PRÉSENCE DE LUMIÈRES
Cuistots étudiants, à vos chaudrons
C’est une bizarre fricassée que l’actuelle contestation des étudiants québécois. À plusieurs égards, elle me fait penser au plat que nous servent nos humoristes du moment : un ragoût de vacuités lardées d’inepties. Mais qui sait? l’insipide gibelotte annonce peut-être un somptueux festin. Voyons voir.
Hausse spectaculaire
Tout commence quand le Gouvernement québécois annonce une spectaculaire augmentation des droits de scolarité des universités : une hausse de 75% sur cinq ans, qui se transforme en une de 82% sur sept ans; en clair, cette augmentation signifie qu’à terme les droits annuels auront passé de 2500.$ à 4000.$. C’est brutal! clament certains. Ce n’est que rattrapage, explique d’autres.
Comme il fallait s’y attendre, les associations étudiantes des universités et des collèges s’insurgent, se rassemblent, discutent, votent la grève (ou le boycott ?) et déferlent dans la rue. On brandit des slogans, on hurle son indignation, on trépigne, des profs s’excitent et joignent le défilé, des humoristes indignés s’indignent . . . En somme, on manifeste. Et c’est festif en diable.
Par médias interposés, le débat s’engage. Les porte-parole des étudiants en grève demandent le gel des droits de scolarité; les plus radicaux d’entre eux exigent même la gratuité mur-à-mur. Le Gouvernement réplique que chacun doit payer sa juste part. C’est l’impasse. Deux fois, on fait mine de négocier. Mais de part et d’autre, on suinte de mauvaise foi. Chacun avance des propositions qui ne mènent nulle part. Chacun propose des faux compromis qui sont aussitôt rejetés avec mépris. Le gouvernement tient mordicus à son augmentation – c’est une question de principe, n’est-ce pas – et les représentants des étudiants tiennent mordicus à leur gel des droits – après tout, c’est une question de principe, n’est-ce pas – et chacun ajoute que son principe vaut bien celui de l’autre.
Manifestations festives
Les manifestations se succèdent. Au moins une par jour. La plupart sont pacifiques, comme par exemple les défilés aux casseroles. Mais certaines dérapent salement. On saccage le CEGEP du Vieux-Montréal, le siège de Loto-Québec, le bureau de la ministre Beauchamp, le hall d’honneur et l’auditorium de l’Université de Montréal, on bloque des ponts, on casse des vitrines, on lance des bombes fumigènes dans le Métro et on y déverse des briques sur les voies, on lance des cocktails Molotov, des pots de peinture, des cailloux, des boulons, des billes de billard, on agresse joyeusement les policiers et lorsque ceux-ci répliquent, on les accuse de fomenter la violence. Certaines manifestations virent à l’émeute, notamment celles du Centre des Congrès et de Victoriaville.
Tous les étudiants ne sont pas dans la rue. En fait, seulement un tiers d’entre eux ont voté en faveur de la grève. En gros, les grévistes se concentrent dans les collèges et les facultés des sciences humaines francophones de la grande région de Montréal. Mais même dans les établissements en grève, la contestation ne fait pas l’unanimité. Certains étudiants veulent retourner en classe, les autres s’interposent, les premiers font appel aux tribunaux et obtiennent une injonction. Peine perdue : les « grévistes » bloquent l’entrée des bâtiments et la police ne les déloge pas. Les collèges et les facultés contestataires restent fermés. Partout, on veille au grain. À l’UQAM, des groupes de grévistes font le tour des classes et sortent manu militari leurs collègues trop studieux.
Après l’échec de la deuxième négociation et dans la foulée de l’émeute de Victoriaville, le Gouvernement fait voter une loi matraque. Celle-ci est immédiatement contestée devant les tribunaux.
Et ça fait quatre mois que ça dure.
Quelques vérités
Au milieu de ce tintamarre, une certaine vérité percole à la surface des discours démagogiques.
Malgré la hausse ‘brutale’ décrétée par le Gouvernement, les droits de scolarité au Québec demeurent les plus faibles au Canada. À titre de comparaison, ceux dela Nouvelle-Écossesont actuellement de 5730.$, plus que deux fois plus élevés que ceux du Québec. Même après la hausse, il en coûtera encore plus cher pour étudier à Dalhousie University qu’à l’Université de Montréal.
Accessibilité
Est-ce que la hausse des droits de scolarité interdira l’accès à l’université? Les grévistes prétendent que oui; c’est même leur principal argument. Mais on peut en douter. En effet, la fréquentation universitaire n’est pas plus haute au Québec qu’ailleurs au Canada, même là où les droits de scolarité sont les plus élevés. Une étude de l’Institut économique de Montréal (Germain Belzile) montre que le taux de fréquantation universitaire au Québec est sensiblement le même que la moyenne canadienne (autour de 28%) alors que les droits de scolarité sont nettement inférieurs la moyenne canadienne (2200.$ versus 5300.$).
Mais le débat n’est pas clos pour autant. Face à cette objection, les associations étudiantes brandissent une autre étude qui affirme que la hausse des frais de scolarité aura un impact dévastateur sur l’accessibilité. Elles prétendent que la hausse affectera les étudiants les plus pauvres. En réponse à cette contre-objection, le Gouvernement bonifie le programme de bourses et de prêts. Mais les grévistes ne sont toujours pas satisfaits. À cause de l’endettement qu’il engendre.
Ce débat sur l’accessibilité universitaire pose une question fondamentale qui a rarement été abordée. C’est celle-ci : Au Québec, compte-tenu de la relative faiblesse des droits de scolarité, pourquoi la fréquentation universitaire n’est-elle pas plus forte? En d’autres termes, est-ce que les Québécois valorisent l’éducation universitaire, est-ce qu’ils valorisent même l’éducation tout court? Il semble que non, puisque de plus en plus de jeunes Québécois décrochent avant même d’atteindre le niveau collégial.
Légitimité
Autre question. Ne représentant qu’un tiers des étudiants et des institutions, les associations étudiantes sont-elles légitimes? Bien sûr que oui. Elles le sont autant que l’actuel gouvernement québécois qui a été porté au pouvoir par 24% des électeurs inscrits. Donc, les deux parties sont légitimes . . . mais chétives. Et fortement contestées. C’est pourquoi on aurait espéré de leur part un peu plus de retenue. Un dialogue franc aurait été plus productif. Mais non, c’était trop demander. Sur les tribunes publiques, les deux parties n’ont cessé de pontifier avec une étonnante outrecuidance.
Que penser des porte-parole étudiants? Beaucoup de bien. Ils sont beaux, intelligents et articulés. Ils sont à l’image de la plupart des étudiants universitaires que j’ai fréquentés au cours de ma carrière. Ils sont nettement plus crédibles que beaucoup de nos politiciens adultes actuels.
Lors des pseudo-négociations, je me suis fait la réflexion suivante : Il n’est pas surprenant que les parties ne se comprennent pas parce qu’elles ne parlent pas le même langage. Dans cet étrange chassé-croisé, les gens du Gouvernement pensaient, discouraient comme de vrais négociateurs, c’est-à-dire qu’ils faisaient un petit bout du chemin vers les étudiants et s’attendaient à ce que ceux-ci fissent de même. Pour eux, le but de ce ‘donnant-donnant’ qu’ils proposaient, c’était de se rencontrer à mi-chemin et de se serrer la main. Mais le discours des étudiants était d’un autre ordre. Pour eux, l’idée même d’une augmentation des droits de scolarité était irrecevable. Le chemin qu’ils empruntaient n’allait pas à la rencontre de leurs interlocuteurs.
En fait, la situation était encore plus embrouillée. Les négociateurs de Gouvernement réfléchissaient en termes de rapport de forces. Et comme ils représentaient l’autorité politique, ils étaient sûrs de prévaloir. Les étudiants, eux, tout aussi sûrs de leur bon droit, parlaient en termes de bien commun. Pour eux, il était inconcevable qu’un Gouvernement démocratiquement élu puisse les contrer, parce qu’un tel Gouvernement ne pouvait que défendre le bien commun. Quelle naïveté! Quoi qu’il en dise, le Gouvernement réfléchit rarement en termes de bien commun. Son attitude, ses politiques et ses initiatives sont surtout dictées par la force des lobbys et les intérêts partisans.
Mais là où tout s’est mélangé encore plus, c’est quand les étudiants, tout en parlant du bien commun, mobilisaient la rue afin de faire basculer le rapport de force en leur faveur. En somme, ils jouaient le jeu en réinventant les règles au gré des aléas de la conjoncture. Ce qui fait qu’ils nageaient constamment dans la contradiction. Ils faisaient appel aux tribunaux tout en bafouant allègrement leurs décrets. Ils clamaient la lutte des classes tout en défendant des intérêts corporatifs particuliers. Ceci dit, on peut arguer qu’ils n’avaient pas tort de mobiliser la rue parce que le Gouvernement n’aurait jamais daigné leur parler sans la menace de désordres. Cette négociation de façade ne fut qu’un jeu de dupes. Avec le triste résultat que l’on sait.
Gratuité
Autre question. Est-ce que l’université devrait être gratuite? En fait, qui dit ‘gratuit’ signifie ‘payé en totalité’ par l’ensemble des contribuables québécois. C’est déjà largement le cas. Avec la hausse, les contribuables paieront 83% de la facture et le reste sera pris en charge par les étudiants. Dans certains pays européens, au Danemark par exemple, l’université est gratuite mais en contrepartie, les jeunes sont tenus de faire un service militaire ou civil. Dans d’autres pays,la France par exemple, l’université est gratuite mais dans beaucoup de filières étonnamment médiocre.
600 millions$
Les recteurs prétendent qu’ils ont besoin de 600 millions $ pour assurer la stabilité financière de leur institution. Mais que feront-ils avec cet argent neuf? On ne sait pas trop. Ce que l’on sait en revanche, c’est que la gestion universitaire recèle son lot de scandales. Pensons par exemple au gouffre immobilier de l’Îlot Voyageur (UQAM) et du couvent Mont-Jésus-Marie (Université de Montréal), à l’indemnité de départ de 3,1 millions $ versés à des cadres (Université Concordia), à la contribution exceptionnelle au fonds de pension des cadres de l’Université du Québec, à l’ouverture de succursales (Université de Sherbrooke à Longueuil, Université de Montréal à Laval), etc. Même plus, je suis sûr que si l’on gratte un peu, on trouvera beaucoup de peaux mortes, de professeurs tire-au–flanc, de pseudo projets de recherche, de querelles stériles entre factions idéologiques, etc. Un grand ménage s’impose dans la gestion des universités. Les représentants des étudiants ont argué que les 600 millions $ réclamés par les recteurs pouvaient être trouvés tout simplement en éliminant le gaspillage. Lors de la première négociation, le Gouvernement a accepté cette idée et proposé la création d’un comité ad hoc. Et les représentants des étudiants siégeraient sur ce comité. Mais lors de la seconde négociation, cette initiative fut oubliée. On se demande quel lobby est intervenu.
L’endettement? D’un côté, il est de notoriété publique que notre société est endettée jusqu’aux yeux. Partout, les pays, les provinces, les municipalités, les ménages, les individus croulent sous les dettes. Tout le monde s’en désole, à commencer par le Gouverneur dela Banquedu Canada, Mark Carney, qui pourtant ne fait pas grand-chose pour freiner le foisonnement des cartes de crédit. Le Québec est l’une des sociétés les plus endettées du monde, à hauteur de 94% de son PIB. Cette précarité n’empêche pas le Gouvernement du Québec de proposer aux étudiants de s’endetter encore plus pour contrer la hausse des droits de scolarité. On se demande où est la cohérence entre le Ministre des Finances Bachand qui met les Québécois en garde contre le surendettement etla Présidentedu Conseil du Trésor Courchesne qui propose de faciliter l’endettement des étudiants.
Projet de société
Est-ce vrai que nous n’assistons pas à une grève d’étudiants mais plutôt à un réveil de la société? Mais alors, si nous sommes tous frais et dispos, qu’allons-nous faire? Quel est notre projet de société? La réponse à cette question est complexe parce que le Québec (au sein du Canada) est déjà l’une des sociétés les plus enviables de la planète. Comment améliorer ce qui déjà fait l’envie de la plupart des citoyens du monde? Dire que nous refusons la société mercantile du néo-libéralisme, c’est bien. Et c’est facile de le dire. Mais proposer une doctrine de rechange qui soit viable, c’est plus compliqué. Cuistots étudiants, retournez à vos casseroles, cessez de les utiliser comme des tambours, cessez le bruit vide de sens, remettez-les sur le feu de votre pouvoir créateur et mijotez-nous une petite blanquette qui nous fera saliver. Une société plus juste et plus prospère. Vite, car on commencer à mourir de faim. Les biscotes carrées au paprika picotent la langue mais ne nourrissent guère le citoyen.
Que faire?
Une série de mesures.
§ Que les associations étudiantes et les groupuscules qui gravitent autour d’elles se calment. Elles doivent réaliser que la surenchère de manifestations devient rapidement contreproductive.
§ Que le Gouvernement abroge la loi 78 qui n’est qu’un irritant.
§ Qu’une table de négociation permanente entre les étudiants, les universités et le gouvernement soient ouvertes.
§ Que le Gouvernement fasse le ménage dans l’administration des universités afin de dégager des économies qui seront transférés aux droits de scolarité.
§ Que les universités expliquent pourquoi elles ont besoin de 600 millions $ de revenus additionnelles. Et qu’un objectif financier crédible soit fixé.
§ Que le gouvernement fasse un effort véritable pour trouver d’autres sources de revenus, par exemple augmenter la royauté de l’eau en bouteille, augmenter la royauté des minières, imposer un impôt supplémentaire aux banques, etc. Donc, les fameux 600 millions $ pourraient être assumés en partie par une meilleure gestion des universités, en partie par d’autres sources de revenus, et en partie par les étudiants eux-mêmes.
§ Que l’on maintienne le programme bonifié de bourses pour les étudiants les moins bien nantis.
§ Que l’on remplace en partie le programme de prêts par un étalement du paiement des droits de scolarité sur une période plus longue que celle des études.
§ Que les prêts aux étudiants soient le dernier recours, qu’ils soient garantis par le Gouvernement et que le taux d’intérêt soit le taux directeur de la Banque du Canada (aujourd’hui à 1%).
§ Pour contrer l’endettement des étudiants et pour lutter contre le décrochage scolaire, créer un programme d’emplois destinés aux étudiants universitaires pour agir en tant que tuteur.