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce passage se démarque par sa partialité. Vous invitez madame Rousseau malgré que son point de vue fût « loin de faire l’unanimité » ; mais vous refusez de me donner la parole parce que mon point de vue ne fait pas l’unanimité.
Même plus : dans la même phrase, vous admettez que le point de vue divergent de celui de madame Rousseau aurait été nécessaire, donc que vous donnez raison au plaignant que je suis, mais vous ajoutez que ce même plaignant ne serait pas digne d’être invité à Radio-Canada. Mais pourquoi ? Vous donnez deux exemples de personnes qui aurait pu être invitées à ma place. Mais pourquoi les autres seraient-il plus dignes que moi ? Élevons-nous au dessus de ma petite personne, si vous le voulez bien. Pourquoi un travailleur communautaire ‘musulman’ (lire : religieux !) serait-il plus pertinent, plus sage, plus éclairé qu’un travailleur communautaire, disons, d’origine algérienne et athée ? Pourquoi un travailleur communautaire canadien-français serait-il a priori disqualifié en matière de conflits familiaux impliquant des immigrants musulmans au profit d’un intervenant de la même confession ?
D’ailleurs, comment définir un ‘intervenant du milieu’ ? En m’insurgeant, en vous écrivant, en animant le site que vous lisez en ce moment, plus tôt en construisant des hopitaux et le Biodome, en enseigant dans les universités, en militant au sein de la Coalition Laïcité Québec, du Mouvement laïque québécois et d’autres mouvements progressistes, ne suis-je pas un intervenant de mon milieu ? Car les familles d’immigrants venant du Maghreb, du Pakistan ou de l’Afghanistan par exemple, n’appartiennent-elles pas, de facto, au milieu québécois et canadien. Prétendre que le ‘milieu’ des familles d’immigrants ne fait pas partie de la société d’accueil, affirmer que les citoyens de cette même société d’accueil n’aient pas la légitimité pour faciliter l’insertion de ces immigrants, c’est faire preuve de communautarisme ou de racisme. Je suis sûr que ce ne fût pas votre intention en écrivant la phrase que je viens de citer mais vous devez admettre qu’elle charrie un message plutôt troublant.
Permettez-moi une autre remarque à propos de la légitimité du point de vue du laïcisme, comme vous dites. Pourquoi, sur une question de société, ‘l’expert’ (votre ‘intervenant du milieu’ ou votre ‘travailleur communautaire’) serait-il plus pertinent, plus digne d’être entendu que le ‘citoyen éclairé’ ? Poussé à sa limite absurde, votre argument signifierait que seuls les politiciens auraient le droit de vote parce qu’ils seraient les seuls ‘intervenants du milieu parlementaire’. Ce gouvernement par les experts s’appelle la méritocratie : ce n’est pas le nôtre. Et Radio-Canada est une institution publique qui appartient à une société démocratique. Tous les Canadiens jouissent du même droit d’accès à cette tribune et les artisans de la société d’État n’ont jamais reçu le mandat de pratiquer la discrimination, ni la censure.
Liberté
Vous défendez le principe d’indépendance des journalistes et autres artisans de Radio-Canada. Vous affirmez ceci : « Nous défendons la liberté d’expression et la liberté de la presse, garantes d’une société libre et démocratique. L’intérêt public guide toutes nos décisions. » J’en suis. Mais il aurait été utile que vous définissiez les limites de cette liberté. Car vous savez aussi bien que moi que dans ‘une société libre et démocratique’, le droit de l’un se limite à celui de l’autre, et le droit de chacun, à celui de tous. À quel moment, ‘votre’ liberté d’expression (et l’immense pouvoir de gérer l’accès aux ondes que vous détenez au nom de la société canadienne) empiète-t-elle sur ‘ma’ liberté d’expression ? À quel moment les décisions éditoriales de vos journalistes cessent-elles d’être rationnelles pour devenir arbitraires ? Questions graves, n’est-ce pas, que l’on ne peut écarter du revers de la main.
Vous brandissez comme un étendard l’affirmation : « L’intérêt public guide toutes nos décisions ! » Sachez que ce même intérêt public guide aussi toutes les décisions de la Coalition Laïcité Québec et du Mouvement laïque québécois. Et pourtant, au nom de cet intérêt public mais de façon arbitraire, vous nous refusez l’accès à vos ondes.
Laïcité
À la fin de votre texte, vous citez des statistiques d’affiliation religieuse et dites que le «pays compt[e] aussi tout près de 5 millions de citoyens sans aucune affiliation religieuse. » Puis vous ajoutez une évidence : « Et bien sûr, il faut aussi considérer que ce n’est pas parce qu’on s’identifie à une religion ou qu’on en pratique une qu’on n’est pas favorable à la neutralité de l’État, des institutions et de l’espace public ou qu’on ne défend pas le principe de la laïcité. »
À vrai dire, je ne comprends pas la contribution de ces deux affirmations à votre argumentaire. Est-ce que vous m’assimilez à ces 5 millions de Canadiens qui n’ont aucune affiliation religieuse ? En ce cas, puisque vous me refusez le droit de réplique, vous laissez presqu’entendre que tous ces gens ne méritent pas d’être entendus ? Mais je n’ai jamais prétendu parler au nom de ces gens.
Vous affirmez aussi qu’il est fort possible d’être croyant et d’adhérer au principe de la laïcité. Mais sur ce point aussi, je n’ai jamais prétendu le contraire. Même plus, jamais la Coalition Laïcité Québec et le Mouvement laïque québécois n’ont affirmé une telle chose. La laïcité n’a rien à vois avec la croyance en un dieu, ni avec l’athéisme. La laïcité est un principe de gouvernance qui affirme la neutralité de l’État en matière de religion. La laïcité est nécessaire pour assurer la liberté de conscience, incluant la liberté de pratiquer la religion de son choix ou de n’en pratiquer aucune. En vertu de ce principe, les religions ne s’immiscent pas dans les affaires de l’État et celui-ci ne favorise, ne subventionne, ni ne cautionne aucune religion. Quand madame Rousseau suggère de faire appel à médiateur religieux pour arbitrer un conflit familial, elle propose d’introduire la religion dans les affaires de l’État, du coup balaie du revers de la main la résolution unanime de l’Assemblée nationale sur cette question, et propose rien de moins que de violer les dispositions du Code civil du Québec en matière de conflits familiaux. En somme, elle contrevient au principe de laïcité.